La Guadeloupe ambitionne d’atteindre un mix électrique 100 % renouvelable dès 2028. Mais à mi-parcours, le dernier bulletin semestriel de l’OREC (S2 2024), publié en avril 2025, révèle un net recul des énergies vertes et une instabilité persistante du système énergétique local. De quoi interroger la faisabilité d’une trajectoire aussi ambitieuse, alors que le projet de Programmation Pluriannuelle de l’Énergie 2024–2033, adopté par le Conseil régional en octobre 2023, attend encore son approbation définitive par l’État.
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Un semestre tendu pour l’électricité locale
Entre juillet et décembre 2024, la Guadeloupe a enregistré 867 GWh d’électricité livrés au réseau, soit une baisse de -1 % par rapport au second semestre 2023. Cette contraction de la production ne s’explique pas par une baisse structurelle de la demande, mais plutôt par des perturbations exceptionnelles. Un mouvement social à EDF-PEI a en effet entraîné des délestages répétés pendant plus de deux mois, entre la mi-septembre et le début décembre, réduisant considérablement la capacité de production. Le point culminant de cette crise énergétique a été atteint le vendredi 25 octobre, avec un blackout total sur le territoire.
Côté consommation, la tendance est également à la baisse (-1 %), avec toutefois des pics de demande en juillet et décembre, mois marqués par une augmentation du nombre de nuits chaudes (températures supérieures à 25°C). Ces conditions climatiques ont probablement accru le recours à la climatisation, renforçant la pression sur le réseau électrique en période de tension.
Au-delà de ces fluctuations mensuelles, ces épisodes traduisent une vulnérabilité structurelle du système énergétique insulaire, où un seul acteur perturbé peut déséquilibrer l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.
Les renouvelables sous pression : repli généralisé en S2 2024
L’indicateur le plus marquant du bulletin de l’OREC concerne la part des énergies renouvelables dans le mix électrique, qui chute à 26 % au second semestre 2024, contre 31 % un an plus tôt. En volume, la production passe de 274 GWh à 225 GWh, soit une baisse nette de -18 %. C’est une contre-performance qui interroge d’autant plus qu’elle survient à une période où la Guadeloupe est censée accélérer sa transition vers un système 100 % EnR d’ici 2028, comme inscrit dans la PPE révisée.
Dans le détail, presque toutes les filières sont concernées par ce recul :
- La biomasse importée perd 37 GWh (-39 %) en raison de travaux planifiés sur l’usine de traitement et de pannes techniques à répétition.
- La bagasse locale, issue de la canne à sucre, recule de 63 % (–10 GWh) après une campagne sucrière écourtée d’un mois.
- La géothermie affiche –16 %, avec l’indisponibilité d’une turbine.
- L’éolien diminue également de 5 %, lié à un gisement de vent plus faible cette saison.
Seules quelques filières progressent :
- Le photovoltaïque, porté par un meilleur ensoleillement, gagne +10 % (soit +5 GWh).
- Le biogaz, issu des décharges, progresse de +22 %.
- L’hydraulique, très marginale dans le mix, connaît une amélioration de +32 %, mais à partir de niveaux très faibles.
Résultat : la trajectoire de verdissement s’inverse pour la première fois depuis plusieurs années, soulignant la fragilité du mix actuel, encore trop dépendant de filières sensibles au climat, à la saisonnalité ou aux contraintes industrielles.

Consulter ici le Bulletin de l’énergie – S2 Année 2024 de l’OREC GUADELOUPE
Des ambitions affichées à 100 % EnR en 2028… mais un chemin incertain
Adoptée par le Conseil régional le 25 octobre 2023, la nouvelle PPE 2024–2033 fixe un objectif très clair : 100 % d’électricité renouvelable d’ici 2028. Pour y parvenir, le territoire prévoit de porter sa capacité EnR installée à 708 MW en 2028, contre 240 MW environ en 2022, selon les chiffres du gestionnaire de réseau. Cela suppose de tripler les capacités en moins de six ans, un rythme rarement atteint jusqu’à présent.
Selon les dernières données consolidées dans le projet de PPE, la Guadeloupe disposait d’environ 336 MW de capacités renouvelables installées fin 2022. Pour atteindre les 708 MW prévus d’ici 2028, il faudra donc déployer 372 MW supplémentaires en moins de quatre ans, soit une augmentation de plus de 110 %. À titre de comparaison, la progression enregistrée sur la période 2017–2022 n’a été que de 72 MW.
Les ambitions sont également élevées pour 2033 avec 870 MW de capacité installée visée. Mais en regardant le bulletin semestriel de l’OREC, on constate que le point de départ reste instable : les EnR reculent, les installations existantes sont fragiles, les projets de conversion perturbent la production actuelle, et l’adhésion des usagers à la transition reste inégale.
Le contraste est donc fort entre la volonté politique affichée et la réalité technique et sociale du terrain. Cette divergence soulève une question centrale : les outils de planification suffisent-ils à compenser les fragilités opérationnelles actuelles ?
L’effet retard des projets de conversion : exemple de la centrale d’Albioma
Parmi les éléments qui expliquent le recul ponctuel des EnR, la conversion de la centrale Albioma à la biomasse 100 % locale constitue un bon exemple. En principe, ce projet vise à substituer totalement le charbon par de la biomasse solide et des CSR (combustibles solides de récupération), en priorité issus de ressources locales. Mais en attendant la fin des travaux, cette infrastructure est partiellement indisponible, réduisant la capacité de production renouvelable et augmentant mécaniquement la part du thermique dans le mix.
Ce phénomène d’effet retard, classique dans les phases de transition, impose une gestion fine des calendriers.
D’autres chantiers structurants sont également en cours ou à venir. La remise en service partielle de la centrale géothermique de Bouillante, avec de nouvelles turbines, est attendue pour fin 2025. De même, plusieurs projets de production à base de CSR (combustibles solides de récupération) sont en phase de montage, avec des démarrages planifiés à horizon 2026–2027. Tous impliquent des travaux d’adaptation qui, à court terme, pourraient temporairement restreindre la production renouvelable disponible sur le réseau.
Le défi, pour les années à venir, sera donc de mener la transformation du parc de production sans provoquer de rupture de service, surtout dans un territoire non interconnecté comme la Guadeloupe.
Le transport routier, révélateur d’un autre décalage structurel
La transition énergétique ne concerne pas que la production d’électricité. Le transport routier, principal poste de consommation énergétique du territoire, reste largement dominé par les carburants fossiles. Au second semestre 2024, la consommation a atteint 1 484 GWh, en hausse de 1,5 % par rapport à l’année précédente. Un paradoxe, alors que la PPE vise une réduction nette des consommations énergétiques dans ce secteur.
Ce regain est en partie lié aux délestages d’électricité survenus à l’automne : de nombreux particuliers et entreprises ont eu recours à des groupes électrogènes alimentés au diesel ou au super sans plomb. Par ailleurs, le marché des véhicules hybrides progresse rapidement (+57 %), mais les véhicules 100 % électriques restent minoritaires : 844 unités neuves vendues sur le semestre, soit une part de marché de 9,4 % (+0,5 point seulement).
La PPE vise un parc à 15 % de VE d’ici 2033, avec 1 000 points de recharge pilotés installés avant 2030. Mais pour l’heure, les usages ne suivent pas encore cette dynamique, et les réseaux de recharge restent insuffisamment maillés.
Même constat pour le covoiturage, qui connaît une progression encourageante avec +3 715 trajets recensés sur le semestre, permettant d’économiser 29 tonnes de CO₂, mais sans provoquer de bascule massive des comportements.
Quelles marges pour rattraper la trajectoire ?
Au vu des données du bulletin OREC et des objectifs PPE, la trajectoire est claire : la Guadeloupe doit massivement accélérer le rythme. Cela suppose :
- D’activer tous les leviers de production, y compris ceux plus complexes comme la géothermie ou les CSR.
- De renforcer les capacités de stockage et de pilotage des réseaux (objectifs PPE : 150 MWh de stockage et 400 MW.s d’inertie en 2033).
- De mieux synchroniser la mise en service des projets avec la disponibilité réelle des moyens actuels.
- De mobiliser les collectivités et le secteur privé sur la transition dans les transports.
Le bulletin met en lumière une situation paradoxale : les plans sont en place, les outils existent, mais les résultats reculent. Ce décalage ne condamne pas la transition, mais il montre qu’elle devra passer par une gouvernance encore plus fine, une résilience accrue des filières locales et un soutien opérationnel renforcé.
Le bulletin semestriel de l’OREC offre un instantané sans appel : en 2024, la Guadeloupe recule sur les EnR alors qu’elle vise leur généralisation en 2028. La transition énergétique est bien engagée, mais elle reste fragile, soumise à des tensions industrielles et sociales que la planification seule ne pourra absorber.









