Entre outil de mixité et levier financier, le logement locatif intermédiaire (LLI) s’impose désormais dans la stratégie nationale du logement. Son essor est spectaculaire, mais son équilibre reste fragile, pris entre contraintes budgétaires, incertitudes réglementaires et besoin de stabilité pour les investisseurs.
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Un dispositif devenu incontournable dans la politique du logement
En dix ans, le logement locatif intermédiaire est passé du statut d’expérimentation à celui d’instrument de politique publique.
Créé en 2014, ce dispositif vise à offrir des logements à loyers maîtrisés pour les classes moyennes et jeunes actifs, dans les territoires où le marché privé s’envole et où le logement social peine à répondre à la demande. Positionné entre les deux, le LLI incarne une passerelle dans les parcours résidentiels.
Depuis 2021, plusieurs ajustements ont consolidé son cadre d’action. Les lois de finances successives ont simplifié sa mise en œuvre et, en 2024, la réforme fiscale a étendu le dispositif aux opérations d’acquisition-amélioration et aux résidences-services.
Parallèlement, le zonage ABC a été révisé à cinq reprises depuis 2019. La dernière, en septembre 2025, a reclassé plus de 1 100 communes en zone tendue, ouvrant la voie à une production plus équilibrée.
Ces extensions successives ont transformé le LLI en un levier national d’aménagement, autant social qu’économique.
Une production record et un changement d’échelle
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2024, la production a atteint 37 500 logements, soit la moitié de l’objectif triennal fixé par le Pacte pour le logement intermédiaire 2024–2026, signé entre l’État, les opérateurs et les investisseurs institutionnels.
Ce rythme, inédit, traduit un doublement de la production annuelle par rapport à la période 2018–2022.
Depuis 2014, le cumul dépasse 156 000 logements agréés ou déclarés, dont plus de la moitié depuis 2021 et un quart sur la seule année 2024.
Ce changement d’échelle s’accompagne d’une déconcentration géographique. Longtemps dominée par l’Île-de-France (46 % du total), la production s’équilibre : la région capitale représente désormais un logement sur trois.
Les Hauts-de-France, l’Occitanie et la région PACA montent en puissance, tandis que La Réunion et Mayotte amorcent leurs premières opérations.
Le marché s’ouvre également à de nouveaux opérateurs. Là où CDC Habitat et In’li concentraient historiquement la majorité des programmes, d’autres bailleurs, investisseurs et promoteurs rejoignent la dynamique, preuve que le LLI est désormais un segment à part entière du logement locatif.
Des financements multiples, un équilibre délicat
Si le dispositif progresse, c’est aussi parce qu’il repose sur un écosystème financier désormais bien structuré autour de trois piliers : la Banque des Territoires, Action Logement Service et les investisseurs institutionnels.
Un pilier public solide : la Banque des Territoires
La Banque des Territoires soutient la production via le Prêt Locatif Intermédiaire (PLI), indexé sur le Livret A (+1,40 point).
Avec des maturités longues — 35 ans pour le bâti, 50 ans pour le foncier — et des différés d’amortissement pouvant atteindre 20 ans, ce dispositif offre une visibilité rare aux maîtres d’ouvrage.
Mais cette stabilité apparente impose des contraintes. Le financement ne peut excéder 90 % du plan de financement, et les garanties restent strictes : collectivités locales, hypothèques ou cautions bancaires.
La dépendance à la ressource Livret A rend par ailleurs le modèle sensible aux fluctuations de taux, dans un contexte où la politique monétaire pèse directement sur la construction.
L’appui d’Action Logement : bonifications et garanties
Action Logement Service complète le dispositif avec une offre de prêts bonifiés. En métropole, le taux est variable (Livret A – 1,75 point) ; dans les Outre-mer, il est fixe à 1,25 %, sur une durée de 30 ans.
La grande innovation réside dans la caution LLI-PLI, lancée en 2024. Payante, mais rapide à mobiliser, elle permet aux opérateurs de réduire leurs besoins en fonds propres à 10 %, contre 17 % auparavant.
L’efficacité est déjà mesurable : plus de 2 500 logements financés dès 2024, pour un total de 481 millions d’euros engagés. Cette garantie séduit par sa souplesse et rassure les acteurs en phase de montage d’opérations.
Les investisseurs institutionnels : moteur silencieux du modèle
Le troisième pilier repose sur les investisseurs institutionnels, dont la contribution a été décisive dans la montée en puissance du LLI.
Porté par Ampère Gestion, filiale de CDC Habitat, ce segment a mobilisé entre 4 et 5 milliards d’euros en dix ans, finançant près de 22 000 logements intermédiaires.
Leur intérêt s’explique par la stabilité du modèle : taux d’occupation de 97 à 98 %, rotation faible, et une économie moyenne de 1 300 à 1 400 euros par an pour les locataires par rapport au marché libre.
Mais la hausse des taux d’intérêt change la donne. À mesure que les placements sans risque redeviennent attractifs, la rentabilité du logement s’amenuise. Le défi, désormais, est de maintenir l’engagement de ces investisseurs tout en préservant la vocation sociale du dispositif.
CDC Habitat et In’li : les moteurs du parc intermédiaire
Avec plus de 113 000 logements intermédiaires gérés, CDC Habitat reste le fer de lance du secteur. L’opérateur a produit 12 000 logements LLI en 2023, autant en 2024, confirmant sa capacité à maintenir la cadence malgré un contexte économique tendu.
Sa stratégie repose sur un principe simple : offrir des loyers en moyenne 10 % inférieurs à ceux du marché, tout en garantissant des emplacements attractifs et une performance énergétique élevée.
Les retours d’expérience partagés lors du webinaire illustrent la diversité des approches. À Issy-les-Moulineaux, CDC Habitat a acquis une centaine de logements dans un programme mixte signé par l’architecte néerlandais Winnie Maas : un « immeuble-serre » aux loyers de 990 € pour un T2, quand le marché dépasse 1 200 €.
À Aubervilliers, l’entreprise développe 220 logements en maîtrise d’ouvrage directe, destinés aux salariés de l’AP-HP, intégrant un parking mutualisé de 600 places et des critères bas carbone ambitieux.
Chez In’li Sud-Ouest, la logique est similaire mais adaptée à l’échelle régionale : 6 000 logements gérés, un âge moyen de 34 ans, des loyers 10 à 15 % inférieurs au marché, et une montée en puissance de l’offre meublée pour les jeunes actifs en mobilité.
Ces initiatives traduisent un virage : le LLI devient un levier d’attractivité pour les bassins d’emploi, et non plus seulement un outil de compensation au déficit de logements.
Un modèle sous pression réglementaire et financière
L’expansion du LLI ne va pas sans zones de turbulence. Les intervenants du webinaire ont unanimement alerté sur deux fragilités majeures.
D’abord, la révision du BOFIP (avril 2025) pourrait modifier le calcul de la part sociale, risquant d’exclure jusqu’à 20 % des opérations.
De même, l’obligation de louer exclusivement à des personnes physiques remettrait en cause les projets de résidences gérées, pourtant cruciaux dans les zones d’emploi.
Ensuite, le débat autour de l’intégration du LLI dans le Service d’intérêt économique général (SIEG) inquiète les investisseurs. Si le dispositif entrait dans ce cadre, il serait soumis à des règles de compensation publique plus contraignantes, susceptibles de détourner les fonds institutionnels.
Ces incertitudes interviennent alors que la rentabilité du modèle est déjà fragilisée par la remontée des taux, la hausse des coûts de construction et la raréfaction du foncier. Les opérateurs plaident pour un cadre fiscal stable et lisible, seule condition pour maintenir la dynamique observée depuis 2021.
Source : Replay du webinaire – Logement Locatif Intermédiaire (LLI) du 18 septembre 2025









