LA REUNION. La géothermie en profondeur testée aux Cafres-Palmistes : les enjeux d’un projet stratégique

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PER géothermie Cafres-Palmistes

L’Autorité environnementale (Ae) a rendu, le 24 avril 2025, un avis délibéré sur le projet de permis exclusif de recherches (PER) dit « Cafres-Palmistes« , porté par Engie Énergie Services. Ce permis vise à sonder le potentiel géothermique profond du centre de l’île de La Réunion. L’avis, qui ne se prononce ni pour ni contre, met en lumière les enjeux techniques, environnementaux et stratégiques d’un projet encore incertain, mais porteur de promesses.

Un permis exclusif pour sonder le sous-sol volcanique réunionnais

Engie Énergie Services sollicite un PER pour rechercher des gîtes géothermiques profonds sur une superficie de 55 km², située entre le Piton des Neiges et le Piton de la Fournaise. Ce secteur couvre partiellement les communes du Tampon (Plaine des Cafres) et de la Plaine-des-Palmistes. Le permis serait valable cinq ans, renouvelable deux fois.

Les travaux de la phase exploratoire incluent des prospections géophysiques (notamment magnétotelluriques), géochimiques et géologiques. La méthode magnétotellurique permet d’analyser la conductivité électrique des sous-sols jusqu’à plusieurs kilomètres de profondeur, et de repérer les zones potentiellement chaudes et perméables. Ce procédé non invasif est particulièrement adapté au contexte volcanique. En géochimie, les teneurs en gaz des sols (CO₂, CH₄, H₂S) et en éléments dissous dans les eaux seront étudiées pour identifier les flux hydrothermaux.

En cas de résultats probants, des forages de 1 200 à 1 500 mètres pourraient être réalisés. Le projet prévoit l’utilisation de forages déviés (forages inclinés), une technique permettant de forer latéralement pour atteindre des réservoirs géothermiques situés sous des zones protégées, comme le parc national, sans y créer d’impact en surface. Le coût estimé de la phase de recherche est d’environ 6,7 millions d’euros.

Objectifs énergétiques et contexte territorial

Ce projet s’inscrit dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2019-2028 de La Réunion, qui prévoit 5 MWé de puissance géothermique installée d’ici 2028. La géothermie figure parmi les solutions pour atteindre l’autonomie énergétique de l’île à l’horizon 2030. La production d’électricité locale, décarbonée et pilotable répond à la fois aux contraintes d’émission et à la forte variabilité des autres sources renouvelables (solaire, éolien, biomasse).

La géothermie à haute température (>150°C) pourrait également offrir des co-usages (chaleur pour pisciculture, agriculture, thermalisme). Mais à ce jour, aucun forage réalisé sur l’île n’a révélé de réservoir exploitable.

Ce que permet (et ne permet pas encore) ce PER

Le PER Cafres-Palmistes autorise la seule phase d’exploration de surface et, sous réserve d’autorisations spécifiques, la réalisation de forages d’exploration. Il n’autorise pas l’exploitation. Cette dernière nécessiterait une concession minère, une nouvelle évaluation environnementale, et des autorisations spécifiques pour les infrastructures (centrale, raccordements).

Le projet prévoit dès à présent l’éventualité de forages déviés, permettant d’accéder à des réservoirs sous le parc national sans y implanter d’installation. La superficie de la future centrale est estimée entre 7 000 m2 et 1,5 ha.

Elle inclurait des installations de production électrique, des systèmes de refroidissement (tour ou échangeur), ainsi que des canalisations de réinjection des fluides. Le raccordement au réseau électrique et aux voies d’accès existantes reste à étudier.

Ce que dit l’Autorité environnementale : vigilance sur 5 grands risques

L’Ae identifie cinq grands enjeux environnementaux :

  1. Biodiversité : les inventaires naturalistes sont jugés trop sommaires. Trois zones humides sont déjà identifiées sur la Plaine des Cafres et du Nez de Bœuf. Leur évitement est fortement recommandé. On y trouve notamment des pelouses humides d’altitude, habitats rares pouvant accueillir des espèces endémiques strictes.
  2. Ressource en eau : le PER recoupe des captages stratégiques pour l’eau potable du Sud de l’île. L’ARS demande d’éviter toute atteinte aux périmètres de protection rapprochée. Un forage exploratoire consommerait à lui seul environ 5 000 m³ d’eau.
  3. Paysages : le secteur de Bourg-Murat, visible depuis le parc national, est à haute valeur paysagère. L’intégration visuelle des futures infrastructures devra être anticipée très en amont.
  4. Risques naturels : le site est exposé à des aléas multiples (cyclones, mouvements de terrain, volcanisme). Les forages pourraient également perturber la surveillance sismique du volcan, qui repose sur la détection de microséismes.
  5. Gaz à effet de serre : le gain carbone potentiel devra être évalué, en regard des émissions du chantier et des installations. Un bilan carbone complet du projet (exploration, exploitation, démantèlement) est attendu.

Une intégration réglementaire encore incomplète

Le dossier souffre de plusieurs incohérences : superficies contradictoires, périmètres mal délimités, cartes non actualisées. La compatibilité avec le Schéma d’aménagement régional (SAR), le SDAGE et la charte du parc national est à clarifier.

L’Ae recommande de renforcer la concertation avec les acteurs réglementaires (ARS, Parc national, hydrogéologue) et de mettre à jour les données environnementales (zones humides, captages, faune/flore).

Et après ? Les conditions à réunir pour poursuivre

L’avis souligne que chaque étape future (forage, exploitation) devra faire l’objet d’études d’impact plus fines, incluant :

  • des inventaires écologiques renforcés,
  • une estimation précise des besoins et disponibilités en eau,
  • une stratégie de raccordement aux réseaux (eau, électricité, voirie),
  • une évaluation des risques cumulés,
  • un plan de gestion des effluents et des boues.

L’ARS exige notamment un avis d’hydrogéologue agréé pour toute installation en zone de protection éloignée.


PER géothermie Cafres-Palmistes

Avis délibéré n° 2025-019 de l’Autorité environnementale, adopté lors de la séance du 24 avril 2025, relatif au permis exclusif de recherches (PER) de gîtes géothermiques sur l’île de La Réunion dit « Permis de Cafres-Palmistes »


 

Un projet test pour l’avenir géothermique de La Réunion

Ce projet constitue une première tentative structurée de démonstration du potentiel géothermique profond à La Réunion. Il est l’un des deux permis en cours, aux côtés de celui détenu par Albioma sur Cilaos et Salazie (79,6 km²). Ces initiatives expérimentales pourraient structurer une filière locale encore en émergence.

Les résultats du projet Cafres-Palmistes serviront de référence pour les futures démarches en géothermie dans les territoires volcaniques ultramarins. Ils orienteront aussi les politiques d’aménagement, d’environnement et d’énergie durable à La Réunion.


 

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