La Martinique compte aujourd’hui plus de 14 000 ménages en quête d’un logement social, selon le fascicule publié par l’Union sociale pour l’habitat (USH) à partir des données du Système national d’enregistrement (SNE) arrêtées au 31 décembre 2023. Un chiffre qui ne cesse de croître alors même que la population baisse. Derrière cette apparente contradiction, les statistiques révèlent une réalité préoccupante : une demande tirée par la précarité et un parc social qui peine à répondre aux besoins, notamment pour les petits logements.
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Une demande en hausse malgré une démographie en recul
Fin 2023, 14 082 ménages, soit près de 27 400 personnes, attendaient un logement social en Martinique. En cinq ans, la demande a progressé de 13 %, alors que la population a reculé de 6 %.
Cette divergence illustre la tension croissante qui pèse sur le secteur. Depuis la sortie de la crise sanitaire, la courbe s’est accentuée : +10 % en 2022, +7 % en 2023. Le creux de 2020 apparaît ainsi comme une parenthèse liée à la pandémie, vite refermée.
Des profils marqués par la précarité sociale
Qui sont ces demandeurs ? Le portrait est clair : près d’un ménage sur deux est une personne seule, et 43 % des dossiers émanent de familles monoparentales. Les couples avec enfants ne représentent que 5 % des demandes.
L’âge moyen du demandeur est de 43 ans, un profil similaire à la France entière, mais avec une part légèrement plus forte de seniors (11 % de plus de 65 ans).
La situation d’hébergement révèle l’ampleur de la précarité : 45 % des demandeurs vivent chez un tiers, qu’il s’agisse d’un parent, d’un enfant ou d’un particulier. Un chiffre deux fois plus élevé que la moyenne nationale.
Au total, un ménage sur deux n’a pas de logement en propre. Le chômage touche 30 % des titulaires de demande, contre 13 % en France entière, et plus d’un tiers des ménages déclarent un revenu fiscal de référence nul. Ces indicateurs traduisent une pression sociale intense, où la demande de logement se confond avec la lutte contre l’exclusion.
Décalage criant entre la demande et le parc
Le cœur du problème réside dans l’inadéquation entre les logements disponibles et les besoins exprimés. En Martinique, 37 % des demandeurs recherchent un T2, mais ce type de logement ne représente que 13 % du parc.
À l’inverse, les T4, très présents (34 % du parc), sont nettement moins recherchés (15 % des demandes). Les T3, majoritaires dans l’offre (44 %), correspondent à 35 % des demandes, mais ne suffisent pas à compenser le déficit en petits logements.
À cette contrainte de typologie s’ajoute un profil de revenus particulièrement bas. Huit ménages sur dix se situent en dessous des plafonds LLTS, c’est-à-dire les plus faibles ressources éligibles au logement très social.
La demande de logements à loyers réduits est donc bien supérieure à l’offre disponible, malgré un parc composé à 14 % de LLTS et à 56 % de LLS post-1986.
Des chances limitées d’obtenir un logement
La probabilité d’obtenir un logement reste faible. En 2023, le taux de succès atteignait seulement 14 %, légèrement en dessous de la moyenne nationale.
Les ménages les plus modestes sont les plus pénalisés : ceux disposant de moins de 500 € par mois ont un taux d’attribution de 5 %. À l’inverse, les demandeurs avec des revenus compris entre 500 € et 1 999 € ont environ 17 % de chances de succès.
Le parcours d’hébergement joue également un rôle. Les personnes hébergées par un tiers, qui représentent 45 % des demandes, bénéficient d’un taux de succès légèrement supérieur (16 %), tandis que les locataires du privé ou du parc social restent en moyenne autour de 12 à 13 %.
Enfin, l’âge n’a qu’un effet limité : les 30–39 ans concentrent le plus de demandes et d’attributions, mais ce sont les 40–49 ans qui affichent le meilleur taux de réussite (16 %).
Comparaison : la Martinique plus en tension que la métropole
Ces indicateurs prennent encore plus de relief lorsqu’on les compare au reste du territoire. En France entière, seuls 22 % des demandeurs vivent hébergés chez un tiers, contre 45 % en Martinique.
Les familles monoparentales représentent 24 % des demandes au niveau national, mais 43 % sur l’île. De même, la proportion de demandeurs situés sous les plafonds LLTS est de 71 % en France, mais atteint 81 % en Martinique.
Cette combinaison d’une précarité plus marquée et d’une offre mal ajustée fait de la Martinique un territoire particulièrement exposé aux tensions sur le logement social.
Quelles perspectives pour répondre aux besoins ?
Face à ces constats, trois leviers apparaissent essentiels :
- Produire davantage de petits logements (notamment des T2) pour répondre aux besoins des personnes seules et des familles monoparentales, qui représentent l’essentiel de la demande.
- Renforcer l’offre en LLTS, indispensable pour les ménages aux revenus les plus bas, largement majoritaires parmi les demandeurs.
- Améliorer la rotation du parc existant, aujourd’hui limitée à 5,9 %, bien en dessous de la moyenne nationale, afin de fluidifier les attributions.
Ces orientations supposent des choix politiques et financiers clairs, dans un contexte où la précarité sociale continue de peser fortement sur l’accès au logement.
Source : Document USH – LA DEMANDE DE LOGEMENT SOCIAL EN MARTINIQUE
La Martinique illustre aujourd’hui une contradiction forte : une population en recul, mais une demande en hausse constante, portée par des ménages de plus en plus fragilisés. Le déficit de T2 et le besoin massif en logements très sociaux dessinent une urgence structurelle. Derrière les chiffres, c’est la réalité de milliers de foyers en attente d’un logement digne qui se joue, et avec elle, l’un des défis majeurs de l’action publique dans les outre-mer.