MAYOTTE. le CESE appelle à une refondation réelle, pas seulement déclarative

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refondation Mayotte

Le 16 avril 2025, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a publié un avis sans ambiguïté sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte. L’institution ne se contente pas de saluer les intentions : elle réclame un passage à l’acte, rapide, coordonné et mesurable. L’île traverse une crise profonde, et chaque mois sans action compromet un peu plus l’égalité républicaine. Le message est clair : il ne s’agit plus de promettre, mais de transformer.

 

Une loi de programmation très attendue dans un climat d’urgence sociale et climatique

Mayotte traverse une phase critique. En mars 2025, le gouvernement soumet un projet de loi de programmation censé amorcer une réelle refondation du territoire. Ce texte intervient dans un contexte où l’île est frappée de plein fouet par les conséquences de deux cyclones destructeurs, Chido et Dikeledi.

Mais au-delà des catastrophes naturelles, c’est un empilement de défaillances structurelles que le CESE met en lumière : pauvreté massive, système de santé à bout de souffle, école débordée, réseaux d’eau et d’électricité sous-dimensionnés, logements insalubres, et prestations sociales largement inférieures à celles de l’Hexagone.

Face à cela, l’avis du CESE pose un cadre clair. Il reconnaît l’intérêt du projet de loi, mais conditionne sa réussite à un pilotage rigoureux, une concertation constante avec les forces vives du territoire, et une mise en œuvre immédiate des engagements de l’État.

 

Quatorze priorités, un seul impératif : l’égalité républicaine

Justice sociale et urgences démographiques

Le CESE commence par un préalable méthodologique essentiel : sans un recensement exhaustif de la population, impossible de calibrer les politiques publiques. L’INSEE estime que Mayotte pourrait compter jusqu’à 760 000 habitants en 2050. Aujourd’hui encore, environ 70 000 personnes ne sont pas affiliées à la Sécurité sociale. Comment prévoir des infrastructures, des hôpitaux, des écoles, sans données solides et à jour ?

Les chiffres sont brutaux : 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, les allocations comme le RSA sont deux fois inférieures à celles versées dans l’Hexagone, et le non-recours aux droits concerne près de 30 % des personnes éligibles. Cette pauvreté touche plus durement les femmes, les familles monoparentales, les jeunes, et produit une déscolarisation massive. Le CESE exige que l’égalité républicaine soit effective au plus tard en 2027, et non 2031 comme prévu initialement.

La situation sanitaire est tout aussi alarmante : Mayotte compte quatre fois moins de médecins que la moyenne nationale. L’espérance de vie y est la plus basse de France. Le Centre hospitalier de Mamoudzou est saturé, en sous-effectif chronique, et ne peut assurer un accès aux soins minimal. Le CESE soutient la création d’un deuxième hôpital et la réouverture des dispensaires. Il demande aussi la valorisation des professionnels de santé en poste et la reconnaissance des diplômes étrangers, notamment pour les PADHUE.

Côté éducation, le constat est glaçant : une classe sur deux est surchargée, 6 000 enfants ne sont pas scolarisés en maternelle, et les rotations de demi-journée sont encore la norme. L’objectif fixé : 100 classes construites par an jusqu’en 2031. Le CESE insiste sur l’adaptation des bâtiments aux normes sismiques et climatiques, sur la pérennisation de la cantine à 1 euro, et sur la nécessité d’un enseignement plus ancré dans les réalités culturelles et linguistiques du territoire.

 

Enjeux climatiques, eau et transition énergétique

Le CESE alerte sur un risque existentiel : la montée des eaux menace directement 80 % des constructions du territoire, dont l’aéroport de Petite-Terre. Il demande la révision immédiate des schémas d’urbanisme, avec des zones de non-constructibilité littorale et le déplacement des infrastructures hors zones submersibles. Des PPRN doivent être généralisés. La culture du risque, encore peu intégrée, doit faire l’objet de campagnes ciblées dans les établissements scolaires et dans les quartiers vulnérables.

Sur l’eau potable, le Plan Eau-DOM prévoit 730 millions d’euros d’investissements d’ici 2027. Une deuxième usine de dessalement est en projet, ainsi qu’une troisième retenue collinaire. Mais le CESE insiste : le coût de l’eau, qui représente jusqu’à 25 % du budget de certains ménages, impose la création d’un tarif social avec forfait minimum. Il propose aussi un échelonnement mensuel du paiement des factures, ainsi qu’un renforcement de la surveillance sanitaire, aujourd’hui trop lacunaire.

Concernant l’énergie, l’île reste dépendante de ressources importées. Le CESE appelle à une politique plus volontariste : photovoltaïque, agrivoltaïsme, valorisation locale des déchets. Surtout, il demande la nationalisation d’Électricité de Mayotte (EDM) par EDF SEI pour garantir un pilotage industriel cohérent et stratégique. Il alerte également sur la nécessité de former localement des techniciens capables de maintenir les installations.

 

Cadre de vie, habitat et développement

Les deux cyclones ont fait plus que détruire : ils ont révélé l’insuffisance chronique des politiques de logement. L’urgence est à une reconstruction massive, mais aussi à une réorientation de fond. Le CESE propose de relancer les filières locales de brique en terre compressée (BTC), d’utiliser les savoir-faire traditionnels et de défiscaliser la construction intermédiaire. Il plaide pour une adaptation régionale des normes européennes afin de réduire les coûts de construction, supérieurs de 30 à 40 % par rapport à l’Hexagone.

Il alerte aussi sur l’assurabilité des constructions : moins de 10 % des logements étaient assurés avant les cyclones. Il demande la mise en place d’une couverture encadrée par l’Etat avec prime alignée sur celle de l’Hexagone. À cela s’ajoute la nécessité de former les artisans, structurer les coopératives locales de construction, et intégrer les techniques de bioclimatisme dans tous les nouveaux permis de construire.

Le CESE évoque également l’aménagement global du territoire : il propose de repenser la densité urbaine, de mieux relier les pôles de vie par des transports publics, et d’introduire plus de cohérence entre habitat, réseaux d’eau et d’énergie, services publics et résilience environnementale.

 

Gouvernance et pilotage territorialisé

Enfin, le CESE insiste sur un élément central : l’État ne peut plus gouverner à distance. Il recommande une gouvernance associant systématiquement les acteurs mahorais (CESEM, syndicats, collectivités), et le déploiement d’une cellule locale chargée du suivi, de l’évaluation et de la transparence des engagements. La clef, selon l’avis : un échéancier clair, des objectifs territorialisés, et une capacité réelle d’arbitrage et d’exécution sur le terrain.

Cette gouvernance doit être transparente : chaque euro investi devrait faire l’objet d’un suivi public. Le CESE recommande aussi que l’État mette à disposition l’ingénierie publique (Cerema, AFD, BRGM, ANCT) pour renforcer les capacités des collectivités locales, encore trop souvent démunies pour gérer les grands projets.

 

Ce que le CESE exige concrètement du gouvernement

L’avis n’est pas une simple validation technique. Il constitue une feuille de route alternative. Le CESE pose plusieurs lignes rouges :

  • 2027 comme date butoir pour l’égalité des prestations sociales, et non 2031
  • Alignement immédiat des titres de séjour à Mayotte avec le droit commun
  • Nationalisation d’EDM, avec mise sous tutelle industrielle de sa gouvernance
  • Tarif social de l’eau et suivi des subventions de l’Etat par la Chambre régionale des comptes
  • Accompagnement des entreprises dans la convergence du SMIC et des cotisations
  • Généralisation du dispositif cantine à 1 € et des aides à la petite enfance
  • Mise en place d’une couverture assurantielle publique obligatoire pour les constructions

La réussite passera par une volonté politique ferme et une évaluation constante

La loi de programmation n’en est pas à sa première tentative. Depuis vingt ans, Mayotte a connu de nombreux plans, souvent très ambitieux, rarement tenus. Le CESE, en insistant sur un pilotage local, un suivi régulier, et des calendriers publics, invite l’Etat à sortir d’une logique de promesses et à rentrer dans une logique d’exécution.

Derrière chaque axe du projet, il y a des dizaines de milliers de citoyens, souvent invisibles, mais bien réels. Le CESE donne à ces enjeux une forme de contrat moral : celui de réparer, avec volonté, les fractures républicaines.


refondation Mayotte

Consulter ici l’avis sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte – CESE


 

 

Une obligation de résultat, pas un pari de plus

Il ne suffira pas d’avoir une loi ambitieuse, ni même un plan bien rédigé. Ce qui compte désormais, ce sont les actes. Chaque décision reportée, chaque financement non exécuté, fragilise un peu plus la cohésion du territoire. L’avis du CESE ne laisse pas place au doute : l’État est attendu au rendez-vous de l’histoire. Et cette fois, il ne pourra pas se permettre de le manquer.

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