L’IEDOM a publié son rapport annuel 2024 sur la Guadeloupe. Le document dresse le portrait d’une économie en perte de souffle, freinée par une consommation des ménages atone et le recul de secteurs clés comme le BTP, le commerce ou l’agroalimentaire. Pourtant, malgré ce ralentissement, le climat des affaires s’est maintenu au-dessus de sa moyenne de long terme, porté par une inflation moins vive et une reprise de l’investissement en fin d’année.
—
Un climat économique contrasté
L’année 2024 a été marquée par une croissance modérée. L’indicateur du climat des affaires s’établit en moyenne à 104,5 points, en retrait par rapport à 2023 (108,1), mais toujours au-dessus de sa tendance historique.
Un paradoxe résume bien la situation : les chefs d’entreprise signalent une activité jugée dégradée, mais “leur moral reste globalement positif”, selon l’IEDOM. Cette résilience s’explique par une meilleure maîtrise des charges d’exploitation et des délais de paiement.
L’inflation a également ralenti, avec une hausse moyenne des prix limitée à 2,6 % contre 3,9 % l’an passé. La décélération est nette sur l’alimentation (+3,4 % après +10,2 %) et sur les produits manufacturés (+0,5 % après +2,9 %).
Pour contenir la vie chère, le “Bouclier Qualité-Prix” a été renforcé et une exonération de TVA sur 69 familles de produits de consommation courante est entrée en vigueur au 1er mars 2025.
Le BTP en perte de vitesse
Secteur stratégique pour l’économie locale, le BTP a connu une année difficile. Le chiffre d’affaires du secteur recule de 4,6 %, alors qu’il avait progressé de 22 % en 2023.
La consommation de ciment diminue encore de 3,4 % et les permis de construire chutent de 22,5 %. L’achèvement du chantier du CHU et la contraction de la commande publique expliquent en partie ce repli.
Le rapport souligne que “sur 501 appels d’offres publics publiés en 2024, seuls 6 % ont débouché sur un marché signé”, révélant la fragilité des carnets de commande.
Pourtant, 2025 pourrait marquer un tournant, avec plusieurs projets structurants : l’extension du port de Jarry (180 millions d’euros), la déviation de la Boucan/Sainte-Rose (100 millions) ou encore la mise en œuvre du Plan pluriannuel d’investissement du Département (993 millions sur 2024-2028).
Tourisme : stabilité mais vulnérabilités
Le tourisme reste l’un des rares moteurs de croissance. L’hébergement et la restauration enregistrent un chiffre d’affaires en hausse de 10,3 %, confirmant la dynamique observée depuis 2022.
La saison de croisière retrouve son niveau d’avant-crise, avec 242 escales. L’hôtellerie affiche encore un nombre de nuitées supérieur à celui de 2019 (+5,3 %), même si une baisse de 10 % a été enregistrée sur un an.
Mais la stabilité du secteur repose sur des fondations fragiles. Le rapport note que des perturbations liées à l’approvisionnement en eau et à des coupures d’électricité ont provoqué “le mécontentement des touristes”, entraînant parfois des demandes de dédommagement.
Ces incidents, conjugués aux tensions sociales, risquent de ternir l’image de la destination. En toile de fond, les professionnels surveillent aussi l’évolution des tarifs aériens, directement dépendants des cours du pétrole et des décisions fiscales.
Consommation et finances des ménages sous pression
La consommation des ménages ralentit. Les importations de biens durables chutent de 7,4 %, signe d’une prudence accrue des foyers face aux incertitudes. Dans le même temps, le recours au crédit devient plus coûteux : le taux moyen des crédits à la consommation atteint 7,39 % au quatrième trimestre, son niveau le plus élevé depuis 20 ans.
Cette tension financière se traduit par une hausse record du surendettement. En 2024, 664 dossiers ont été déposés, soit une progression de 24 % sur un an. L’IEDOM y voit le reflet “de la vulnérabilité croissante des ménages” dans un contexte de pouvoir d’achat fragilisé.
Ce constat est renforcé par deux réalités structurelles : un taux de pauvreté de 34,5 %, plus du double de la moyenne hexagonale (14,4 %), et un écart de prix de 15,8 % avec l’Hexagone, qui alourdit la facture des dépenses courantes.
Banques et financements : un appui décisif
Le secteur bancaire a continué de soutenir l’économie. L’encours global atteint 11,7 milliards d’euros, en progression de 4,6 %. Les crédits aux ménages augmentent de 4,5 %, ceux aux entreprises de 7,9 %. Les financements d’investissement se distinguent particulièrement avec une croissance de 11,8 %.
Mais derrière ces chiffres positifs, la vulnérabilité demeure. L’encours de créances douteuses brutes s’élève à 600,2 millions d’euros, en hausse de 7,7 % sur un an. Le taux de créances douteuses atteint 4,9 %.
Les établissements locaux financent 75 % des besoins du territoire, à partir de 92 % d’épargne collectée sur place, ce qui témoigne à la fois d’un ancrage solide et d’une forte exposition aux risques locaux.
2025, une année de transition décisive
Les perspectives pour 2025 sont prudentes. Plusieurs projets doivent redonner de l’élan à l’économie : l’extension du port de Jarry (livraison août 2025), la mise en œuvre du Plan Eau (533 millions d’euros) et la construction de nouveaux établissements hôteliers comme le Pullman du Moule (32 millions, livraison mi-2025).
Cependant, de nombreux défis subsistent. La commande publique reste fragile et les collectivités locales souffrent de tensions budgétaires, limitant leur capacité à soutenir l’investissement.
Le BTP se trouve à un moment charnière : après une année 2024 marquée par une contraction sévère, près d’un milliard d’euros de chantiers programmés pourrait redonner du souffle au secteur, mais encore faudra-t-il surmonter la fermeture de la carrière de Deshaies, les retards de paiement et les difficultés de recrutement.
Au-delà de la conjoncture, le recul démographique reste une menace lourde. La population est passée de près de 400 000 habitants en 2014 à environ 380 000 en 2025, avec une projection à 264 000 en 2050. Cela signifie une demande intérieure en recul, une main-d’œuvre moins disponible et une attractivité affaiblie pour les investisseurs.
Comme le souligne le rapport, “ce double défi conjoncturel et structurel pèsera sur la capacité de la Guadeloupe à transformer les projets engagés en moteur de croissance.”
Source : rapport annuel économique 2024 sur la Guadeloupe publié par l’IEDOM