Entre blocages sociaux prolongés et cyclone dévastateur, l’année 2024 aura mis à rude épreuve l’économie mahoraise. Le rapport annuel économique 2024 publié par l’IEDOM dresse un constat sans appel : la conjoncture locale s’est effondrée sous l’effet combiné de ces chocs. Derrière les chiffres, c’est un tissu économique entier qui vacille, tandis que la relance se heurte à une accumulation d’obstacles structurels.
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Blocages, cyclone, instabilité : une année sous tension
La fragilité économique de Mayotte s’est brutalement révélée au cours d’un premier semestre dominé par six semaines de blocage de l’île. Dès janvier, un mouvement social paralyse les axes routiers et les circuits logistiques, entraînant une désorganisation quasi-totale de l’activité. Commerces fermés, approvisionnements coupés, chantiers à l’arrêt : aucun secteur n’est épargné.
À peine un redémarrage amorcé au printemps, c’est le cyclone Chido qui vient frapper le territoire en fin d’année. « Le passage du cyclone Chido, d’une violence inédite, a ravagé l’île et durablement affaibli son économie », rapporte l’IEDOM. Les conséquences sont d’une ampleur rare : outils de production endommagés, entrepôts inondés, flotte nautique détruite, hôtels inutilisables.
Ce double choc se reflète dans l’indicateur du climat des affaires (ICA), qui tombe à 101,9 points au quatrième trimestre. Une chute brutale, bien en deçà de la moyenne de longue période, et la plus forte enregistrée depuis trois ans. Le rapport insiste : « L’activité des principaux secteurs qui présentaient, avant CHIDO, des perspectives prometteuses, est aujourd’hui compromise ».
Une économie à l’arrêt malgré une inflation contenue
Sur le plan macroéconomique, l’inflation aurait pu constituer un facteur de stabilité. Elle ralentit en 2024 pour s’établir à +2,6 % en moyenne annuelle, contre +4,2 % en 2023. Un niveau proche de la cible de la Banque centrale européenne. Pourtant, cette donnée masque une tout autre réalité : celle d’une consommation en net recul.
Les ménages mahoraise réduisent leurs dépenses au strict nécessaire. Les importations de produits courants reculent de –2,6 %, une première depuis plus de quinze ans. La baisse est encore plus prononcée pour les biens d’équipement : –3,2 %, après un effondrement de –21,3 % en 2023. La tendance s’explique, selon le rapport, par l’ampleur exceptionnelle des perturbations.
Même les crédits à la consommation, historiquement en forte progression, marquent le pas. Leur encours ne progresse que de +0,3 %, après +13,2 % en 2023. Cette stagnation illustre une défiance grandissante, dans un contexte où les difficultés sociales, l’insécurité et la précarité hydrique pèsent sur les comportements d’achat.
Le BTP maintient la tête hors de l’eau
Malgré un contexte globalement dégradé, le secteur du bâtiment et des travaux publics parvient à préserver une dynamique positive. L’IEDOM note que le début d’année a été « compliqué » pour le BTP, mais qu’une relance rapide a suivi la levée des barrages. Les entreprises du secteur affichent des carnets de commandes remplis, des effectifs maintenus, et une demande soutenue.
Les chiffres confirment cette tendance : les crédits à l’investissement accordés aux entreprises progressent de +22,4 % en 2024, contre +14,6 % en 2023. Le BTP en capte une part importante. Cette orientation pourrait s’intensifier en 2025 avec les opérations de reconstruction.
Toutefois, le secteur n’est pas exempt de tensions. La trésorerie reste fragile, et les retards de paiement persistent. « Les délais de paiement et les niveaux de trésorerie dégradés demeurent la principale préoccupation des chefs d’entreprise », indique le rapport. Dans un environnement d’investissement incertain, le maintien de cette activité dépendra en grande partie du soutien public et de la stabilité administrative.
Des secteurs désorganisés, une reprise compromise
Les autres secteurs peinent davantage à se relever. Le commerce, fortement dépendant des flux logistiques, a vu sa fréquentation chuter dès le premier trimestre. Les interruptions d’activité, les difficultés d’importation et le recul de la consommation ont provoqué une désorganisation prolongée.
Les services marchands, eux, montrent une stagnation. Les carnets de commandes sont irréguliers, les trésoreries contraintes, et les prix ont continué d’augmenter.
Une amélioration timide au troisième trimestre est brutalement interrompue par Chido, renvoyant les entreprises à une situation précaire. « Il demeure, à ce jour, prématuré d’établir des prévisions d’activité à court terme », conclut l’IEDOM.
Le secteur touristique est le plus touché. Après le passage du cyclone, 45 % des hôtels sont fermés, et certains établissements restants sont réquisitionnés pour héberger les secouristes. La flotte nautique est hors d’usage à 51 %. Le tourisme maritime est à l’arrêt, tout comme les activités de séjour. Selon les professionnels interrogés, il faudra au moins six mois pour espérer un retour à la normale.
Activité bancaire en croissance, mais vigilance sur le surendettement
Étonnamment, la sphère bancaire affiche une dynamique soutenue. L’encours des dépôts bancaires atteint 1,2 milliard d’euros, en hausse de +14,5 %, tiré en grande partie par les entreprises (+41,1 %). Les ménages, eux, poursuivent la progression de leurs dépôts à vue (+11,3 %), bien que leur épargne de long terme s’érode.
L’encours des crédits aux entreprises progresse également (+13,7 %), en particulier les crédits de trésorerie (+31,4 %) et d’exploitation (+36 %). L’IEDOM suggère qu’une part de cette croissance pourrait traduire un attentisme stratégique : les entreprises mobilisent des liquidités en attente d’un contexte plus favorable à l’investissement.
Mais cette dynamique s’accompagne d’une hausse inquiétante de la sinistralité. Le taux de créances douteuses grimpe à 6,5 % fin 2024 (+2,3 points en un an). L’encours brut atteint 133,7 millions d’euros, soit une progression de +65,8 %. Ce niveau reflète à la fois l’ampleur des crises traversées et la fragilisation structurelle de nombreux acteurs économiques locaux.
Perspectives 2025 : reconstruire, mais autrement
L’année 2025 doit marquer un tournant. Pas seulement sur le plan de la reconstruction physique, mais aussi sur celui du modèle économique et territorial. Les chefs d’entreprise, comme les institutions, convergent sur un constat : Mayotte ne manque pas d’activité, mais d’organisation, d’infrastructures et de prévisibilité.
Le rapport insiste sur la nécessité de soutenir les TPE-PME, notamment par des aménagements des règles de la commande publique. La commande publique est d’ailleurs identifiée comme l’un des seuls leviers à court terme pour relancer l’économie.
L’IEDOM rappelle enfin que Mayotte, comme les autres DROM, est directement concernée par le nouveau Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC) 2025. Eau, biodiversité, agriculture, vulnérabilités littorales : tous les indicateurs montrent que l’île est « en première ligne des effets du changement climatique ». La reconstruction post-Chido pourrait ainsi devenir un levier d’adaptation structurelle, si les politiques publiques prennent en compte les spécificités du territoire.
Consulter ici le Rapport annuel économique 2024 de MAYOTTE – IEDOM