Le passage du cyclone CHIDO en décembre 2024 a poussé de nombreux acteurs à s’interroger sur la vulnérabilité de Mayotte face aux risques naturels. Dans ce contexte, l’École urbaine de Sciences Po a consacré un projet collectif à l’habitat précaire et informel en zone à risque. Ce travail, mené début 2025, propose une analyse approfondie des dynamiques locales, des réponses institutionnelles et des pistes de résilience pour l’île.
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Le cyclone Chido, révélateur des fragilités
Le 14 décembre 2024, le cyclone tropical CHIDO a frappé Mayotte avec une violence inédite. Classé en catégorie 4, il a balayé l’île avec des rafales atteignant 250 km/h, détruisant ou endommageant près de 59 % des habitations. Parmi elles, 27 % ont été totalement anéanties. Les communes de Mamoudzou, Koungou et Tsingoni, qui concentrent une part importante de la population et des activités économiques, ont été les plus touchées.
Dans ces zones, de nombreux habitants vivaient dans des quartiers précaires et informels, où les maisons en tôle ont été arrachées et les toits des bâtis en dur soufflés. La disparition de la végétation a laissé apparaître, pour la première fois à grande échelle, l’empreinte urbaine de ces quartiers longtemps sous-estimés.
Le cyclone a agi comme un révélateur brutal : il a exposé au grand jour la vulnérabilité structurelle du territoire, mais aussi la faiblesse d’un système institutionnel incapable d’anticiper et de protéger efficacement ses habitants.
Un territoire où l’habitat précaire et informel domine
À Mayotte, l’habitat précaire et informel n’est pas marginal : il constitue la norme pour une grande partie de la population. Selon les estimations, 38 % des logements sont construits en tôle et considérés comme précaires, tandis que jusqu’à 98 % du bâti peut être qualifié d’informel si l’on applique strictement le droit français. Ces quartiers abritent près de 40 % des Mahorais, dont 20 à 27 % de ressortissants français.
Loin de l’image caricaturale du “bidonville”, ces espaces sont diversifiés : on y trouve des cases en tôle rudimentaires, des habitations semi-dur combinant fondations en béton et toiture en tôle, ou encore des maisons en parpaing à étages inachevés.
Cette diversité s’explique par une dynamique locale de « durcification », renforcée après le cyclone Chido, les habitants cherchant à consolider leurs logements en investissant dans le béton.
Les pratiques sociales façonnent aussi le paysage. La tradition matrilinéaire conduit souvent à surélever les maisons lors du mariage d’une fille, afin de lui permettre de créer son propre foyer. Ces ajouts successifs densifient verticalement les quartiers.
Parallèlement, la croissance démographique alimente une urbanisation rapide et largement informelle : chaque année, plus de logements informels sont construits que de logements formels. La jeunesse accentue cette pression : la moitié de la population mahoraise a moins de 20 ans, tandis que les revenus restent extrêmement faibles, autour de 160 euros par mois en moyenne.
Cette situation entraîne une dépendance à l’auto-construction et à des stratégies d’adaptation improvisées, dans des conditions de précarité sociale et juridique souvent cumulées.
Des réponses institutionnelles critiquées et des initiatives locales limitées
Face à cette réalité, les dispositifs publics apparaissent insuffisants et parfois inadaptés. L’outil principal, la Résorption de l’Habitat Insalubre (RHI), vise à démolir les logements jugés irrécupérables et à reloger les habitants dans des quartiers neufs. Or, cette logique est critiquée : rares sont les familles relogées sur site, et beaucoup se réinstallent ailleurs dans des bidonvilles encore plus exposés.
La loi Élan facilite les procédures d’expropriation, mais au prix d’un sentiment de dépossession et d’injustice parmi les habitants. En pratique, la RHI ne réduit pas la vulnérabilité aux risques naturels, et contribue parfois à l’aggraver.
Des exemples de terrain contrastés
Les cas concrets étudiés à Mayotte illustrent cette ambivalence.
- À Majicavo Koropa, une quarantaine de logements précaires ont été remplacés par des habitations simplifiées financées par le dispositif de Logement Locatif Très Social Adapté (LLTSA). Mais la capacité de relogement est restée insuffisante.
- À Carobole, la démolition de 200 habitations a débouché sur la construction de 421 logements sociaux. Ce projet ambitieux a toutefois suscité de vives critiques : démolitions rapides, relogements temporaires mal adaptés, et faible retour des anciens habitants sur place.
- À Mahabourini, la mairie de Mamoudzou a expérimenté une approche différente, plus progressive, combinant auto-construction encadrée par Actes & Cités et interventions d’AIR Architectures.
- À Doujani, un projet de ZAC prévoit 700 à 900 logements, mais les shelters temporaires installés risquent de devenir des solutions durables par défaut.
- Par ailleurs, le Village-Relais de Tsoundzou II, porté par l’EPFAM et Coallia, a proposé une alternative transitoire avec 31 maisons en bois, résistantes au cyclone CHIDO. Mais le site, conçu pour 240 personnes, a vite été saturé.
La gestion post-CHIDO a confirmé ces limites. Si l’État a réagi rapidement dans un premier temps (déblaiement, pont aérien avec La Réunion), les dysfonctionnements sont vite apparus : distribution d’aide alimentaire et d’eau lente et inégalitaire, restrictions imposées sur l’achat de tôles, et manque de transparence dans la répartition des ressources. La coordination entre la préfecture, les communes et le département a été jugée défaillante, nourrissant des tensions politiques. Les habitants les plus précaires, notamment ceux sans titre de séjour, ont été les plus pénalisés, se retrouvant en marge des dispositifs d’assistance.
Le ressenti général a été celui d’un abandon, renforçant une défiance déjà ancienne vis-à-vis de l’État. Dans ce contexte, les associations locales – comme le CAUE – ont tenté de combler les manques par des tables rondes et initiatives locales, mais leurs moyens restaient limités face à l’ampleur de la catastrophe.
Mayotte, un laboratoire de résilience : quelles leçons pour la France et les Outre-mer ?
Au-delà du constat, le rapport invite à tirer des leçons de Mayotte pour penser la résilience à une échelle plus large. Plusieurs expériences internationales offrent des pistes transposables.
À Cuba, la mise en place de centres locaux de gestion des risques assure une meilleure coordination et une réponse plus rapide aux catastrophes. Aux Fidji et aux Salomon, les relogements planifiés sont strictement encadrés et réalisés avec la participation active des habitants. Au Japon, l’architecte Shigeru Ban a développé des solutions d’urgence innovantes – Paper Partition et Paper Log House – qui allient rapidité de déploiement, dignité et faible coût. Dans le Pacifique, les Faré OPH en Polynésie constituent un exemple de logement social adapté aux zones cycloniques, construit sur pilotis et conforme aux normes de sécurité. Enfin, au Pakistan, l’Orangi Pilot Project illustre comment les habitants peuvent s’organiser collectivement pour améliorer leur cadre de vie avec des solutions techniques simples et peu coûteuses.
Recréer une culture du risque et renforcer l’ancrage local
À Mayotte même, plusieurs initiatives locales mériteraient d’être renforcées. Les fiches pratiques élaborées par le CAUE offrent des conseils techniques pour rendre les habitations plus résistantes. La permanence architecturale du lycée de Longoni a expérimenté des chantiers ouverts et participatifs, favorisant la transmission des savoir-faire et l’appropriation par les habitants. Le projet de scierie mobile, en valorisant le bois local issu des dégâts du cyclone CHIDO, illustre une voie vers une reconstruction plus durable et moins dépendante des importations.
La résilience ne peut cependant se limiter aux seuls aspects techniques. Le rapport souligne l’importance de reconstruire une culture du risque à Mayotte, aujourd’hui largement absente. Contrairement à La Réunion ou Madagascar, l’île a perdu une partie de sa mémoire collective des cyclones.
Pour y remédier, l’AFPCNT a lancé des ateliers basés sur les témoignages oraux, mobilisant notamment des conteuses mahoraises pour transmettre l’expérience des catastrophes aux jeunes générations. L’Académie de Mayotte a, de son côté, développé une plateforme pédagogique intégrant vidéos, jeux interactifs et supports visuels, afin de sensibiliser les élèves aux risques naturels et aux comportements adaptés.
Ces initiatives, encore modestes, visent à recréer un lien entre mémoire, transmission et anticipation, indispensable pour renforcer la résilience sociale et collective.
Ces exemples convergent vers une idée centrale : la reconstruction post-CHIDO peut être saisie comme une opportunité pour transformer la gouvernance des risques et l’aménagement du territoire. Elle suppose de mettre en avant la participation des habitants, la relance d’une culture locale du risque, la mise en place de mécanismes de financement plus équitables et une meilleure coordination entre acteurs locaux et nationaux.
Mayotte, dans ce sens, apparaît comme un terrain d’expérimentation précieux, dont les enseignements dépassent largement son territoire.

Source : MAYOTTE – Habitat précaire et informel en zone à risque / École urbaine de Sciences Po
Le rapport de l’École urbaine de Sciences Po sur l’habitat précaire et informel à Mayotte souligne que la reconstruction post-Chido ne peut se limiter à réparer les dégâts matériels. Elle doit ouvrir la voie à une transformation plus profonde, où gouvernance, inclusion sociale et innovation technique avancent de concert. Dans un territoire où la jeunesse et l’urbanisation rapide redessinent en permanence le paysage, la résilience ne se décrète pas : elle se construit pas à pas, en impliquant les habitants et en adaptant les solutions aux réalités locales.









