Hydrogène vert à LA REUNION : un levier stratégique entre ambitions locales et défis concrets

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À La Réunion, l’hydrogène vert est désormais identifié comme un vecteur énergétique d’avenir. Face à une dépendance aux énergies fossiles de 85 % et à des enjeux de transition énergétique renforcés par l’insularité, la filière hydrogène suscite un intérêt croissant. Mais entre potentiel technique, contraintes territoriales et viabilité économique, le déploiement reste encore limité. Le dernier rapport « État des lieux de la filière hydrogène à La Réunion – 2024 » dresse un panorama précis de la situation et des perspectives à l’horizon 2030.

Une promesse énergétique mondiale… sous conditions locales

L’hydrogène est aujourd’hui considéré comme une pièce maîtresse de la transition énergétique mondiale. En 2021, la demande a atteint 94 millions de tonnes, tirée à 33 % par le raffinage pétrolier et à 27 % par la production d’ammoniac. Mais 99 % de cette production est encore issue de ressources fossiles, engendrant près de 900 Mt de CO₂ annuelles. D’où l’enjeu du développement de l’hydrogène dit « vert », produit par électrolyse à partir d’électricité renouvelable.

À La Réunion, territoire non interconnecté fortement dépendant du gazole et du charbon pour sa production électrique, l’hydrogène représente une alternative stratégique. Il pourrait répondre à plusieurs objectifs majeurs : souveraineté énergétique, stockage longue durée des ENR, développement d’une mobilité propre et réduction des émissions liées au transport. Encore faut-il pouvoir le produire, le stocker, le distribuer, et surtout… l’utiliser à grande échelle.

Produire de l’hydrogène vert à La Réunion : un potentiel bridé par le foncier et la technologie

Les ressources renouvelables disponibles localement — principalement le solaire et dans une moindre mesure l’éolien — offrent un levier théorique pour produire de l’hydrogène vert. Mais le rapport pointe plusieurs limites. Avec un facteur de charge de 14,2 % pour le photovoltaïque, il faudrait une centrale de 900 kWc — soit environ un hectare — pour alimenter seulement deux bus à hydrogène. L’implantation de ces infrastructures entre rapidement en conflit avec les contraintes foncières du territoire.

Des alternatives émergent néanmoins. La PPE prévoit l’intégration de l’éolien off-shore d’ici 2028, et les centrales thermiques, les serres agricoles ou les toitures de parkings pourraient accueillir des panneaux solaires.

Des voies de recherche explorent aussi la pyrogazéification des déchets, les procédés biologiques (algues et bactéries productrices d’hydrogène), ou encore la thermolyse de l’eau. Certaines de ces technologies, bien que prometteuses, restent encore à un niveau de maturité technologique insuffisant pour un déploiement industriel.

Enfin, l’électrolyse peut aussi s’appuyer sur l’électricité du réseau, à condition qu’elle provienne d’une source suffisamment décarbonée. Dès 2024, avec la conversion des centrales à la biomasse, le mix électrique réunionnais pourrait permettre la production d’hydrogène « renouvelable » selon les critères de la Commission européenne.

Mobilité, industrie, électricité : où l’hydrogène pourrait faire la différence

C’est dans ses usages que l’hydrogène à La Réunion peut devenir un outil de transition puissant. Trois secteurs sont ciblés.


Dans le transport, qui représente 36 % des émissions de l’île, l’hydrogène pourrait compléter les véhicules électriques à batterie, surtout pour les usages intensifs : bus, camions, bennes à ordures, engins de manutention. Contrairement aux batteries Li-Ion dont l’autonomie est réduite par les pentes, la chaleur et la climatisation, les véhicules à hydrogène conservent une autonomie de 300 à 400 km. Des prototypes de moteurs à combustion hydrogène sont en test chez Mercedes, Rolls-Royce ou JCB, avec des perspectives concrètes à horizon 2027-2030.


Dans l’industrie, la demande est encore marginale. La Réunion importe de faibles quantités d’hydrogène, notamment pour des applications spécifiques (laboratoires, agroalimentaire). Mais plusieurs entreprises locales s’intéressent à la production de chaleur (chaudières H2), à l’autonomie énergétique de bâtiments industriels et à la fabrication de carburants de synthèse.

Une enquête réalisée auprès des adhérents de l’ADIR a révélé que certains industriels du secteur agroalimentaire, de la logistique ou du froid envisagent l’usage d’hydrogène pour des chariots élévateurs, l’alimentation de chambres froides, ou encore pour compenser les pics de consommation électrique sur leurs sites. Ces usages ciblés pourraient justifier à terme une production locale, si les coûts et la logistique s’améliorent.


Côté production d’électricité, l’hydrogène joue un rôle de stockage à long terme. Il peut pallier les intermittences du photovoltaïque et de l’éolien en étant injecté dans des micro-réseaux. Deux projets pilotes illustrent ce potentiel : CEOG en Guyane et SAGES à Mafate. Selon l’ADEME, coupler batteries et électrolyseurs devient économiquement plus pertinent dans les zones isolées quand les besoins d’autonomie dépassent quatre jours.


Une dynamique réelle mais fragile : entre volonté politique et inertie structurelle

La filière hydrogène réunionnaise reste embryonnaire. Le rapport recense plusieurs projets, souvent limités ou non aboutis. Le micro-réseau de La Nouvelle, pionnier, a été démantelé après un incendie en 2022, soulignant la nécessité de former les équipes de secours aux risques spécifiques liés à l’hydrogène. Le projet d’Aurère, initialement retenu dans le cadre de l’AAP Ecosystème de l’ADEME, est en attente de relocalisation dans une zone plus accessible.

Par ailleurs, les porteurs de projets réunionnais se heurtent souvent à des critères nationaux peu adaptés aux réalités insulaires : le seuil de 2 MW pour les électrolyseurs ou le ratio « CO₂ évité par euro investi » désavantage fortement les petits territoires. Ces blocages, documentés dans l’étude de l’ADEME, ont freiné l’aboutissement de plusieurs candidatures locales pourtant techniquement viables.

Mais les freins structurels dépassent les projets eux-mêmes. Le manque de foncier classé ICPE, les coûts d’investissement élevés, l’indisponibilité de certains équipements et l’absence de chaîne logistique cohérente freinent le passage à l’échelle. L’acceptabilité sociale, la prise de risque économique des maîtres d’ouvrage et la complexité de maintenance sont aussi des facteurs décisifs.

Côté formation, il n’existe encore que peu de cursus spécialisés. Le « livre blanc Compétences et métiers » répertorie pourtant 84 métiers liés à l’hydrogène, dont 28 sur l’exploitation et la maintenance. Le rapport recommande une montée en compétence rapide, via la « coloration hydrogène » de formations existantes et l’intégration des acteurs R&D dans les tests opérationnels.

Structurer une filière hydrogène en zone insulaire : quelles priorités pour 2030 ?

Le rapport est clair : sans vision industrielle de long terme, les expérimentations isolées ne suffiront pas. Les acteurs locaux appellent à la planification de projets structurants sur 20 ans, à l’image de ce qui a été fait pour l’électromobilité dans les années 2010. Cela implique :

  • une coordination offre/demande,
  • une mobilisation des guichets de financement (France 2030, FEDER, ADEME),
  • une sécurisation du foncier,
  • un accompagnement au changement.

La Réunion pourrait également se positionner à l’échelle régionale comme hub de mutualisation des savoir-faire et de la logistique, au sein de la zone Océan Indien.


À CONSULTER :

ÉTAT DES LIEUX DE LA FILIÈRE HYDROGÈNE À LA RÉUNION EN 2024


Avec ses ressources renouvelables, ses enjeux d’autonomie énergétique et l’intérêt manifesté par ses acteurs, La Réunion a les cartes en main pour faire de l’hydrogène un levier stratégique. Mais le passage à l’échelle industrielle reste suspendu à des arbitrages techniques, politiques et économiques qui devront être tranchés rapidement si l’île veut atteindre ses objectifs à l’horizon 2030.

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