GUYANE. Repenser la ville et l’habitat pour résister à la chaleur extrême

0

En juin 2025, les Journées de l’Adaptation au Changement Climatique (JACC) ont réuni à Cayenne plus de 200 acteurs du territoire autour d’une question centrale : comment rendre la Guyane plus résiliente face aux bouleversements climatiques ? Parmi les ateliers, celui consacré aux “villes en surchauffe” a révélé des écarts de température inédits entre zones urbaines et milieux naturels, tandis que dans le Sud Guyane, les habitants affrontent déjà la sécheresse, la pression sur l’eau et les tensions liées à l’orpaillage.

Entre constats scientifiques, solutions d’urbanisme bioclimatique et expériences locales, se dessine un même défi : adapter l’habitat et les modes de vie guyanais à un climat de plus en plus extrême.

Les îlots de chaleur urbains : un constat scientifique alarmant

Les recherches de Basile Tschora montrent une intensité rare du phénomène d’îlot de chaleur urbain sur l’île de Cayenne. En saison sèche 2023, la différence entre le centre-ville et la forêt avoisinante a atteint jusqu’à 9 °C. À certains moments, alors que la canopée affichait 28 °C, les zones urbaines dépassaient les 37 °C, avec des conséquences directes sur le confort et la santé.

Pour obtenir ces résultats, les chercheurs ont combiné relevés de terrain, imagerie MODIS (1 km, deux fois par jour) et Landsat (30 m, tous les 8 à 16 jours), tout en développant des méthodes de “désennuagement” pour contourner la couverture nuageuse. Ces données permettent aujourd’hui de cartographier les ICU à l’échelle d’un quartier, jour après jour, depuis 1986. Une avancée qui offre une vision sans précédent de l’évolution thermique de l’île.

Les cartes produites révèlent que les ICU se concentrent dans les zones fortement minéralisées, où l’absence de végétation et de sols perméables accentue la rétention de chaleur. À l’inverse, les quartiers bordés de zones humides ou de forêts présentent des températures nettement plus basses, confirmant le rôle rafraîchissant de la végétation et de l’évapotranspiration.

Les implications dépassent la simple question de confort. L’hyperthermie, la déshydratation et la vulnérabilité accrue des personnes âgées ou malades sont autant de risques sanitaires. L’exemple guyanais illustre, à petite échelle, une tendance mondiale : plus de 5 000 décès liés aux vagues de chaleur en France en 2023. Dans un climat équatorial, l’effet est démultiplié et appelle des réponses rapides.

L’urbanisme bioclimatique : concevoir des villes adaptées au climat équatorial

À ce constat scientifique, Fabien Bermès, directeur d’AQUAA, oppose des solutions très concrètes. L’urbanisme bioclimatique consiste à tirer parti des ressources climatiques locales plutôt que de s’en protéger par une consommation énergétique excessive.

Les principes reposent sur trois axes :

  • La ventilation naturelle : orienter les bâtiments et les avenues NE/SO pour capter les alizés, créer des cheminements aérés, prévoir des galeries couvertes.
  • La maîtrise de l’ensoleillement : multiplier les façades claires à albédo élevé, utiliser des brise-soleil, des casquettes filantes et des auvents en bois pour réduire les apports thermiques.
  • La création d’îlots de fraîcheur : conserver la végétation existante, introduire des alignements d’arbres, aménager des noues végétalisées et privilégier les sols perméables.

Les mesures réalisées sur l’avenue Léon Gontrand Damas illustrent l’écart de confort : dans un secteur minéralisé sans ombre, les températures de surface grimpaient jusqu’à 54 °C sur l’asphalte noir, tandis que dans une zone bordée d’arbres denses, la température ressentie chutait à 30,7 °C. Dans un parc public entouré de forêt, le thermomètre descendait même sous les 31 °C, malgré une température de l’air supérieure à 33 °C, grâce à l’évapotranspiration et à l’ombrage.

Ces contrastes ne relèvent pas d’anecdotes locales : ils démontrent que des choix d’aménagement simples — matériaux clairs, sols perméables, végétation — transforment profondément le confort urbain. Le guide élaboré par AQUAA propose d’ailleurs une méthodologie complète, allant de l’étude des vents à la simulation numérique, pour intégrer ces paramètres dès les premières esquisses des projets. L’objectif est clair, c’est de fournir aux urbanistes et architectes des outils pratiques pour bâtir des villes vivables dans un climat équatorial.

Le Sud Guyane : des populations en première ligne

Au-delà des villes, le changement climatique bouleverse les modes de vie dans le Sud Guyane. Le Parc Amazonien de Guyane (3,4 millions d’hectares, 18 000 habitants) constitue un territoire emblématique où les communautés locales — Wayana, Wayapi, Tekos, Apalaï ou Aluku — entretiennent un lien direct avec leurs ressources.

En 2024, une sécheresse exceptionnelle a frappé la région. Le niveau du fleuve Maroni est tombé à un seuil critique, paralysant la navigation, l’approvisionnement et les activités de pêche. Face à cette crise, les autorités ont dû affréter par avion Casa de la nourriture importée, dans le cadre d’un plan ORSEC. Une aide d’urgence qui, si elle a répondu à l’urgence, révèle la vulnérabilité structurelle des communes de l’intérieur.

Les systèmes alimentaires sont également fragilisés par la contamination au mercure issue de l’orpaillage. Des études montrent que l’exposition prolongée peut entraîner des troubles neuropsychiatriques, tels que l’anxiété ou la dépression. À cela s’ajoute la maladie du manioc, qui compromet non seulement l’alimentation traditionnelle mais aussi la cohésion sociale, car cette culture joue un rôle central dans l’organisation familiale et dans la place des femmes au sein des sociétés autochtones.

Chaque année, environ 200 hectares d’abattis sont ouverts pour l’agriculture vivrière. Mais cette pratique, soumise aux aléas climatiques, phytosanitaires et économiques, ne garantit plus l’autonomie alimentaire comme par le passé.

Pourtant, malgré ces contraintes, une culture de la résilience perdure. Les habitants ont développé une capacité d’adaptation par la débrouille, mélange d’autonomie, d’inventivité et de solidarité. Cette expérience concrète est une richesse pour l’avenir, mais elle souligne aussi l’importance d’une gouvernance partagée. Comme le rappelle le Comité de Vie Locale du PAG, les décisions en matière d’adaptation doivent intégrer la participation active des communautés. Sans cela, les stratégies risquent de rester hors-sol.


Sources et documents


Les JACC ont ouvert un chantier essentiel : en Guyane, l’adaptation ne se décrète pas, elle se construit à la croisée des sciences, des choix urbains et des pratiques locales. Entre villes en surchauffe et villages déjà confrontés aux crises de ressources, l’enjeu est moins de trouver des recettes toutes faites que de bâtir une intelligence collective capable d’anticiper.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici