LA REUNION. la géothermie cherche sa voie entre potentiel volcanique et contraintes environnementales

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À La Réunion, la géothermie n’a encore jamais franchi le seuil de l’exploitation, malgré un sous-sol propice, des décennies d’études et un besoin énergétique évident. Si les bases scientifiques sont solides, les décisions politiques et territoriales, elles, restent en suspens. Le point sur un territoire où la ressource existe, mais attend toujours sa concrétisation.

Une histoire d’exploration commencée dès les années 70

C’est en 1978 que le BRGM initie les premières études d’exploration géothermique à La Réunion. L’enjeu est stratégique : identifier des ressources locales dans un territoire non interconnecté. Deux forages profonds sont réalisés quelques années plus tard, en 1985 et 1986, l’un à Salazie (2 108 m), l’autre au Grand Brûlé (3 000 m), à proximité du Piton de la Fournaise.

Les résultats sont partagés. Si les températures sont prometteuses — jusqu’à 192 °C en fond de puits à Salazie — aucun fluide géothermique exploitable n’est identifié. Pour autant, le gradient thermique élevé (90 °C/km) confirme l’intérêt du sous-sol réunionnais. La perspective reste ouverte, mais l’exploitation est mise en pause.

Le blocage du projet de la Plaine des Sables en 2010

La dynamique reprend au début des années 2000. Le Conseil régional, convaincu du potentiel, cible la Plaine des Sables pour y implanter une centrale d’environ 20 MW. Un appel d’offres est lancé en 2008 pour les travaux de génie civil et de forage. Pourtant, deux ans plus tard, le projet est stoppé net.

En 2010, la nouvelle majorité régionale renonce au chantier, invoquant un risque pour le classement du Parc national de La Réunion au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le site visé se trouvant en cœur de parc, toute intervention aurait pu compromettre l’inscription. Cette décision devient emblématique du dilemme réunionnais : comment exploiter les ressources sans porter atteinte à un patrimoine naturel unique ?

Le programme EGHERI relance l’exploration

Pour sortir de cette impasse, le BRGM propose en 2011 une stratégie renouvelée. Le programme EGHERI (Exploration Géothermique Haute Énergie à La Réunion) est lancé en 2014, avec l’appui de l’Université de La Réunion et du laboratoire Magma et Volcans de Clermont-Ferrand.

L’objectif est double : valoriser les acquis des décennies précédentes tout en évitant les zones écologiquement sensibles. Les résultats sont détaillés dans le rapport de l’ADEME de février 2025, qui hiérarchise les secteurs d’intérêt :

  • Zones d’intérêt avéré : cirques de Salazie et Cilaos
  • Zones à potentiel à confirmer : Plaine des Cafres, Étang-Salé, Palmistes, Langevin, Remparts
  • Zones prometteuses mais protégées : Plaine des Sables, Bébour-Bélouve, en cœur de Parc national

Grâce à cette cartographie affinée, le territoire dispose désormais d’un socle de connaissances solide pour planifier d’éventuelles explorations.

Comparaison avec Hawaï : un espoir réaliste ?

Ce potentiel volcanique réunionnais n’est pas sans rappeler celui de l’île de Hawaï. Sur la Big Island, la centrale géothermique de Pahoa fonctionne depuis les années 1980. Elle produit environ 30 MW, avec sept forages producteurs et cinq forages de réinjection, forés entre 1 220 et 2 134 mètres.

Le BRGM considère cette référence comme pertinente, bien que nuancée. À La Réunion, les failles sont moins marquées, et les structures de rift plus diffuses. Néanmoins, la configuration géologique reste similaire, et les études estiment qu’un gisement de 20 à 30 MW pourrait être techniquement envisageable, à condition de localiser les bonnes fractures et de maîtriser les conditions de forage.

Deux permis miniers pour structurer la recherche

Depuis 2022, deux Permis Exclusifs de Recherche (PER) ont été déposés afin de permettre des investigations concrètes :

  • Le PER Piton des Neiges, déposé par Albioma et validé en mars 2024 pour cinq ans, couvre 79,65 km², incluant Salazie et Cilaos
  • Le PER Cafres-Palmiste, porté par Engie, est en instruction. Il couvre 55,86 km², sur La Plaine des Palmistes et Le Tampon

Ces deux permis sont le fait d’acteurs reconnus de la transition énergétique. Albioma dispose déjà d’une forte implantation ultramarine, tandis qu’Engie mobilise ses compétences via des filiales spécialisées. Toutefois, leur passage à la phase opérationnelle reste conditionné à un soutien public clair, notamment via des dispositifs de garantie sur les forages, à l’image de ce qui a été mis en place avec succès en Guadeloupe.

Une équation à résoudre entre énergie, territoire et biodiversité

La Réunion partage avec les autres ZNI une forte dépendance aux énergies fossiles. Bien que les énergies renouvelables aient progressé, le besoin en solutions pilotables reste important. En 2023, environ 40 % de l’électricité produite sur l’île provenait des ENR, principalement du solaire, de l’hydroélectricité et de la bagasse.

Ces sources, malgré leur intérêt, restent intermittentes ou saisonnières, et nécessitent des infrastructures de stockage ou de secours. En revanche, la géothermie permet une production continue et stable, sans dépendre des conditions climatiques, ce qui en fait une option stratégique pour sécuriser le mix énergétique local.

Mais l’enjeu ne se limite pas à la technique. Il faut aussi répondre à plusieurs conditions :

  • Obtenir une acceptabilité locale dans un territoire sensible
  • Clarifier les règles d’intervention dans les zones proches du Parc national
  • Mobiliser des investissements lourds pour les forages, qui peuvent coûter plusieurs millions d’euros l’unité

C’est donc à une planification territoriale de long terme qu’il faudra se livrer si la géothermie réunionnaise veut devenir réalité.


Source : ADEME – Philippe Laplaige, État des lieux de la géothermie dans l’outre-mer français, février 2025.


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