À quelques jours de l’examen en séance publique du projet de loi pour la refondation de Mayotte, le MEDEF local monte au créneau. Dans un communiqué publié le 20 juin, l’organisation patronale tire la sonnette d’alarme sur les conséquences économiques d’une suppression jugée prématurée du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), encore en vigueur sur l’île. Le remplacement de ce dispositif par la LODEOM sociale, prévu par ordonnance, suscite de vives inquiétudes, tant sur le fond que sur la méthode.
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Un territoire en grande fragilité économique
La prise de position du MEDEF intervient dans un contexte de forte instabilité économique à Mayotte, aggravée par le passage du cyclone Chioda. Les indicateurs sont au rouge : taux de chômage estimé à 40 %, chute des importations, consommation en repli, activité économique en berne. L’indice du climat des affaires, publié par l’IEDOM, est en net déclin.
Par ailleurs, plusieurs dispositifs d’urgence restent en suspens : prolongement des suspensions de charges, reconduction du chômage partiel jusqu’à fin 2025, versement des aides exceptionnelles. Autant d’incertitudes qui pèsent lourdement sur la trésorerie et les perspectives des entreprises locales. Le MEDEF dénonce également l’absence de communication claire de la part du ministère des Outre-mer, malgré les engagements exprimés au Sénat en mai dernier par Manuel Valls.
CICE remplacé par la LODEOM : un virage risqué
Au cœur de la polémique : la disparition du CICE, dispositif encore actif uniquement à Mayotte, dont la suppression a été actée en commission des lois sans étude d’impact préalable. Ce crédit d’impôt représentait pourtant un levier fiscal significatif pour les entreprises, en proportion de leur développement et de leur masse salariale.
Pour le MEDEF, cette décision est d’autant plus problématique qu’elle intervient alors que s’accélère le processus de convergence sociale, c’est-à-dire l’alignement progressif du coût du travail sur les standards nationaux. Or, cette convergence, qui alourdit mécaniquement les charges patronales, devait être compensée par le maintien ou le renforcement du CICE. Le remplacer par le volet social de la LODEOM, sans garantie équivalente, fait peser un risque majeur sur la compétitivité locale. « Il nous paraît trop précipité de supprimer le CICE sans certitude d’un allègement des charges équivalent », alerte l’organisation dans son communiqué.
Une mise en œuvre jugée juridiquement et techniquement bancale
Le mode de déploiement prévu pour la LODEOM sociale est également contesté. Le texte prévoit une mise en œuvre par voie d’ordonnance, ce que le MEDEF Mayotte juge inapproprié, en s’appuyant sur une jurisprudence constitutionnelle précise. Selon l’organisation patronale, « la Constitution n’autorise pas à prendre par ordonnance des mesures qui relèvent du champ exclusif des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale », en référence à la décision du Conseil constitutionnel n°99-421 DC du 16 décembre 1999. Dès lors, la faisabilité juridique du dispositif apparaît particulièrement incertaine.
À cela s’ajoute un problème de faisabilité. Appliquer une LODEOM adaptée à Mayotte en moins de six mois est jugé irréaliste par les chefs d’entreprise. Le dispositif LODEOM est complexe, multi-formes, et doit être adapté aux spécificités économiques, sectorielles et aux priorités locales. De surcroît, le régime LODEOM national est lui-même en cours de réforme, notamment sur les allègements généraux, rendant toute adaptation immédiate hasardeuse.
Le MEDEF appelle à une réforme en deux étapes
Face à ces incertitudes, le MEDEF Mayotte propose une approche en deux temps, rejoignant ainsi la position exprimée par la FEDOM. Il demande dans l’immédiat la consolidation du CICE, avec une adaptation si nécessaire aux contraintes actuelles. Ensuite seulement pourrait être engagée une refonte du système d’exonérations via la LODEOM, mais dans un cadre clair, concerté, et inscrit dans un projet de loi budgétaire (par exemple le PLFSS 2026).
Ce travail de fond, insiste l’organisation patronale, doit impérativement être réalisé avec les représentants du monde économique local, sur la base d’études d’impact fiables et transparentes. Sans cela, la réforme risque de déséquilibrer davantage un territoire déjà sous tension.
Un appel à la responsabilité parlementaire
À l’instar de la FEDOM, le MEDEF Mayotte souhaite que l’Assemblée nationale revienne en séance publique sur les dispositions adoptées en commission. Au-delà de la procédure, c’est la nécessité d’un débat économique lucide et adapté à la réalité ultramarine qui est en jeu.
Dans un territoire où l’emploi, la croissance et la stabilité sociale dépendent directement de la viabilité des dispositifs fiscaux et sociaux, une réforme aussi structurante ne peut être précipitée, rappelle l’organisation. Sans garanties solides sur le contenu, les délais et les effets d’un nouveau mécanisme, la disparition brutale du CICE pourrait avoir l’effet inverse de celui recherché : freiner l’activité, limiter les embauches, et fragiliser durablement les entreprises.