Le 7 août 2025, la Fédération des Entreprises d’Outre-mer (FEDOM) a adressé un courrier officiel au ministre des Outre-mer, Manuel Valls, pour alerter sur des mesures budgétaires jugées « injustes et destructrices » pour l’économie ultramarine. Signé par son président Hervé Mariton et cosigné par de nombreuses organisations patronales de l’ensemble des territoires, le document dénonce l’ampleur inédite des coupes envisagées dans le projet de loi de finances 2026 (PLF 2026) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2026 (PLFSS 2026). Au cœur de la contestation, deux dispositifs essentiels : la LODEOM sociale et les régimes fiscaux d’investissement.
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Un contexte économique déjà fragile
Les territoires ultramarins font face à des handicaps structurels reconnus par l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : éloignement géographique, exiguïté des marchés, dépendance logistique, vulnérabilité climatique et isolement des chaînes de valeur.
Ces contraintes se traduisent par des surcoûts permanents qui fragilisent la compétitivité des entreprises locales. Les chiffres de l’INSEE pour 2024 sont éloquents : le chômage reste supérieur à 14 % dans les départements et régions d’outre-mer, contre 7,4 % en métropole.
Chez les 15-24 ans, le taux dépasse les 30 %, avec des pointes à 20 % de halo du chômage à Mayotte et 21 % en Guyane, contre 4 % en France hexagonale.
À cette fragilité structurelle s’ajoutent des tensions conjoncturelles persistantes. L’IEDOM relève qu’en 2025, alors que les défaillances d’entreprises ralentissent dans l’Hexagone, elles progressent outre-mer à un rythme inquiétant.
Les territoires sont en outre régulièrement exposés à des chocs sociaux et à des catastrophes naturelles qui affectent directement l’activité.
LODEOM sociale : un pilier du soutien à l’emploi
Créée pour compenser les surcoûts et soutenir l’emploi local, la LODEOM sociale représente 1,5 milliard d’euros d’allègements de charges chaque année, dont environ 700 millions liés au différentiel spécifique outre-mer.
Selon la FEDOM, les mesures en préparation pourraient réduire ce soutien de 150 à 350 millions d’euros, soit un recul massif susceptible d’« écraser l’avantage différentiel » de ce régime.
Pour les TPE et PME, ces coupes se traduiraient par une hausse immédiate du coût du travail, fragilisant la dynamique positive observée entre 2017 et 2023. Les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre, comme le BTP, le commerce de proximité ou certaines filières agricoles, seraient parmi les plus touchés.
La FEDOM prévient qu’un tel choc pourrait non seulement freiner les embauches, mais aussi renchérir les prix pour les consommateurs.
Défiscalisation : un levier d’investissement affaibli
Autre front d’inquiétude : la réduction de 10 % des taux de défiscalisation, y compris sur les taux majorés récemment instaurés, comme celui destiné à la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie. Cette baisse ciblerait exclusivement les entreprises ultramarines, sans équivalent en métropole.
La FEDOM rappelle que le dispositif a déjà subi une coupe récurrente de 100 millions d’euros par an depuis la loi de finances 2024, notamment avec l’exclusion des investissements mis à disposition de ménages dans le cadre de contrats de services, tels que les chauffe-eaux solaires.
Les mesures compensatoires prévues se sont révélées largement inopérantes, en raison de conditions d’éligibilité jugées dissuasives — un constat illustré par l’autoconsommation photovoltaïque. Réduire encore l’avantage fiscal reviendrait, selon les signataires, à limiter la capacité d’investissement des PME et à freiner la modernisation des équipements, un facteur clé pour maintenir la compétitivité face aux surcoûts structurels.
La loi « vie chère » : un risque de contre-effet
En parallèle des coupes budgétaires, la FEDOM critique plusieurs dispositions du projet de loi « de lutte contre la vie chère dans les outre-mer ». Elle dénonce notamment la baisse du seuil de revente à perte (SRP) qui exclut désormais les frais d’approche du calcul, une mesure qui favoriserait les grands groupes pratiquant le dumping et fragiliserait les petits distributeurs.
Cette modification pourrait aussi peser sur la production locale, déjà confrontée à des coûts logistiques élevés. En concentrant encore davantage le marché, elle risquerait de réduire la diversité de l’offre et de limiter l’accès des producteurs ultramarins aux circuits de distribution.
Des engagements nationaux mis à l’épreuve
Pour la FEDOM, ces orientations budgétaires vont à l’encontre des engagements pris dans le cadre du Conseil interministériel des Outre-mer (CIOM) en 2023, qui affirmait la volonté de renforcer l’emploi et l’investissement dans ces territoires.
Elles contredisent également la loi du 18 décembre 2023, qui fixe un objectif national de plein emploi à 5 % de chômage, sans qu’aucune stratégie équivalente n’ait été déclinée pour l’outre-mer.
Le décalage est d’autant plus frappant que, sur le terrain, le Premier ministre et plusieurs ministres tiennent un discours rassurant à destination des acteurs économiques. Cette contradiction, estiment les signataires, mine la confiance entre l’État et les entreprises ultramarines.
Quelles alternatives ?
La FEDOM propose de replacer l’emploi au cœur de la stratégie économique ultramarine via une loi de programmation pour le développement économique et l’emploi, avec des engagements programmatiques clairs, mesurables et dotés de moyens stables.
Elle plaide pour une concertation territoriale approfondie, à l’image du processus engagé par les préfets en amont du CIOM de fin d’année, plutôt qu’une réunion centralisée à Paris le 12 septembre, jugée « déconnectée » des réalités locales.
Pour l’organisation, encourager l’investissement, soutenir la production et stimuler l’innovation sont des leviers indispensables pour gagner la « bataille de l’emploi » et éviter le piège du sous-investissement, qui entraîne inévitablement des coûts accrus en matière de sécurité et de protection sociale.
Lire le courrier complet adressé au Ministre des Outre-mer
Les coupes envisagées dans le PLF 2026 ne sont pas de simples ajustements techniques : elles touchent au cœur des mécanismes qui permettent aux territoires ultramarins de compenser leurs handicaps structurels. Si elles sont adoptées en l’état, elles pourraient freiner l’emploi, fragiliser l’investissement et accentuer la vie chère. La mobilisation de la FEDOM et de ses nombreux partenaires illustre l’ampleur des inquiétudes et la nécessité d’un dialogue politique à la hauteur des enjeux économiques et sociaux de l’outre-mer.