Le secteur du bâtiment entre dans une nouvelle ère de responsabilité climatique. En janvier 2025, l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID) a publié un guide d’application sectorielle de la Science-Based Targets initiative (SBTi), posant les bases d’une transformation profonde des pratiques immobilières. Ce cadre impose désormais des objectifs chiffrés, précis, et universels, en matière de réduction d’émissions carbone.
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Un cadre international pour la décarbonation du secteur immobilier
La Science-Based Targets initiative (SBTi), portée par des organisations comme le CDP, le WRI, le Pacte mondial des Nations Unies et le WWF, fournit un cadre de référence pour aligner les objectifs climatiques des entreprises avec les exigences de l’Accord de Paris. Le document précise l’application de cette initiative au secteur du bâtiment, un des plus émetteurs de gaz à effet de serre.
Basé sur le GHG Protocol, le cadre impose aux entreprises de mesurer leurs émissions selon trois niveaux : Scope 1 (directes), Scope 2 (indirectes liées à l’énergie), et Scope 3 (indirectes tout au long de la chaîne de valeur).
L’objectif est clair : fixer des réductions alignées sur une trajectoire de réchauffement à 1,5 °C. Ce niveau de précision dans la catégorisation permet d’identifier les leviers les plus efficaces pour réduire l’empreinte carbone globale.
Des seuils carbone chiffrés à atteindre d’ici 2030
La SBTi précise désormais des niveaux d’émissions cibles par type d’usage. Pour les bureaux, l’objectif à atteindre d’ici 2030 est de 10,41 kg CO2e/m²/an. Les logements collectifs doivent viser un seuil de 7,07 kg CO2e/m²/an pour l’exploitation. Quant aux constructions neuves de logements, les émissions incorporées (liées aux matériaux et travaux) ne devront pas excéder 264 kg CO2e/m².
Ces chiffres sont plus ambitieux que les exigences réglementaires comme la RE2020, ce qui en fait un véritable outil d’entraînement du secteur vers une trajectoire bas carbone plus rapide et plus rigoureuse. Ils imposent une anticipation accrue des choix constructifs, une évaluation fine du mix énergétique, ainsi qu’un suivi annuel rigoureux des performances réelles.
Deux catégories d’émissions à prendre en compte
Les émissions du secteur immobilier sont regroupées en deux grandes familles. D’une part, les émissions dites opérationnelles, qui découlent de l’utilisation des bâtiments : chauffage, climatisation, éclairage, consommation électrique et fuites de fluides frigorigènes. D’autre part, les émissions incorporées, moins visibles mais essentielles, issues de la fabrication et du transport des matériaux, ainsi que de la construction elle-même.
La prise en compte de ces deux sources permet d’adresser l’ensemble du cycle de vie du bâti, depuis la conception jusqu’à l’usage, et offre une vision plus exhaustive de l’empreinte carbone réelle des opérations immobilières. C’est aussi un levier stratégique pour les promoteurs souhaitant valoriser la performance environnementale de leurs projets dès la phase amont.
Qui est concerné par les nouveaux critères ?
Le cadre ne s’adresse pas uniquement aux promoteurs. Il vise un ensemble large d’acteurs : investisseurs immobiliers, gestionnaires d’actifs, foncières, bailleurs, utilisateurs commerciaux, mais aussi banques et institutions financières. Tous sont incités à fixer des objectifs décarbonation selon les seuils définis.
Deux cas rendent l’engagement obligatoire : si les émissions opérationnelles ou incorporées représentent plus de 20 % du total des émissions de l’entreprise, alors celle-ci doit fixer un objectif SBTi pour ce poste. Cette logique incitative renforce la responsabilité directe des décideurs du secteur. Elle incite également à une meilleure traçabilité des données et à une organisation interne adaptée pour structurer la comptabilité carbone à l’échelle de l’entreprise ou du portefeuille.
Quatorze critères pour structurer l’action des entreprises
Le document identifie 14 critères obligatoires (C) et 10 recommandations (R). On y retrouve :
- C1. Seuil d’émissions opérationnelles : Obligation de fixer un objectif si les émissions opérationnelles des bâtiments représentent > 20 % des émissions totales.
- C2. Seuil d’émissions incorporées : Obligation de fixer un objectif si les émissions incorporées des bâtiments neufs représentent > 20 % des émissions totales sur 3 ans.
- C3. Identification des entreprises concernées : Précise les catégories d’acteurs visés : promoteurs, investisseurs, propriétaires, gestionnaires, etc.
- C4. Méthodes autorisées pour fixer les objectifs : SDA (Sector Decarbonization Approach) et réduction absolue sectorielle sont les seules méthodes valides.
- C5. Sélection de trajectoires sectorielles validées : L’entreprise doit choisir des trajectoires compatibles avec la limitation à 1,5°C.
- C6. Approche “bâtiment entier” obligatoire : Les émissions des espaces contrôlés par le propriétaire ET les locataires doivent être intégrées.
- C7. Intégration des émissions fugitives : Les fuites de fluides frigorigènes doivent être incluses dans les émissions opérationnelles.
- C8. Inclusion obligatoire de certaines catégories du Scope 3 : Par exemple : émissions incorporées des bâtiments neufs vendus, émissions opérationnelles des bâtiments gérés, etc.
- C9. Année de référence pour les objectifs sur les émissions incorporées : L’année de référence choisie doit être cohérente et documentée.
- C10. Définition uniforme du dénominateur (m²) : La surface de plancher utilisée pour calculer l’intensité carbone doit rester constante sur la durée.
- C11. Hypothèses sur la durée de vie des bâtiments : Les objectifs doivent indiquer la durée de vie retenue pour les calculs ; 60 ans recommandés.
- C12. Agrégation des objectifs à l’échelle de l’entreprise : L’entreprise doit justifier comment elle consolide les objectifs site par site ou actif par actif.
- C13. Comptabilisation basée sur la localisation (location-based) : Les émissions Scope 2 doivent être comptabilisées avec cette méthode.
- C14. Fin des équipements fossiles neufs : Les entreprises doivent s’engager à ne plus installer de nouveaux équipements fossiles d’ici 2030.
Certaines recommandations méritent également attention : définir une durée de vie commune des bâtiments à 60 ans (R5), inclure les projets franchisés (R3), ou encore améliorer l’efficacité énergétique (R10).
L’ensemble forme une trame méthodologique complète, incitant les entreprises à adopter une approche transversale de la décarbonation, intégrée à la gouvernance, à la conception technique, et aux modèles économiques.
Fixer ses objectifs carbone : quelles méthodes choisir ?
Deux approches principales sont proposées. La plus utilisée, la Sector Decarbonization Approach (SDA), repose sur une logique d’intensité carbone exprimée en kg CO2e/m², différenciée selon la typologie du bâtiment (bureaux, logements…) et sa localisation. Cette méthode est idéale pour les acteurs en croissance, car elle tient compte de l’évolution prévisible du parc immobilier.
L’autre méthode, dite de réduction absolue sectorielle, impose une baisse nette des émissions totales en valeur absolue. Les deux sont reconnues, et permettent aux entreprises de choisir en fonction de leur profil, notamment si elles gèrent un parc en croissance ou une activité plus mature.
Le cadre est également compatible avec l’outil CRREM, qui fournit des trajectoires nationales par type d’usage. La SBTi intègre davantage les émissions incorporées, tandis que CRREM est centré sur l’opérationnel. L’articulation des deux approches permet de répondre à des exigences réglementaires, de marché et d’investissement de plus en plus ciblées.
Une comptabilité rigoureuse sur tout le cycle de vie
Les obligations comptables varient selon l’activité et le type de bâtiment. Pour les constructions neuves, les émissions de catégorie 2 du Scope 3 (biens d’équipement) et les émissions de franchises (catégorie 14) sont à prendre en compte. La précision des données en amont de chantier devient alors cruciale, notamment pour les marchés publics ou les démarches de certification.
Pour les bâtiments existants, la maintenance (catégorie 1), l’usage sur toute la durée de vie (catégorie 11), et la gestion locative (catégorie 13) doivent figurer dans l’inventaire. Une durée de vie standard de 60 ans est recommandée pour l’estimation des émissions à long terme. Cela permet d’uniformiser les comparaisons et d’encourager les stratégies de rénovation durable plutôt que la démolition-reconstruction.
Les Property Managers, quant à eux, disposent d’une certaine flexibilité : ils peuvent choisir entre la méthode SDA ou le standard générique Net-Zero Corporate s’ils le jugent plus pertinent. Cette souplesse vise à faciliter l’intégration des critères climatiques dans les référentiels d’exploitation immobilière, tout en maintenant une exigence de transparence sur les résultats.
Échéances, obligations de transparence et ressources disponibles
Les critères SBTi doivent être appliqués intégralement pour toute nouvelle soumission ou revalidation d’objectifs, au plus tard six mois après la publication de la version 1.0. Les PME bénéficient d’une exception temporaire. Cela laisse un délai d’adaptation pour intégrer les nouvelles exigences dans les reporting extra-financiers ou les plans d’action climat.
Côté transparence, la SBTi impose une déclaration publique des objectifs : les entreprises doivent publier à la fois l’intensité carbone et les émissions en valeur absolue, en s’appuyant sur une méthode de comptabilisation location-based. Ce dispositif vise à prévenir toute forme de greenwashing. Il permet aussi aux parties prenantes (investisseurs, collectivités, clients) d’évaluer le sérieux des engagements pris.
Enfin, plusieurs ressources sont mises à disposition : des critères normatifs, un guide explicatif et un outil de fixation d’objectifs au format Excel pour calculer les trajectoires de décarbonation de portefeuilles immobiliers. Ces supports assurent une montée en compétence progressive des acteurs et renforcent l’alignement avec les standards internationaux.
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