LA REUNION face au ZAN 2050 : le CCEE alerte sur la pression foncière et les besoins en logement

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Comment répondre à la demande de logements et de développement économique quand les marges foncières se réduisent d’année en année ? C’est la question soulevée par le CCEE dans ses observations sur la trajectoire ZAN 2050. Le document, publié fin août, met en lumière les contradictions d’une île de 2 500 km² sommée de réduire drastiquement son artificialisation tout en accueillant plus d’un million d’habitants d’ici 2050. Entre besoins massifs et contraintes juridiques, le Conseil appelle à des adaptations spécifiques.

Les constats du CCEE : un modèle pensé pour la métropole, difficilement transposable

Pour le CCEE, la loi ZAN reste avant tout un dispositif conçu pour les grands espaces hexagonaux. À La Réunion, l’application directe de ce modèle se heurte à plusieurs obstacles. L’île est déjà fortement contrainte par des législations majeures : la loi Littoral, la loi Montagne, le classement UNESCO des pitons, cirques et remparts, sans oublier la présence d’un Parc national couvrant 40 % de la surface. Cette superposition réglementaire réduit encore les marges de manœuvre foncières.

Au-delà des aspects juridiques, le Conseil rappelle une réalité culturelle : l’occupation du sol s’est historiquement construite dans une logique d’expansion, non de restriction. Introduire volontairement une limitation de l’espace habitable constitue un bouleversement profond.

Le texte évoque même une piste technologique originale : mobiliser l’intelligence artificielle pour croiser données démographiques, besoins en logements, foncier économique, documents d’urbanisme et schémas sectoriels afin de proposer plusieurs trajectoires ZAN, adaptées selon l’intensité de consommation d’espace et les horizons temporels.

Des besoins massifs en logement face à la contrainte foncière

L’enjeu démographique est central. Selon l’étude INSEE-DEAL de 2024, la population de La Réunion devrait dépasser le million d’habitants dès 2044. À cet horizon, il faudrait construire 172 500 logements entre 2021 et 2050. La répartition de cette demande est instructive : la croissance démographique explique la moitié du besoin, l’évolution des modes de cohabitation (familles plus petites, décohabitation, monoparentalité) en représente un tiers, et le vieillissement de la population le reste.

Mais cette estimation ne s’arrête pas là. Aux 115 000 logements liés à ces évolutions s’ajoutent 27 500 unités pour compenser les démolitions, restructurations ou logements devenus vacants, ainsi que 29 500 pour résorber les situations de mal-logement. Le total atteint donc le scénario médian de 172 500 logements. Pour y parvenir, la trajectoire ZAN identifie un besoin foncier de 2 050 hectares d’ici 2050.

Le CCEE émet de fortes réserves : les projections s’appuient surtout sur des données quantitatives, sans intégrer les aspirations sociales et la diversité des modes d’habiter. Or, les réalités locales sont particulières : la moitié des logements à produire devrait relever du très social, du social ou de l’intermédiaire, alors que le marché est déjà tendu et que la pression se concentre surtout sur les zones littorales. Ces territoires, déjà urbanisés et attractifs, sont aussi les plus contraints par la loi Littoral.

Le Conseil souligne une contradiction : la densification imposée par le ZAN risque d’entrer en conflit avec une préférence culturelle encore marquée pour la maison individuelle et la valorisation du foncier hérité. Cette tension pourrait ralentir la mise en œuvre, faute d’adhésion citoyenne.

C’est pourquoi le CCEE appelle à un « plan Marshall » du logement social, capable de répondre à la fois à l’urgence quantitative et aux besoins qualitatifs de la population.

Le développement économique et les équipements stratégiques : une forte pression sur le foncier

Le développement économique constitue une autre dimension clé. Les estimations retiennent une consommation moyenne de 30 hectares par an, soit 900 hectares d’ici 2050 pour les zones d’activités, la logistique, le tertiaire et certaines installations agricoles. Les constats sont préoccupants : ces zones sont très consommatrices d’espace, avec une moyenne de seulement 22 emplois par hectare, et de vastes surfaces dédiées au stationnement au sol. Le CCEE insiste sur la nécessité d’optimiser les sites existants, par exemple en développant des parkings verticaux.

Les communes ont déjà identifié près de 650 hectares mobilisables dans leurs PLU, mais le Conseil s’interroge sur la capacité à imposer une véritable rationalisation lors de la délivrance des permis de construire. L’inquiétude est d’autant plus forte que la dynamique foncière reste très fragmentée à l’échelle communale.

Les infrastructures et équipements stratégiques ajoutent encore à la pression. Entre hôpitaux, réseaux de mobilité, interconnexions en eau, et besoins énergétiques, l’enveloppe est évaluée à 250 hectares d’ici 2050. Ces surfaces s’ajoutent à celles déjà consacrées aux projets d’envergure nationale (PENE), comptabilisés au niveau national mais susceptibles de grever indirectement les terres réunionnaises.

Au total, la trajectoire ZAN chiffre la consommation foncière maximale à 3 340 hectares : 2 050 pour le logement, 900 pour l’économie, 250 pour les infrastructures stratégiques et 140 pour les équipements de proximité. Un volume considérable à l’échelle d’une île.

Les interrogations non résolues : agriculture, énergie, indivision, climat

Au-delà des chiffres, le CCEE soulève une série de questions fondamentales. L’agriculture, tout d’abord : le modèle actuel n’offre pas toujours une rentabilité suffisante pour protéger les terres agricoles de la pression foncière. Les agriculteurs restent attachés à une gestion patrimoniale, ce qui pose la question de l’avenir productif de ces espaces.

Le modèle d’habitat constitue un autre angle d’interrogation. Comment concilier densification, qualité architecturale et cohésion sociale ? Faut-il privilégier la verticalité dans les zones urbaines, tout en intégrant des espaces partagés et de respiration ? Le Conseil invite à réfléchir à une mixité fonctionnelle où logements et activités cohabitent, source d’apaisement dans les quartiers.

La question foncière réunionnaise ne peut être abordée sans évoquer l’indivision et les procédures d’expropriation. Elles constituent des blocages récurrents, générateurs de tensions sociales et de traumatismes familiaux. Leur prise en compte dans la trajectoire ZAN reste floue.

Enfin, deux enjeux transversaux traversent tout le rapport : l’autonomie énergétique, que l’île cherche à atteindre sans empiéter davantage sur ses terres, et le changement climatique, dont la vulnérabilité spécifique de La Réunion n’est pas assez intégrée dans la planification.

Des propositions radicales et des adaptations locales à envisager

La trajectoire ZAN définit deux étapes : réduire de moitié la consommation entre 2021 et 2031 (1 690 ha contre 2 600 consommés entre 2011 et 2021), puis tendre vers le zéro net entre 2031 et 2050, avec 1 650 ha compensés par renaturation. Mais le CCEE doute de la faisabilité de ces objectifs. Le retard accumulé en matière de logements sociaux rend l’équation particulièrement fragile.

Face à ces contraintes, le Conseil évoque une hypothèse radicale : transformer le rapport au sol en passant de la propriété foncière individuelle à un usufruit limité à la durée d’une vie humaine. Une idée qui bouscule les représentations traditionnelles mais souligne l’ampleur du défi.

Le CCEE propose également d’expérimenter des adaptations législatives propres à La Réunion, adaptées à son histoire, à sa culture créole insulaire et à ses réalités sociales. Une réflexion participative, notamment par un sondage auprès des jeunes sur « comment habiter La Réunion demain ? », permettrait de nourrir ces évolutions.


Source : RÉFLEXIONS SUR LE RAPPORT DE LA TRAJECTOIRE « ZAN 2050 DE LA RÉUNION » par le CCEE La Réunion


La trajectoire ZAN révèle une contrainte majeure : la rareté du foncier. La manière dont l’île choisira de l’utiliser définira l’équilibre entre développement, protection et justice sociale.

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