Macouria face à +4°C : un territoire lucide mais en quête de stratégie

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(c)AUDEG

À l’heure où les territoires d’outre-mer cherchent à s’armer face au réchauffement, Macouria a choisi d’écouter avant d’agir. Dans le cadre du programme national “Territoires adaptés au climat de demain (+4°C)”, l’Agence d’Urbanisme et de Développement de la Guyane (AUDeG) a publié, en octobre 2025, un diagnostic sensible de la commune.

Fondé sur 16 entretiens menés auprès d’élus, techniciens, représentants de l’État et acteurs économiques, ce document met des mots sur une réalité désormais tangible : le changement climatique n’est plus une perspective à Macouria, mais un vécu quotidien. Pourtant, malgré cette lucidité partagée, la commune peine encore à transformer la conscience du risque en stratégie collective.

Un territoire qui vit déjà le changement climatique

À Macouria, les manifestations du changement climatique sont visibles à l’œil nu. Les saisons se confondent, les vagues de chaleur s’intensifient, les inondations deviennent récurrentes. Le recul du trait de côte inquiète tout autant que les sécheresses répétées ou les feux de savane. Les habitants le disent avec leurs mots :

« On a vu en 2023-2024, ce qu’on n’avait jamais vu en 60 ans. »

« Le changement climatique, c’est ce que l’on vit au quotidien : inondations, sécheresses répétées et recul du trait de côte. »

Les risques identifiés sont multiples : submersions marines, érosion littorale, dégradation de la RN1 et des équipements publics, insécurité hydrique pour les cultures, propagation de maladies vectorielles. Certaines zones sont déjà en première ligne – le bourg de Tonate, Sablance, Maillard ou Matiti – tandis que les populations vulnérables se concentrent dans les quartiers précaires proches du littoral.

Mais si les constats sont clairs, les causes et les mécanismes restent encore mal compris. Certains acteurs continuent à croire que la Guyane, “petit paradis vert”, serait épargnée par les grands risques climatiques des autres territoires ultramarins. Cette méconnaissance, combinée à une urbanisation rapide et souvent non maîtrisée, nourrit de nouvelles fragilités : déboisements sauvages, remblais illégaux de zones humides, canaux obstrués. Autant de facteurs qui aggravent les effets des pluies et accentuent la vulnérabilité des quartiers populaires.

Des habitants conscients mais encore démunis

Le diagnostic de l’AUDeG révèle un paradoxe : la population et les institutions locales reconnaissent l’urgence climatique, mais la notion d’adaptation reste abstraite. Beaucoup la confondent avec le développement durable ou la protection de l’environnement. D’autres la perçoivent comme un renoncement à la lutte contre les émissions, estimant qu’il faut d’abord atténuer avant de s’adapter.

Pourtant, la plupart des acteurs interrogés s’accordent : il faut agir. L’adaptation est perçue comme une nécessité — et parfois même comme une chance de repenser le développement. “C’est un changement qui est à la fois une très grosse inquiétude et une opportunité”, résume un participant. Derrière cette lucidité, on retrouve une volonté sincère de faire évoluer les pratiques. Mais le manque de repères concrets freine la mise en œuvre. Aucun consensus clair ne se dégage encore sur les priorités, les échéances ou les méthodes.

Cette difficulté à se projeter se double d’une forme de distance entre les services municipaux et la population. Les élus, techniciens et associations de terrain peinent à mobiliser un public souvent absorbé par les urgences sociales du quotidien. À Macouria, comme ailleurs en Guyane, le changement climatique ne fait pas encore partie de la culture commune du risque.

Une gouvernance en construction : entre isolement et initiatives

Si la volonté d’agir est réelle, elle se heurte à un système institutionnel encore fragile. Le diagnostic met en lumière un déficit de coordination et de transversalité entre les services, aggravé par le turnover élevé des agents, notamment au sein des services de l’État. Chaque départ fait repartir les dossiers de zéro. Ce manque de continuité crée un sentiment d’instabilité et d’essoufflement parmi les acteurs locaux.

Les collaborations interinstitutionnelles connaissent des contrastes : la relation entre la commune et la Communauté d’Agglomération du Centre Littoral (CACL) est jugée constructive, notamment sur la compétence GEMAPI (gestion des risques d’inondation). En revanche, les liens avec la Collectivité Territoriale de Guyane et l’État restent complexes, parfois entravés par des responsabilités mal définies et des visions divergentes.

Au sein même de la municipalité, les référents “climat” se disent isolés. “Le climat, c’est transversal, ça concerne tous les secteurs, mais personne ne s’y intéresse, je suis seul(e)”, confie l’un d’eux. Cette absence de pilotage global empêche la construction d’une vision commune.

Pourtant, la collectivité ne manque pas d’initiatives. Des projets pilotes, comme les voies vertes ou certaines opérations de requalification, traduisent un début d’intégration du climat dans les politiques publiques. Mais trop souvent, ces efforts cohabitent avec des choix d’aménagement à contre-sens : construction d’équipements en zones inondables, places publiques sans ombrage, espaces extérieurs rendus impraticables par la chaleur. L’exemple de la place des fêtes du bourg de Tonate, devenue inutilisable aux heures chaudes, en est l’illustration.

Des pistes d’adaptation sur mesure

Face à ces constats, l’AUDeG plaide pour des réponses locales, adaptées au contexte guyanais. L’agence met en garde contre la tentation d’importer des modèles venus d’Europe ou d’autres régions tropicales. La dynamique littorale propre à la Guyane impose des solutions spécifiques, pensées à l’échelle du territoire.

Les 6 recommandations formulées dans le rapport tracent les contours d’une feuille de route. Elles appellent à :

  1. renforcer la culture du risque et la compréhension du changement climatique ;
  2. construire une stratégie commune, claire et atteignable ;
  3. instaurer une gouvernance transversale, mobilisant élus, services et société civile ;
  4. renforcer le service Transition écologique pour en faire un moteur opérationnel ;
  5. sécuriser la continuité des acteurs et mutualiser les ressources ;
  6. diversifier les sources de financement, en sollicitant notamment la Banque des Territoires et l’AFD.

L’AUDeG encourage aussi à ancrer l’adaptation dans les projets dès la conception : orientation du bâti, matériaux durables, végétalisation, gestion intégrée de l’eau. Le message est clair : “ce n’est pas à l’homme de contraindre la nature, mais à l’homme de s’y adapter pour aménager”.


Macouria 2050 : une vision à construire ensemble

Dans les entretiens menés, les acteurs ont esquissé un futur désirable. En 2050, Macouria est imaginée comme une ville propre, verte et apaisée, où la solidarité structure le quotidien. Les habitants se déplacent à vélo ou en navette fluviale, les sols sont perméables, les arbres forment des canopées au-dessus des rues, et les bâtiments respirent grâce à la ventilation naturelle.

« Avoir des quartiers entiers où, quand on sort de chez soi, on marche dans des allées couvertes d’une canopée d’arbres. »

Cette projection, bien que symbolique, traduit une aspiration collective : celle d’un territoire capable de conjuguer modernité et ancrage naturel. Mais pour y parvenir, Macouria devra transformer son diagnostic sensible en stratégie opérationnelle, durable et partagée — un chantier autant humain que politique.



Source :

Territoires adaptés au climat de demain, à +4°C / Diagnostic sensible M A C O U R I A


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