Outre-mer et climat : les territoires français en première ligne

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La foret amazonienne en Guyane - CC BY-SA 2.0 Bernard Dupont via Flickr

Alors que le dérèglement climatique bouleverse déjà l’ensemble du territoire français, les régions d’Outre-mer en subissent les effets de façon plus précoce, plus brutale, et plus étendue. Dans son rapport publié en juin 2024, « La France face au changement climatique : les Outre-mer, premiers exposés », le Réseau Action Climat dresse un état des lieux alarmant mais documenté.

À travers des données scientifiques, des témoignages locaux et des exemples concrets, le rapport appelle à repenser en profondeur la stratégie d’adaptation dans ces territoires trop souvent oubliés.


Une vulnérabilité structurelle révélée par la crise climatique

Bien que les DROM-COM représentent une fraction démographique modeste, ils concentrent une immense diversité géographique, climatique et sociale. Tous sont insulaires, à l’exception notable de la Guyane. Pourtant, cette richesse naturelle et stratégique se heurte à une série de fragilités structurelles. À Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté national. En Guyane, ce taux atteint 53 %, et 42 % à La Réunion, contre seulement 14,4 % dans l’Hexagone.

Par ailleurs, l’accès aux services publics essentiels est loin d’être garanti. Les ruptures d’approvisionnement en eau, les déficits d’infrastructures de santé, ou encore l’enclavement de certaines communes rurales amplifient les effets des chocs climatiques. Ainsi, la combinaison entre exposition naturelle élevée (cyclones, inondations, sécheresses) et vulnérabilité socio-économique crée un niveau de risque extrêmement élevé pour ces territoires.

Ce déséquilibre illustre parfaitement les enjeux de justice climatique. Autrement dit, ce sont précisément celles et ceux qui ont le moins contribué au dérèglement global qui en subissent aujourd’hui les conséquences les plus lourdes. À cela s’ajoute un sentiment persistant de marginalisation institutionnelle, aggravé par des retards dans la mise en œuvre des politiques d’adaptation.

Cyclones, chaleurs extrêmes, sécheresses : une intensification des phénomènes

La hausse des températures moyennes n’est pas une simple tendance statistique : elle se manifeste déjà par des bouleversements concrets. En Martinique, le réchauffement atteint +1,5 °C depuis 1965. À La Réunion, les simulations prévoient jusqu’à 120 jours par an à plus de 31 °C en 2100 si les émissions de gaz à effet de serre continuent à croître. Les nuits tropicales, elles, pourraient concerner jusqu’à la moitié de l’année.

Passage du cyclone Bejisa à La Réunion en 2014 © A. Karnholz / AdobeStock

Dans ce contexte, les cyclones tropicaux se renforcent. Ce ne sont plus seulement des événements ponctuels : ils deviennent récurrents, plus puissants, et plus destructeurs. Le cyclone Irma, qui a touché Saint-Martin en 2017, demeure un repère de violence extrême : vents à 287 km/h, vagues de 10 mètres, 95 % des bâtiments endommagés. Mais il n’est plus unique. Garance à La Réunion, Belal, Chido à Mayotte… Tous témoignent d’un basculement climatique désormais en cours.

Ce n’est pas seulement la fréquence qui inquiète, mais aussi l’incapacité des infrastructures actuelles à résister à ces événements. L’alourdissement des bilans humains et matériels résulte d’un effet domino : coupures d’électricité, interruption des réseaux, inaccessibilité des soins, contamination de l’eau potable, crise alimentaire.

Érosion, submersion, montée des eaux : les littoraux en première ligne

Les littoraux ultramarins, longtemps considérés comme des atouts économiques (tourisme, pêche, transport maritime), deviennent aujourd’hui des zones de grande incertitude. La montée des eaux, accélérée par la fonte des glaces et l’expansion thermique des océans, atteint +6 mm/an à La Réunion. En Guadeloupe ou en Polynésie, des secteurs entiers du littoral reculent.

Des habitations menacées par l’érosion côtière à Capesterre-Belle-Eau en Guadeloupe – © Cedrick Isham Calvados – AFP

Cette pression naturelle se combine à une pression humaine : urbanisation des côtes, artificialisation des sols, disparition des mangroves. Or, ces écosystèmes jouent un rôle clé de tampon. En leur absence, les vagues de tempête, même modérées, deviennent plus destructrices. À Saint-Martin, le trait de côte a reculé de plus de 10 mètres par endroits après Irma.

Dans les territoires à faible altitude, comme les atolls de Polynésie ou les plaines de Mayotte, chaque centimètre compte. Une élévation de 50 cm pourrait rendre de nombreuses zones inhabitables, avec pour conséquence des déplacements internes massifs et des tensions sociales accrues.

Biodiversité menacée : récifs, forêts, mangroves sous pression

Les Outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française. Pourtant, cette richesse est aujourd’hui en péril.

Les récifs coralliens, qui couvrent près de 55 000 km² dans les DROM-COM, sont fortement affectés par le réchauffement des eaux. Leur blanchissement devient systématique lors des épisodes de chaleur marine, réduisant leur capacité à abriter la faune marine et à protéger les côtes.

Les mangroves, elles, subissent une double peine : pressions humaines (défrichement, pollution) et événements extrêmes (cyclones, salinisation des sols). Leur disparition accélère l’érosion, diminue la biodiversité et expose davantage les zones habitées. En Guadeloupe, certaines mangroves ont perdu plus de 80 % de leur densité après les cyclones.

Les forêts ultramarines, qu’elles soient amazoniennes ou montagneuses, ne sont pas épargnées. Le dépérissement des espèces, combiné à la déforestation illégale et à l’urbanisation, compromet à la fois la régulation du climat local et la protection de la ressource en eau.

Crise de l’eau, précarité, habitat : les impacts sur la vie quotidienne

Le dérèglement climatique aggrave des situations sociales déjà critiques. L’eau potable devient un bien rare, souvent distribué par rationnement. À Mayotte, après le passage de Chido, des milliers d’habitants ont été contraints de puiser de l’eau dans des rivières, des puits non contrôlés ou même dans la mer.

Mayotte après le passage du cyclone Chido en décembre 2024 – © Dimitar Dilkoff – AFP

Les risques sanitaires augmentent en proportion : typhoïde, choléra, gastro-entérites. À cela s’ajoutent des pénuries de médicaments et des hôpitaux endommagés. L’hôpital de Mamoudzou, seul établissement de santé majeur à Mayotte, a été partiellement détruit lors du cyclone. Or, 80 % des postes de médecins urgentistes y étaient vacants avant même la catastrophe.

Sur le plan du logement, les inégalités sont flagrantes. Les quartiers les plus pauvres sont souvent situés en zones inondables, en bord de mer ou sur des terrains instables. Leur reconstruction, lorsqu’elle a lieu, est lente et rarement adaptée aux aléas futurs.

Des écarts de traitement : territoires oubliés, populations marginalisées

Les témoignages recueillis par le Réseau Action Climat révèlent un sentiment profond d’injustice. À Mayotte, des habitants dénoncent l’absence de secours pour les victimes sans-papiers, et l’impossibilité d’accéder aux centres d’hébergement. Le manque d’équipements, la peur des expulsions et la crainte des pillages ont découragé nombre d’entre eux de se protéger.

D’un point de vue institutionnel, les retards dans la planification de l’adaptation sont patents. Le Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement (CCEE) de La Réunion note l’absence d’infrastructures adaptées de manière systématique sur l’île. À Saint-Martin, les inégalités de reconstruction sont criantes : les quartiers riches sont reconstruits rapidement, les quartiers pauvres restent sinistrés.

Le rapport souligne également l’absence de données genrées fiables. Les femmes, souvent en première ligne dans la gestion du quotidien, sont plus exposées mais moins représentées dans les instances de décision. Les discriminations à l’encontre des personnes LGBTQIA+ sont également signalées, sans qu’aucun plan de réponse ciblé ne soit documenté.

Quelles solutions pour renforcer l’adaptation ?

Le Réseau Action Climat identifie trois leviers d’action :

  1. Systèmes d’alerte précoce renforcés et accessibles à tous
  2. Infrastructures résilientes, capables de tenir face aux nouveaux aléas
  3. Urbanisme adapté aux zones à risque et éloignement du littoral si nécessaire

Dans un contexte où les aléas climatiques s’intensifient et frappent de manière inégale, les territoires ultramarins doivent pouvoir s’appuyer sur des stratégies d’adaptation adaptées, ancrées localement et soutenues durablement.


1. Améliorer les systèmes d’alerte et la culture du risque

Les événements récents, comme le passage du cyclone Chido à Mayotte, ont révélé des failles dans la diffusion de l’information d’urgence et la mobilisation des dispositifs d’hébergement. Le rapport recommande une généralisation des alertes multicanaux et multilingues, incluant les langues locales comme le créole, le shimaoré ou le tahitien.

Des campagnes de sensibilisation régulières, couplées à des exercices de simulation dans les établissements publics, sont jugées nécessaires pour renforcer les réflexes de sécurité. Par ailleurs, la mise à disposition de cartographies actualisées des zones à risque, à l’échelle communale, permettrait d’anticiper plus efficacement les évacuations et les aménagements.

2. Adapter les infrastructures et repenser l’aménagement

L’intensification des phénomènes extrêmes met à l’épreuve des bâtiments souvent vétustes ou mal adaptés. Le rapport appelle à un renforcement prioritaire des équipements collectifs stratégiques (écoles, centres de santé, lieux d’accueil), notamment dans les communes littorales densément peuplées.

Il plaide également pour une meilleure prise en compte des zones d’aléa fort dans les plans d’urbanisme, en limitant l’urbanisation des côtes et en relocalisant les sites les plus exposés.

Le rôle protecteur des milieux naturels – mangroves, récifs coralliens, forêts littorales – est réaffirmé, avec des appels à leur restauration pour renforcer leur fonction de barrière naturelle contre les vagues et les submersions.

3. Soutenir les plus vulnérables et renforcer la gouvernance locale

Les populations les plus exposées sont souvent celles qui ont le moins accès aux moyens de se protéger, de se reloger ou de se reconstruire. Le rapport insiste sur la nécessité d’un ciblage prioritaire des aides vers les ménages précaires ou isolés, ainsi que sur une meilleure reconnaissance des savoirs de terrain.

Il recommande de s’appuyer sur des référents locaux pour relayer les alertes, organiser les premières réponses, et faire le lien avec les dispositifs publics.

Enfin, il appelle à une réforme structurelle de la gouvernance de l’adaptation dans les Outre-mer, en garantissant aux collectivités et associations un accès effectif aux financements des agences nationales (ADEME, ANCT) et des fondations partenaires du rapport (Fondation de France, Léa Nature).


Zooms territoriaux : 3 cas emblématiques

Ces trois exemples illustrent, chacun à leur manière, la façon dont le changement climatique se manifeste avec une acuité particulière dans les Outre-mer. Ils révèlent également l’inégalité d’accès à la protection, aux services, et à la reconstruction.

MAYOTTE : cyclone Chido, une catastrophe sociale et sanitaire

Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido a ravagé Mayotte avec des rafales dépassant 220 km/h. Officiellement, on dénombre 40 morts, 41 disparus et plus de 5 600 blessés. Toutefois, de nombreux témoignages évoquent un bilan bien plus lourd, les personnes sans-papiers n’ayant pas été comptabilisées.

Mamoudzou, capitale de Mayotte, après le passage du cyclone Chido en décembre 2024 – © Alexis Duclos – AFP

Plus de 35 000 bâtiments ont été endommagés ou détruits, soit environ un quart du parc bâti. La quasi-totalité des communes a été privée d’eau potable. Faute de solutions de secours, certains habitants ont bu l’eau de rivière ou de mer. Le seul hôpital a été partiellement détruit. En février 2025, le ministre des Outre-mer Manuel Valls a estimé le coût des dégâts entre 3 et 3,5 milliards d’euros.

Au-delà du choc matériel, Chido a provoqué un effondrement des conditions de vie : pénuries alimentaires, maladies hydriques (choléra, typhoïde), insécurité généralisée. Un couvre-feu a été instauré face à la recrudescence des pillages. Ce cyclone a aussi ravivé la fracture sociale autour de la gestion des personnes sans papiers, souvent exclues des secours.

LA REUNION : entre cyclones en série et urbanisation littorale

Depuis 2023, l’île a subi quatre cyclones majeurs : Belal, Chido, Dikeledi et Garance. À chaque fois, les conséquences ont mis en évidence une insuffisance criante de préparation. Le Conseil de la culture, de l’environnement et de l’éducation (CCEE) a révélé en 2024 que 3 000 logements de l’île sont classés “indignes” selon le plan climat-air-énergie territorial.

La forte urbanisation du littoral accentue la vulnérabilité : la concentration humaine en bord de mer multiplie les risques lors des submersions. Par ailleurs, les zones rurales, souvent enclavées, peinent à accéder aux secours.

Christophe Barbarini, résident de l’Est de l’île, témoigne : « Les phénomènes extrêmes que j’ai rencontrés ont généré énormément de stress, même de peur. Ce n’est pas seulement la nature qui frappe, ce sont aussi les politiques d’aménagement qui nous exposent. »

SAINT-MARTIN : reconstruction inégale après Irma

L’ouragan Irma, en septembre 2017, a été l’un des plus violents jamais enregistrés dans l’Atlantique Nord : vents de 287 km/h, vagues de 10 mètres, 95 % des bâtiments endommagés. Si les quartiers riches et les infrastructures touristiques ont été reconstruits en quelques mois, les quartiers populaires sont restés en ruine pendant plus de deux ans.

L’île de Saint-Martin suite au passage de l’Ouragan Irma en 2017 – © Shutterstock

Selon une étude citée par le Réseau Action Climat, 7 à 8 000 personnes ont quitté l’île après Irma, soit près de 10 % de la population. Ceux qui sont restés vivent souvent dans des habitations de fortune, mal protégées et sans recours financier pour les réhabiliter.

Le contraste avec Saint-Barthélemy, île voisine plus aisée, est frappant : les villas et hôtels y ont été rebâtis rapidement, mais parfois sans réelle adaptation aux risques futurs. Cela démontre que la résilience ne dépend pas seulement des moyens économiques, mais aussi de la volonté politique d’intégrer les risques dans les choix d’aménagement.


RESSOUCE E CONSULTER

La France face au changement climatique les Outre-mer, premiers exposés


Ce rapport du Réseau Action Climat dresse un constat clair : les Outre-mer sont les sentinelles du climat, exposées en premier, mais protégées en dernier. Pour faire face aux prochaines décennies, il ne suffit plus de réagir : il faut anticiper. Cela passe par une politique d’adaptation massive, juste, localement ancrée, et pensée avec les habitants. Sans cela, les catastrophes comme Chido ou Irma cesseront d’être des exceptions. Elles deviendront la norme.

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