OUTRE-MER. de lourds retards d’infrastructures face aux objectifs climatiques 2030 ?

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Publié en avril 2023, le baromètre FNTP-CERC dresse un état des lieux inédit de la contribution des infrastructures aux objectifs climatiques nationaux. S’appuyant sur la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), il met en lumière les écarts considérables entre l’Hexagone et les territoires ultramarins. Derrière des indicateurs nationaux souvent uniformes, les réalités locales sont pourtant bien différentes.

Des réseaux d’eau potable fortement fragilisés

L’eau constitue l’une des premières lignes de vulnérabilité des territoires ultramarins face aux dérèglements climatiques. Le changement des régimes de précipitation, l’intensification des sécheresses et la pression démographique rendent la gestion des ressources hydriques de plus en plus complexe.

Dans ce contexte, les pertes en réseau atteignent des niveaux critiques. Ainsi, en Guadeloupe, près de 43 % de l’eau prélevée est perdue avant même d’arriver aux consommateurs. En Martinique, ce taux atteint 30 %, tandis qu’à La Réunion, 38 % de l’eau est également perdue. Mayotte, bien que dotée de réseaux plus récents, n’échappe pas à la problématique avec 26 % de pertes constatées.

Source – SISPEA 2020

À ces fragilités s’ajoute un rythme de renouvellement des canalisations insuffisant pour stopper l’aggravation de la situation. Alors que la SNBC recommande un taux de renouvellement annuel de 2 % pour stabiliser le vieillissement des infrastructures, les territoires ultramarins en sont encore loin : 1 % en Guadeloupe, 0,5 % à La Réunion et seulement 0,1 % en Martinique et Mayotte. Autrement dit, de nombreux réseaux fonctionnent encore aujourd’hui avec des équipements dépassant largement les 50 ans de durée de vie théorique.

Sur le plan des volumes prélevés, les écarts traduisent également l’intensité de la consommation. La Guadeloupe prélève chaque année 151 millions de m³, La Réunion 109 millions, la Martinique 88 millions et Mayotte 52 millions. Des volumes qui devront impérativement diminuer dans les années à venir pour respecter l’objectif national de réduction de 25 % des prélèvements d’ici 2034.

Assainissement et traitement des eaux : des conformités encore insuffisantes

Au-delà de l’eau potable, les systèmes d’assainissement affichent eux aussi des fragilités notables. L’état des stations de traitement constitue un indicateur clé de la qualité environnementale des rejets.

Dans ce domaine, les disparités entre territoires sont particulièrement marquées. La Guadeloupe tire son épingle du jeu avec un taux de conformité de 87 % sur ses 125 stations d’épuration. La Martinique suit avec un taux de 83 % sur 143 stations recensées. En revanche, la situation reste préoccupante à La Réunion où seulement 13 % des 16 stations sont conformes aux normes actuelles. Ce très faible taux de conformité limite considérablement la capacité de l’île à maîtriser la qualité des rejets et à protéger les milieux aquatiques sensibles.

Taux de conformité : calculé uniquement à partir des stations des agglomérations de 2000 équivalent habitants ou plus
Sources – conformité des stations – ministère 2021, stations de traitement – Sandre 2021, réseau d’assainissement – SISPEA 2020

Pour Mayotte, qui dispose de 52 stations d’épuration, le baromètre ne permet pas de connaître précisément le taux de conformité. Quant à la Guyane, sur ses 57 stations, 74 % sont aujourd’hui aux normes.

En parallèle, la question de la réutilisation des eaux usées traitées reste pratiquement inexistante dans ces territoires. Pourtant, cette pratique pourrait devenir une réponse efficace face au stress hydrique croissant. L’objectif national est d’atteindre un taux de 10 % de réutilisation, un seuil qui reste encore très éloigné pour l’ensemble des DROM.

Mobilités décarbonées : un équipement encore embryonnaire

La réduction des émissions du secteur des transports représente l’un des piliers majeurs de la SNBC. Toutefois, dans les Outre-mer, le retard est encore très net sur les infrastructures favorisant la mobilité bas-carbone.

Premièrement, les mobilités douces peinent à se développer. Sur le plan des aménagements cyclables, les linéaires restent extrêmement faibles. La Réunion ne recense aucun mètre de piste cyclable structurée dans le baromètre. En Guadeloupe, le linéaire atteint seulement 5 km, la Martinique 11 km, Mayotte 40 km et la Guyane 76 km. Ces chiffres illustrent un réseau quasi inexistant au regard de l’objectif national de 2 mètres linéaires par habitant et de 12 % de part modale du vélo à horizon 2030.

Sources : parc automobile – Ministère 2022, bornes de recharge véhicules électriques – Gireve septembre 2022

Deuxièmement, le développement de la mobilité électrique montre lui aussi un important décalage. Les cinq départements ultramarins totalisent 6 998 véhicules électriques en circulation, desservis par 3 310 bornes de recharge publiques. Le ratio atteint ainsi un point de recharge pour 249 véhicules électriques, alors que la cible nationale vise un ratio de 1 pour 10. Ce sous-équipement freine naturellement la montée en puissance du parc électrique.

Enfin, l’offre de transports collectifs reste souvent limitée. Hormis quelques réseaux urbains partiels, les DROM ne disposent pas encore de systèmes structurants (tramways, lignes ferroviaires, corridors de bus rapides) comparables à ceux en développement dans plusieurs métropoles hexagonales.

Artificialisation : la pression foncière amplifie les enjeux

La lutte contre l’artificialisation des sols prend une acuité particulière dans des territoires insulaires confrontés à une forte pression démographique et à une disponibilité foncière restreinte. Le baromètre FNTP-CERC révèle ainsi des taux de consommation d’espace bien supérieurs à la moyenne nationale.

Source – Cerema – octobre 2022

La Guadeloupe consomme chaque année 1 888 hectares d’espaces naturels, soit un taux annuel de 1,2 %. La Martinique enregistre un rythme similaire avec 1 336 hectares consommés par an. La Réunion atteint 2 608 hectares, correspondant à un taux de 1,0 %. Ces rythmes sont plus de deux fois supérieurs à la trajectoire intermédiaire fixée par la SNBC, qui vise à diviser par deux la consommation de foncier d’ici 2030, avant l’objectif final de Zéro Artificialisation Nette en 2050.

Seule la Guyane présente une situation foncièrement différente, avec seulement 1 434 hectares artificialisés et un taux proche de zéro. Cette particularité résulte de l’immensité de son territoire encore très forestier, bien que sous pression croissante en périphérie des zones urbaines.

Des filières émergentes encore peu développées

Au-delà des infrastructures classiques, les filières énergétiques émergentes restent encore en phase de démarrage dans les Outre-mer. Le baromètre souligne l’absence de données individualisées concernant le développement du biométhane, de l’hydrogène ou encore des capacités industrielles d’énergies renouvelables électriques dans ces territoires.

Pourtant, les potentiels existent, notamment sur le solaire et l’éolien, compte tenu des ressources naturelles disponibles. Toutefois, ces projets se heurtent également à des contraintes techniques spécifiques aux territoires insulaires : coûts élevés de raccordement aux réseaux, capacité limitée de stockage de l’énergie, mais aussi dépendance forte à l’importation d’équipements et de savoir-faire industriels.

Le manque de projets d’envergure et l’absence de structuration industrielle locale freinent aujourd’hui la montée en puissance de ces filières, alors qu’elles devront jouer un rôle essentiel dans la décarbonation progressive des territoires ultramarins d’ici 2050.


Consulter ici le Baromètre interrégional des infrastructures de la transition écologique


Le baromètre FNTP-CERC fournit un éclairage précis et chiffré sur les écarts de trajectoire existants entre l’Hexagone et les Outre-mer dans la transformation des infrastructures face au changement climatique.

Pour respecter les objectifs de la SNBC, ces territoires exigeront des investissements calibrés à leurs contraintes physiques, économiques et démographiques, ainsi qu’une planification technique particulièrement adaptée aux réalités ultramarines.

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