OUTRE-MER : la batterie est-elle un atout pour le solaire ?

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Dans les territoires insulaires, produire localement son électricité n’est pas un simple geste écologique. C’est une question d’autonomie, d’équilibre économique et de souveraineté énergétique. Pourtant, derrière l’essor du photovoltaïque et du stockage, une interrogation persiste : ces technologies sont-elles toujours bénéfiques pour l’environnement ? Pour y répondre, l’ADEME a publié en 2025 une étude inédite d’analyse du cycle de vie (ACV) des systèmes d’autoconsommation solaire, menée en métropole, en Martinique et à La Réunion. Les conclusions révèlent des contrastes marqués entre les îles, où les batteries peuvent être aussi bien un atout qu’une contrainte.

Les Outre-mer face à la quête d’autonomie énergétique

Les territoires ultramarins figurent parmi les zones les plus vulnérables sur le plan énergétique. Leur dépendance au fioul importé, la fragilité des réseaux électriques et la pression du climat placent la transition énergétique au cœur des priorités locales.

La Martinique et La Réunion, toutes deux non interconnectées au réseau continental, avancent vers des modèles 100 % renouvelables à l’horizon 2030. Mais les réalités divergent.

En Martinique, le fioul et le diesel représentent encore plus de 60 % de la production électrique en 2025, selon EDF SEI.

À La Réunion, cette part fossile a quasiment disparu : plus de 90 % de l’électricité est issue des énergies renouvelables, dont près de 75 % de biomasse. Dans un cas, le solaire remplace du pétrole.

Dans l’autre, il vient s’ajouter à une électricité déjà verte. Ces différences structurelles expliquent en grande partie les résultats contrastés de l’étude ADEME.

Une étude de référence pour mesurer les impacts réels

Menée entre mars et décembre 2024 par les bureaux d’études Artelys et Gingko 21, l’étude s’appuie sur la norme ISO 14040-44 et la méthode Environmental Footprint 3.1 de la Commission européenne.

Elle évalue, sur tout le cycle de vie, les impacts environnementaux de trois configurations :

  • un bâtiment raccordé uniquement au réseau
  • un bâtiment en autoconsommation photovoltaïque
  • un bâtiment combinant panneaux solaires et batterie lithium-ion

Les simulations ont porté sur deux typologies de bâtiments – un pavillon résidentiel et un immeuble tertiaire – dans trois contextes énergétiques : la métropole, la Martinique et La Réunion.

Tous les indicateurs ont été passés au crible : émissions de gaz à effet de serre, particules fines, épuisement des ressources fossiles et minérales, acidification des sols, formation d’ozone et consommation d’énergie primaire.

L’objectif était clair : savoir si le stockage améliore vraiment le bilan environnemental global ou s’il déplace simplement les impacts vers d’autres dimensions, moins visibles mais tout aussi déterminantes.

Martinique : un fort potentiel de décarbonation

En Martinique, l’autoconsommation solaire apparaît comme un levier majeur de transition énergétique. Chaque kilowattheure solaire injecté dans le réseau évite un kilowattheure produit par des centrales au fioul ou au diesel.

L’effet est immédiat sur le climat : les émissions de gaz à effet de serre chutent, tout comme les particules fines et la consommation de ressources fossiles. La synthèse locale de l’ADEME le confirme : les systèmes photovoltaïques réduisent significativement les impacts climatiques et sanitaires.

L’ajout d’une batterie accentue encore ce bénéfice, notamment en stockant le surplus d’énergie de la journée pour le restituer la nuit, période où la production repose habituellement sur le thermique.

Mais cette amélioration a un revers. Les batteries lithium-ion, essentielles au stockage, nécessitent des matériaux critiques comme le cobalt, le nickel ou le lithium. Leur extraction, leur fabrication et leur transport génèrent un nouvel impact : l’épuisement des ressources minérales et métalliques.

Ce “transfert d’impact” reste toutefois compensé, dans le cas martiniquais, par les gains environnementaux sur le reste du cycle de vie.

En somme : dans un système encore largement fossile, la batterie devient un outil de souveraineté énergétique autant qu’un instrument de décarbonation. Chaque kWh solaire y compte double.

La Réunion : un système déjà vert, un stockage marginal

À La Réunion, la situation est radicalement différente. Le territoire a déjà atteint une production électrique à plus de 90 % renouvelable, dominée par la biomasse, l’hydraulique et le solaire.

L’ajout de panneaux photovoltaïques supplémentaires réduit encore légèrement les émissions, mais l’effet global reste faible. La synthèse réunionnaise de l’ADEME montre que le couplage photovoltaïque-batterie n’apporte pas de gain significatif sur le plan environnemental.

Le stockage améliore le taux d’autoconsommation, mais son impact reste limité, voire nul, sur les émissions globales. En revanche, comme en Martinique, la fabrication des batteries pèse sur les ressources minérales et sur la consommation d’énergie primaire.

Cette asymétrie met en évidence un principe clé : plus un territoire est déjà vert, moins les bénéfices additionnels du stockage sont marqués.

À La Réunion, la batterie relève davantage d’une recherche d’autonomie technique – stabilisation du réseau, gestion de l’intermittence – que d’un véritable levier climatique.

Un même outil, des effets opposés

Comparer les deux îles, c’est comprendre que la même technologie peut produire des effets inverses. En Martinique, la batterie réduit les émissions et soutient la transition. À La Réunion, elle alourdit légèrement certains indicateurs.

Ces différences tiennent à la structure du mix énergétique, à la proportion d’énergies fossiles dans la production et au mode d’exploitation du stockage. L’étude montre aussi que la durée de vie des batteries, leur densité énergétique et la qualité du pilotage jouent un rôle crucial.

Une batterie mal utilisée ou remplacée trop tôt peut annuler ses gains environnementaux. À l’inverse, un usage optimisé — charge diurne, décharge nocturne, gestion intelligente — améliore nettement le bilan global.

Autrement dit, l’autoconsommation et le stockage ne sont pas des solutions universelles : ce sont des outils contextuels. Leur pertinence dépend du territoire, de son mix et de sa maturité énergétique.

Des leviers d’action pour une autoconsommation durable

L’ADEME appelle à poursuivre la recherche sur la durabilité et la performance des batteries, en intégrant davantage de matériaux recyclés et en améliorant leur densité énergétique. Elle recommande aussi de développer des filières locales de valorisation et de seconde vie, essentielles pour réduire les impacts liés à l’importation.

Dans les territoires insulaires, ces perspectives s’inscrivent dans un cadre plus large : celui des Programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE) et des stratégies ZEN (Zéro Émission Nette).

Les résultats de l’étude éclairent la planification énergétique : en Martinique, encourager le déploiement du solaire couplé à un stockage raisonné reste prioritaire. À La Réunion, l’enjeu se déplace vers la maîtrise du cycle de vie, la réduction des impacts matériels et la gestion de la flexibilité réseau.

Pour le BTP et les concepteurs énergétiques, cela signifie intégrer l’ACV dans le dimensionnement, choisir des équipements durables et former les acteurs aux approches bas-carbone adaptées aux ZNI.


Autoconsommation

Consulter le rapport de l’ADEME : « Analyse de cycle de vie de cas d’usage du stockage d’électricité » ici


Dans les îles, le solaire n’est pas une option, c’est une nécessité. Le stockage, lui, est un choix stratégique. En Martinique, il accélère la sortie du fioul et renforce l’autonomie. À La Réunion, il reste un outil de confort technique, utile mais non décisif sur le plan climatique. L’étude de l’ADEME rappelle une évidence souvent occultée : la transition énergétique n’est jamais uniforme. Elle se construit à l’échelle du territoire, selon ses contraintes, ses ressources et ses priorités. Dans les Outre-mer, produire localement ne suffit plus. Il faut désormais produire durablement.

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