À l’heure où les conséquences du changement climatique s’intensifient dans les territoires ultramarins, Mayotte se retrouve face à une équation complexe : répondre à une demande croissante en bâtiments tertiaires tout en limitant sa dépendance énergétique. Sur ce territoire insulaire en pleine expansion, le secteur du bâtiment représente à lui seul 80 % de la consommation d’énergie. Or, la majorité des constructions récentes restent peu ou pas adaptées au climat local, et encore moins à celui des prochaines décennies.
C’est dans ce contexte que le projet CLIMAYOTTE, lauréat du programme OMBREE 2 (Outre-Mer pour des Bâtiments Résilients et Économes en Énergie), entend amorcer un changement de paradigme. Son ambition : équiper Mayotte des outils nécessaires pour concevoir un bâti tertiaire sobre, confortable et réellement ancré dans les réalités climatiques locales — présentes et futures.
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Une île sous pression : Mayotte face au mur énergétique
Avec une croissance démographique parmi les plus fortes de France, Mayotte connaît un essor urbain soutenu. Les besoins en infrastructures — notamment dans l’éducation, la santé, l’administration — explosent, entraînant une multiplication des projets de construction tertiaire.
Mais ce développement se heurte à un paradoxe énergétique : plus les bâtiments sortent de terre, plus la consommation du territoire grimpe, accentuant la dépendance aux énergies fossiles et au réseau électrique souvent saturé.
À cela s’ajoute un déficit réglementaire. Contrairement à la France hexagonale, aucun cadre normatif local n’impose la prise en compte du climat dans la conception des bâtiments. Résultat : la ventilation naturelle, l’orientation des façades ou encore la protection solaire restent souvent négligées, voire absentes.
En parallèle, la seule station météo officielle — située à Petite-Terre — ne reflète pas les microclimats variés de l’île. Les concepteurs sont donc contraints de travailler à partir de données incomplètes, menant à des choix parfois inadaptés et énergivores.
CLIMAYOTTE : un projet pour ancrer le bâtiment dans son climat réel et futur
Face à ce constat, le projet CLIMAYOTTE s’affirme comme une réponse structurante. Il vise à mieux connaître les spécificités climatiques du territoire mahorais pour orienter durablement les pratiques de conception.
Porté dans le cadre du programme OMBREE 2, lui-même adossé à PROFEEL, ce projet fédère des acteurs techniques, institutionnels et locaux autour d’un objectif commun : bâtir intelligemment, en phase avec le climat.
Parmi les actions phares : l’installation de deux nouvelles stations météorologiques sur des zones stratégiques de l’île. Ces équipements permettront de produire des données localisées, là où l’urbanisation est la plus dynamique.
À ces mesures s’ajoute l’instrumentation de bâtiments pilotes — comme le collège de Ouangani ou le technopole de Dembeni — afin d’analyser leur comportement thermique et aéraulique en conditions réelles. Ce travail de terrain permettra d’objectiver les effets des choix architecturaux : orientation, ventilation naturelle, inertie, etc.
Anticiper le climat de 2050 : un changement de paradigme pour le bâtiment mahorais
L’un des apports majeurs de CLIMAYOTTE réside dans son regard tourné vers l’avenir. À travers l’élaboration de fichiers météo projetés à l’horizon 2050, le projet introduit une logique d’anticipation climatique dans les démarches de conception.
Car si un bâtiment construit aujourd’hui est destiné à durer 30, 40 ou 60 ans, il doit être pensé dès l’origine pour affronter les températures, précipitations, vents et humidité de demain.
Concrètement, ces fichiers permettront d’intégrer dans les logiciels de simulation thermique dynamique (STD) des données adaptées aux futurs scénarios climatiques, afin de tester la robustesse des bâtiments dès la phase de conception. Cette approche proactive rompt avec la logique actuelle d’adaptation a posteriori, souvent coûteuse et inefficace.
En parallèle, CLIMAYOTTE travaille à la définition de nouveaux indicateurs de performance bioclimatique adaptés au territoire : seuils de ventilation naturelle, coefficients de confort thermique, capacité de déphasage…
Ces outils aideront les maîtres d’œuvre à prendre des décisions fondées sur des critères objectifs et prospectifs.
Du concept au concret : vers une architecture bioclimatique tropicale ancrée dans le terrain
Au-delà des données, CLIMAYOTTE entend transformer les pratiques. En instrumentant des bâtiments existants, les équipes du projet cherchent à comprendre ce qui fonctionne réellement en contexte tropical humide, et ce qui doit être corrigé.
Le technopole de Dembeni, conçu dès l’origine selon des principes bioclimatiques, sert ici de laboratoire à ciel ouvert. De même, le collège de Ouangani offre un cas d’étude précieux pour mesurer les performances réelles d’un bâtiment scolaire conçu avec sobriété.
Ces retours d’expérience alimenteront un corpus de recommandations concrètes, adaptées aux spécificités locales.
Grâce à cette approche territorialisée, CLIMAYOTTE ouvre la voie à une architecture bioclimatique tropicale contextualisée, à rebours des modèles standardisés importés de métropole. Une architecture qui ne s’improvise pas, mais se fonde sur l’observation fine du climat et la prise en compte des contraintes réelles d’occupation, de confort et de maintenance.
CLIMAYOTTE dans l’écosystème OMBREE et PROFEEL : une dynamique ultramarine
Lauréat du programme inter-Outre-mer OMBREE 2, CLIMAYOTTE s’inscrit dans une dynamique plus large visant à accélérer la transition énergétique dans les territoires ultramarins. Ce programme, porté par l’Agence Qualité Construction (AQC), soutient des projets innovants en Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion et Mayotte.
L’enjeu est de mutualiser les connaissances, d’adapter les outils aux réalités climatiques des DROM, et d’ancrer durablement des pratiques sobres et résilientes. En intégrant CLIMAYOTTE à cette logique collective, Mayotte affirme sa place dans le mouvement de l’innovation climatique décentralisée.
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