Le Grand Port Maritime de La Réunion (GPMDLR) fait face à un double défi : maintenir ses fonctions stratégiques vitales tout en anticipant les conséquences d’un changement climatique qui exacerbe la fréquence et l’intensité des aléas naturels. Entre 2020 et 2022, une étude poussée a permis d’élaborer une stratégie d’adaptation structurée, présentée lors de la conférence technique territoriale du Cerema du 10 décembre 2024. Elle repose sur une analyse rigoureuse des risques climatiques et sur des solutions techniques adaptées aux deux grands ensembles portuaires de l’île : Port Est et Port Ouest.
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Un port stratégique au cœur des flux de l’île et de l’océan Indien
Le GPMDLR n’est pas un port comme les autres. C’est le premier port d’outre-mer français, le troisième parmi les Régions Ultra-Périphériques (RUP) de l’Union européenne et la quatrième infrastructure à conteneurs à l’échelle nationale. Il joue un rôle central dans l’approvisionnement de La Réunion, qu’il s’agisse d’hydrocarbures, de biens de consommation ou de matières premières.
Avec une activité annuelle qui dépasse les 5,5 millions de tonnes de fret dans les années récentes, le GPMDLR est aussi un point névralgique militaire, énergétique et économique. Son bon fonctionnement conditionne en grande partie la résilience de l’île elle-même. Pourtant, les infrastructures sont exposées à des aléas côtiers de plus en plus fréquents et intenses : houles cycloniques, submersions marines, érosion, vents extrêmes.
Une démarche d’anticipation structurée face au changement climatique
Le projet d’adaptation au changement climatique du GPMDLR, inscrit dans un programme plus large dit « 2AC », s’est développé sur deux axes : l’augmentation des capacités de stockage, et l’adaptation proprement dite aux aléas climatiques. Ce second volet vise à préserver la disponibilité des infrastructures et des équipements portuaires en renforçant leur résilience, tout en sensibilisant l’ensemble des parties prenantes.
La méthodologie adoptée repose sur l’évaluation de douze aléas climatiques majeurs : submersion marine, houles extrêmes, érosion côtière, vents violents, inondations par ruissellement, mais aussi canicules, sécheresses ou encore acidification de l’océan.
Ces aléas sont croisés avec une quarantaine d’enjeux portuaires, regroupés en dix grandes catégories fonctionnelles (zones de navigation, digues, terminaux, bâtiments critiques, zones de stockage, etc.).
Chaque enjeu est analysé selon trois critères : exposition, sensibilité et criticité.
Ce croisement permet une hiérarchisation des risques et une prioritisation des actions à mener. Parmi les zones identifiées comme les plus vulnérables figurent des infrastructures clés, telles que les installations de stockage d’hydrocarbures de la SRPP, les digues de protection ou encore le terminal à conteneurs.
Vulnérabilités critiques : Ports Est et Ouest sous pression climatique
Le Port Ouest concentre plusieurs points de vulnérabilité aigus. La Pointe des Galets, fortement exposée à la houle, abrite un dépôt d’hydrocarbures jugé très sensible. Les ouvrages de protection, notamment la digue sud, présentent des signes de fragilité, avec des glissements observés et une forte sollicitation lors des épisodes cycloniques. La dynamique sédimentaire de ce secteur, avec alternance de dépôts et de purges, rend la stratégie de dragage complexe et coûteuse.
Au Port Est, c’est le terminal à conteneurs qui concentre les inquiétudes. Exposé à la houle cyclonique, il présente une forte sensibilité à l’interruption d’activité, ce qui compromettrait gravement l’approvisionnement de l’île.
La centrale EDF, essentielle pour l’équilibre énergétique de La Réunion, est certes protégée par une digue conçue pour résister à une houle de 11 mètres, mais elle reste soumise au risque de franchissement de paquets de mer, voire de recul brutal du trait de côte en cas de cyclone majeur.
Des réponses techniques pour renforcer la résilience des infrastructures
Face à ces constats, plusieurs options techniques sont déjà identifiées. Au Port Ouest, il est envisagé de reconstruire certains ouvrages, notamment le pied de digue de la Pointe des Galets, et de renforcer la protection du dépôt de la SRPP par des dispositifs de drainage ou de protection rapprochée. La digue sud pourrait être confortée ou complétée par des solutions adaptées à la submersion.
Pour le Port Est, deux options sont en cours d’étude concernant la digue ouest : soit la création d’une bande tampon de 10 mètres à l’arrière de l’ouvrage pour canaliser les paquets de mer, soit la construction de nouveaux ouvrages tenant compte des projections climatiques futures. Concernant la centrale EDF, des renforcements sont également prévus, incluant à terme une meilleure protection contre les canicules.
Des projets en cours et des limites à dépasser
Depuis 2022, le GPMDLR a engagé plusieurs démarches concrètes : diagnostics techniques des ouvrages existants, études sur l’extension du terminal conteneurs, réflexions sur les solutions techniques (digue ou caissons), etc. Ces travaux soulèvent toutefois des difficultés d’ordre financier : les coûts estimés, même pour une simple reconstruction, sont jugés hors normes.
Par ailleurs, la stratégie actuelle attend encore d’être articulée avec la TRACC (Trajectoire de Résilience des Infrastructures de Transport au Changement Climatique), attendue en 2025, et avec les directives nationales portées par la DGITM. Ces cadres pourraient apporter une cohérence d’ensemble et renforcer la lisibilité des efforts locaux au sein d’une politique nationale de résilience.
La question du financement reste l’un des points les plus sensibles. Les montants nécessaires pour protéger ou reconstruire les infrastructures portuaires dépassent ceux observés dans l’Hexagone, en raison de l’exposition accrue de La Réunion aux aléas, de son isolement, et des contraintes techniques spécifiques.
Ces investissements ne peuvent être assumés par le seul port. Une mobilisation plus large de l’État, de l’Union européenne et des collectivités locales est indispensable. Il reste à savoir si les plans nationaux de résilience, comme le Plan France Nation Verte, intégreront vraiment les enjeux en Outre-mer. Sans un appui financier clair, les solutions identifiées risquent de rester sans suite concrète.
RESSOURCE À CONSULTER
Stratégie d’Adaptation au Changement Climatique (2020-2022)
La stratégie d’adaptation du Grand Port Maritime de La Réunion illustre un effort technique rigoureux face aux réalités climatiques d’un territoire insulaire. Elle conjugue diagnostic, planification et action, mais sa pleine réalisation dépendra de choix financiers audacieux et d’un accompagnement fort de l’État. Le chantier de la résilience portuaire est lancé, mais il reste à être consolidé pour que La Réunion puisse continuer à faire face, demain, aux chocs climatiques qui s’annoncent.