MARTINIQUE. la géothermie s’oriente vers le froid plutôt que l’électricité

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Longtemps restée en arrière-plan des stratégies énergétiques locales, la géothermie martiniquaise fait aujourd’hui l’objet d’un regain d’intérêt. Si la production d’électricité n’apparaît pas réaliste à ce stade, l’exploitation de la ressource pour produire du froid renouvelable ouvre de nouvelles perspectives. C’est ce que montre l’état des lieux récemment établi par l’ADEME, à travers une analyse territoriale approfondie des projets, des permis miniers et des caractéristiques du sous-sol martiniquais.

Un potentiel modéré, identifié dès les années 60

Les premières investigations géothermiques en Martinique remontent à 1966. À l’époque, la société pétrolière EURAFREP et la filiale locale d’EDF (SPDEM) mènent une campagne exploratoire dans la plaine du Lamentin, zone stratégique où se concentrent l’aéroport Aimé Césaire, une vaste zone d’activités et une partie du tissu urbain de Fort-de-France.

Douze forages de gradient thermique, réalisés entre 75 et 185 mètres de profondeur, révèlent des températures atteignant jusqu’à 91 °C. Un forage plus profond, LA 101, creusé jusqu’à 771 mètres, montre des venues d’eau chaude, mais sans dépassement de 90 °C. Ces premiers résultats sont prometteurs, mais insuffisants pour envisager une production électrique classique.

Trente ans plus tard, en 2000-2001, la Compagnie Française de Géothermie (CFG) relance les travaux sur le site, forant trois puits de petit diamètre jusqu’à 1 000 m. Les mesures confirment l’existence d’eau chaude vers 400 m, avec des températures autour de 80 à 90 °C, mais toujours l’absence de réservoir géothermique haute température comme celui exploité à Bouillante en Guadeloupe. Le potentiel est donc bien là, mais limité à des usages thermiques.

Une réorientation vers la production de froid géothermique

Ce n’est qu’en 2020 que la géothermie martiniquaise trouve un nouveau souffle. L’ADEME, avec ses partenaires locaux, lance un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) pour valoriser la ressource du Lamentin dans une optique inédite : produire du froid renouvelable grâce à des machines à sorption alimentées par la chaleur géothermique.

Le groupement Engie Solutions / Storengy / TLS Geothermics est sélectionné à l’issue de l’appel. Il obtient en septembre 2023 un Permis Exclusif de Recherche (PER) couvrant 133,08 km² sur les communes de Ducos, Fort-de-France, Le Lamentin, Saint-Joseph et Schœlcher. Baptisé PER Cœur Martinique, ce périmètre permet au consortium de lancer les études complémentaires nécessaires avant tout forage profond.

L’objectif ? Mieux comprendre le système géothermal du Lamentin pour évaluer la faisabilité technique et économique d’une installation de production de froid durable, au service du tissu tertiaire et industriel local. Un projet pilote à vocation démonstrative qui pourrait servir de modèle dans d’autres territoires ultramarins.

D’autres zones à fort potentiel, mais sous contrainte environnementale

La Martinique ne se limite pas au Lamentin en matière de ressources géothermiques. Dès 2003, puis de nouveau entre 2010 et 2018, le BRGM cartographie l’ensemble de l’île. Deux zones à haute température émergent : les pentes sud-ouest de la Montagne Pelée au nord, et les Anses d’Arlet au sud.

Sur le plan thermique, ces sites sont prometteurs pour la production d’électricité. Toutefois, leur situation au cœur de zones naturelles d’intérêt majeur du Parc Naturel Régional de la Martinique (PNRM) complexifie leur mise en valeur. Toute initiative dans ces secteurs doit composer avec des impératifs de préservation environnementale stricts.

Malgré cela, le BRGM poursuit les investigations, notamment aux Anses d’Arlet, où une localisation potentielle de forage a été identifiée en 2018. Ces travaux ont conduit au dépôt de deux nouveaux permis : le PER Montagne Pelée (131,5 km²), en cours d’instruction depuis avril 2024 par la société Carigen, et le PER Pointe Sud-Ouest (54 km²), validé le 25 juin 2024 au profit du groupement Storengy / TLS Geothermics.

Trois permis miniers pour structurer la filière

À ce jour, la Martinique compte donc trois PER actifs ou en instruction, tous localisés sur des zones d’intérêt géothermique validé :

  • Le PER Montagne Pelée, en instruction, couvre six communes du nord (Grand-Rivière, Ajoupa-Bouillon, Macouba, etc.).
  • Le PER Cœur Martinique, validé en 2023, cible la plaine du Lamentin pour des usages thermiques.
  • Le PER Pointe Sud-Ouest, validé en juin 2024, concerne les communes des Anses d’Arlet, du Diamant et des Trois-Îlets.

Cette structuration juridique du sous-sol constitue un prérequis indispensable à toute exploration approfondie. Elle pourrait ouvrir la voie à des projets pilotes ou industriels, à condition que les enjeux environnementaux soient intégrés dès la conception.

Quelle place pour la géothermie dans le mix énergétique martiniquais ?

Contrairement à la Guadeloupe, où la centrale de Bouillante produit déjà plus de 6 % de l’électricité insulaire, la Martinique ne pourra pas, à court terme, s’appuyer sur la géothermie pour sa production électrique. Les caractéristiques du sous-sol rendent cette option peu réaliste à l’heure actuelle.

En revanche, la filière pourrait émerger sous une autre forme : la fourniture de froid renouvelable, particulièrement pertinente dans un contexte tropical. Cette orientation ouvre une niche technologique à fort potentiel pour les bâtiments tertiaires, les industries agroalimentaires ou les infrastructures publiques (hôpitaux, écoles, etc.).

Encore en phase exploratoire, les projets martiniquais devront faire la démonstration de leur efficacité technique, de leur viabilité économique et de leur compatibilité avec les politiques environnementales locales. Un défi complexe, mais porteur d’avenir.


Source : ADEME – Philippe Laplaige, État des lieux de la géothermie dans l’outre-mer français, février 2025.


En Martinique, la géothermie sort progressivement de l’ombre. Si la voie de l’électricité reste fermée, celle du froid renouvelable semble s’ouvrir pas à pas. À travers les permis attribués et l’intérêt d’industriels reconnus, le territoire amorce une transition originale, plus adaptée à son potentiel et à ses contraintes. Reste désormais à transformer les promesses géothermiques en solutions concrètes pour l’autonomie énergétique insulaire.

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