MARTINIQUE. deux tiers des déchets ménagers pourraient être évités, selon l’ADEME

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La dernière campagne de caractérisation des déchets menée en Martinique livre un constat sans équivoque : près de 66 % des ordures ménagères résiduelles jetées dans les bacs gris pourraient être triées, valorisées ou tout simplement évitées. Réalisée selon la méthode nationale MODECOM™, cette étude constitue un jalon essentiel pour la stratégie déchets du territoire.

Une campagne inédite à l’échelle régionale

Lancée entre février et juin 2024 à l’initiative de l’ADEME Martinique, la campagne MODECOM™ a permis de caractériser 146 échantillons de déchets issus de l’ensemble du territoire. Elle couvre les principaux flux qui sont :

  • les ordures ménagères résiduelles (OMR),
  • recyclables secs (RS),
  • encombrants collectés en porte-à-porte et en déchèterie,
  • biodéchets,
  • déchets d’activités économiques (DAE),
  • dépôts sauvages.

Cette démarche s’inscrit dans une dynamique de long terme, puisque la dernière campagne similaire en Martinique remontait à 2012. Elle permet ainsi de mesurer l’évolution de la composition des déchets, de dimensionner les équipements de traitement, et d’identifier les leviers d’amélioration du tri à la source. À noter que les collectes ont été réalisées uniquement pendant la saison dite « hivernale » (février à juin), sans prise en compte de la saisonnalité.

Un chiffre-clé : 84 000 tonnes de déchets évitables chaque année

Le principal enseignement concerne la composition des ordures ménagères résiduelles. En 2022, chaque Martiniquais a produit en moyenne 347 kg d’OMR. Or, selon les résultats de 2024, 230 kg/hab. pourraient être évités ou redirigés vers d’autres filières, ce qui correspond à près de 84 000 tonnes de déchets par an à l’échelle de l’île.

Parmi ces déchets évitables, les biodéchets constituent le principal gisement : ils représentent à eux seuls un potentiel de détournement de 33 000 t/an, en grande partie compostables à domicile ou valorisables via des collectes spécifiques. Le gaspillage alimentaire représente également une piste d’action significative, avec près de 8 000 t/an qui pourraient être évitées à la source.

Viennent ensuite les déchets recyclables mal orientés, comme les emballages en plastique, en carton, les papiers ou le verre, qui pourraient être redirigés vers les filières jaunes ou les points d’apport volontaire. Près de 43 000 t/an sont ainsi identifiées comme détournables par un meilleur tri.

Tri à la source : un enjeu toujours d’actualité

Malgré une légère amélioration du tri entre 2012 et 2024, les marges de progression restent importantes. Les résultats montrent notamment une diminution de 2,5 % du ratio OMR sur cette période, soit 8,7 kg/hab./an.

Les biodéchets représentent le principal levier. Depuis le 1er janvier 2024, les collectivités ont l’obligation de proposer une solution de tri à la source pour ces déchets organiques. Pourtant, la collecte séparée reste marginale : seuls 17 kg/hab./an sont collectés en porte-à-porte dans certaines zones (CAESM et CAP NORD), essentiellement sous forme de déchets verts (65 % du tonnage). La majorité des déchets alimentaires finit encore dans la poubelle grise.

Les recyclables secs (RS) enregistrent une progression en volume (une augmentation de 50 % depuis 2012), avec une moyenne de 16,9 kg/hab./an collectés. Mais la qualité du tri s’est dégradée : 26 % des contenus du bac jaune ne sont pas conformes, représentant 1 600 tonnes par an. Une partie de ces erreurs concerne des déchets recyclables qui seront acceptés avec l’extension des consignes de tri prévue au 1er janvier 2026.

Encombrants et DAE : des gisements sous-valorisés

Le gisement des encombrants est lui aussi concerné par des pratiques de tri peu efficaces. En Martinique, deux fois plus d’encombrants sont collectés en porte-à-porte (17 000 t/an) qu’en déchèterie (7 800 t/an), malgré un réseau de 13 déchèteries. Or, les déchets PaP contiennent 45 % de matériaux valorisables, contre 22 % pour ceux déposés en déchèterie. Les déchets verts et les DEEE sont souvent à l’origine de cette non-conformité.

Par ailleurs, l’étude identifie plusieurs leviers de réduction : élargissement de la filière DEA (mobilier), mise en œuvre effective de la REP PMCB (produits et matériaux de construction), et développement d’une filière bois. Ensemble, ces actions pourraient détourner jusqu’à 11 500 t/an d’encombrants.

S’agissant des déchets d’activités économiques (DAE), la part collectée par le SPPGD représente environ 20 % des OMR, avec une forte présence de déchets recyclables. Les professionnels, notamment du tourisme, des services publics ou du commerce, triant peu, l’étude recommande une amélioration du tri à la source dans ces secteurs. Concernant les DAE hors SPPGD, plus de 22 000 tonnes relèvent des “8 flux” réglementaires mais restent peu valorisées, notamment le bois et les cartons.

Dépôts sauvages : 67 % de déchets relevant d’une REP

Enfin, les dépôts sauvages collectés par le SPPGD posent un problème récurrent. 67 % des déchets identifiés relèvent d’une filière REP existante ou en cours de déploiement, notamment la REP PMCB, les DEEE, les textiles ou les DEA.

L’étude pointe le lien possible entre ces dépôts et les difficultés d’accès aux services classiques : refus en déchèterie, absence de collecte pour certains flux, ou méconnaissance des filières existantes. L’ADEME évoque la possibilité d’aménager des points de reprise spécifiques hors déchèteries, notamment pour les artisans du BTP.


Des recommandations claires pour améliorer la situation

Face aux constats posés par la campagne MODECOM™, plusieurs pistes concrètes sont mises en avant pour renforcer la gestion des déchets en Martinique. Ces recommandations concernent autant les usagers que les collectivités et les filières professionnelles.

1. Accélérer la généralisation du tri à la source des biodéchets

Depuis le 1er janvier 2024, toutes les collectivités doivent proposer une solution de tri à la source pour les biodéchets. En Martinique, ce service reste encore partiel, principalement limité à certaines zones de la CAESM et de CAP NORD. L’étude appelle à une montée en puissance rapide, notamment par la généralisation :

  • des collectes en porte-à-porte dans les centres denses ou les habitats verticaux,
  • du compostage de proximité (partagé ou individuel) dans les secteurs peu accessibles.

Une communication plus claire est également nécessaire pour rappeler que les déchets alimentaires sont au cœur du tri, alors que les déchets verts dominent aujourd’hui les flux captés.

2. Optimiser la collecte des recyclables et accompagner l’extension des consignes

L’ADEME insiste sur la nécessité d’améliorer la qualité du tri, alors que 26 % du contenu des bacs jaunes reste non conforme. À court terme, cela passe par :

  • des campagnes de sensibilisation ciblées sur les erreurs les plus fréquentes (films plastiques, déchets souillés, textiles…),
  • une meilleure visibilité des consignes, harmonisées à l’échelle du territoire.

L’extension des consignes de tri prévue au 1er janvier 2026 est perçue comme un levier structurant : elle permettra d’intégrer de nouveaux types d’emballages dans les bacs jaunes (barquettes, sachets plastiques, pots de yaourts…), augmentant ainsi le gisement recyclable. Pour être pleinement efficace, cette évolution devra s’accompagner de formations des agents, d’un renforcement des capacités de tri, et d’une information massive à destination des habitants.

3. Structurer de nouvelles filières de valorisation

L’étude identifie plusieurs gisements importants aujourd’hui mal pris en charge :

  • Les produits et matériaux de construction (PMCB), qui représentent jusqu’à 5 000 t/an dans les encombrants ;
  • Le bois, encore sans filière spécifique en Martinique, malgré un potentiel estimé à 10 000 t/an dans les DAE ;
  • Les déchets d’éléments d’ameublement (DEA), dont seuls les matelas sont actuellement collectés.

La mise en œuvre complète de ces filières REP, prévue par la réglementation nationale, pourrait permettre de réduire fortement les tonnages enfouis ou incinérés. Cela implique aussi de faciliter l’accès des artisans à ces filières via des points de reprise adaptés, y compris hors déchèteries classiques.

4. Améliorer le tri des déchets d’activités économiques

Les déchets d’activités économiques représentent une part significative des flux, avec 20 % des OMR collectées par le SPPGD issus du secteur professionnel. Dans le cas des DAE hors SPPGD, plus de 91 % du gisement est potentiellement valorisable, en grande partie via le tri 8 flux, obligatoire depuis 2022.

Pourtant, ce tri reste peu appliqué en Martinique, notamment en raison :

  • du manque de solutions de collecte spécifiques,
  • d’une méconnaissance des obligations réglementaires,
  • ou de l’absence de filière pour certains matériaux (comme le bois).

L’ADEME recommande ici un accompagnement renforcé des entreprises, en particulier dans les secteurs à fort impact (tourisme, commerce, restauration). Des conventions avec les chambres consulaires ou les syndicats professionnels pourraient jouer un rôle structurant.

5. Agir sur les dépôts sauvages en amont

Les dépôts sauvages collectés par le SPPGD contiennent 67 % de déchets relevant d’une filière REP existante ou à venir, notamment des déchets du BTP, des DEA, ou des DEEE. L’étude suggère d’agir en amont, en améliorant l’accessibilité aux filières légales, en particulier pour les professionnels.

Cela pourrait passer par :

  • des plages horaires étendues en déchèterie,
  • la suppression de certains freins réglementaires,
  • l’aménagement de points de dépôt alternatifs, notamment pour les déchets de chantiers ou les petits producteurs.

Réduire la tentation du dépôt illégal étant l’objectif, en rendant les filières officielles plus lisibles et pratiques.


Document à consulter sur la librairie de l’ADEME : Caractérisation des déchets ménagers et assimilés (DMA) sur le territoire de la Martinique


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