Alors que la France affiche l’ambition de réduire sa dépendance au gaz fossile de 100 TWh par an d’ici vingt ans, la géothermie reste marginale : elle ne représente encore qu’à peine 1 % de la consommation de chaleur. Pourtant, cette énergie renouvelable locale offre un fort potentiel, notamment pour les bâtiments publics. Un guide récemment publié dans le cadre du programme ACTEE met en lumière les clés d’un couplage efficace entre géothermie et rénovation énergétique. Mais au-delà de la méthode, encore faut-il bien comprendre comment transformer cette opportunité en projet concret.
—
La géothermie seule ne suffit pas
C’est l’un des messages forts du document : aucun projet géothermique ne peut être efficace sans une rénovation préalable ou parallèle du bâtiment. Le raisonnement est simple. Un bâtiment mal isolé entraîne une consommation excessive, même avec un système de chauffage performant.
Une enveloppe défaillante, des parois peu étanches, ou encore des émetteurs inadaptés rendent l’investissement en géothermie largement contre-productif.
Thierry Barras (ADEME Centre) insiste d’ailleurs sur le phasage : « Les travaux d’économie d’énergie doivent précéder ou au minimum accompagner l’installation géothermique. » Cela suppose un audit énergétique rigoureux, un plan de rénovation thermique complet, et une anticipation des contraintes d’exploitation (notamment en climatisation, pour éviter la condensation).
Objectif : compatibilité basse température
La géothermie fonctionne à des températures modérées. Cela implique de dimensionner les émetteurs (planchers chauffants, ventilo-convecteurs, plafonds rayonnants…) pour fonctionner efficacement autour de 30 à 35 °C.
Si les radiateurs existants sont inadaptés, il faudra les remplacer ou les compléter par un système réversible capable de gérer froid et chaud. Dans le cas contraire, les performances attendues ne seront pas au rendez-vous.
Vincent Espinasse (ACTEE) résume l’approche : « Il faut isoler, étanchéifier, et s’assurer de la compatibilité des émetteurs avec une production de chaleur à basse température. »
Quelle géothermie pour quel territoire ?
Une des forces de la technologie est sa capacité d’adaptation. Le guide identifie plusieurs solutions, plus ou moins complexes à mettre en œuvre. Leur pertinence dépend du type de bâtiment, du contexte urbain ou rural, de la surface disponible, et bien sûr du budget.
Pour les petites communes : la géothermie de surface
Des solutions comme les sondes verticales, les corbeilles géothermiques ou les capteurs horizontaux sont idéales pour des bâtiments de petite ou moyenne taille : mairies, écoles, logements communaux, équipements sportifs.
Peu contraignantes réglementairement (si puissance < 500 kW), elles sont compatibles avec le régime de la géothermie de minime importance.
Ces systèmes exigent toutefois un terrain libre, et une bonne coordination avec les autres réseaux (eaux, assainissement, etc.). En zone dense, cela peut devenir un frein. L’intérêt de ces solutions réside aussi dans leur coût maîtrisé et leur accessibilité technique, notamment pour les collectivités rurales disposant de foncier.
Pour les intercommunalités et les villes : la géothermie profonde
Lorsque les besoins sont plus importants — groupe scolaire, hôpital, quartier entier — ou que l’ambition est d’alimenter un réseau de chaleur urbain, alors la géothermie profonde prend le relais.
Forage à 1 500 ou 2 000 mètres, captage d’aquifères chauds, distribution via boucle primaire et sous-stations… les projets deviennent plus lourds, mais aussi plus efficaces sur le long terme.
En Île-de-France, en 2021, 47 des 833 réseaux de chaleur fonctionnaient déjà avec la géothermie. La centrale de Chelles, ou encore le réseau de Grigny et Viry-Châtillon, en sont des exemples emblématiques.
Il faut néanmoins compter avec des investissements initiaux élevés, une emprise foncière significative (jusqu’à 8 000 m² pour la plateforme de forage), et un accès confirmé à des ressources géothermiques via les atlas du BRGM. La planification territoriale devient alors déterminante.
Le bon déroulé : de l’audit au financement
L’un des apports majeurs du guide est de structurer le parcours de projet, en associant à chaque étape des dispositifs de financement mobilisables. Trois grandes phases sont identifiées :
Phase études
- Audit énergétique financé par ACTEE
- Étude de faisabilité (80 % pris en charge par le Fonds chaleur de l’ADEME)
- Assistance technique par un économe de flux ou un conseiller énergie partagé
Phase investissement
- Lancement des travaux, réception
- Financement possible via des fonds européens (via Régions), l’État (Préfets), ou les CEE
Phase post-travaux
- Suivi de l’exploitation, maintenance
- Accompagnement par les mêmes acteurs que dans la phase initiale
Ce phasage évite les erreurs de conception, mais encore faut-il anticiper les délais de montage, l’ingénierie administrative, et la coordination des parties prenantes.
Des leviers RH et territoriaux encore sous-exploités
Un dernier point souligné en conclusion du guide concerne les ressources humaines. La réussite des projets repose autant sur la technique que sur la compétence des acteurs locaux. Élus, techniciens, AMO, installateurs, foreurs, bureaux d’études… tous doivent disposer d’un minimum de culture géothermique.
Les collectivités sont invitées à valoriser leurs projets réussis, non seulement pour faire école, mais aussi pour attirer les talents dans une filière encore trop peu connue. La géothermie impose une certaine exigence de qualité, tant dans les équipements que dans la conduite de projet. Mais en retour, elle offre résilience, sobriété et durabilité.
Exemples de projets engagés sur le terrain
Plusieurs collectivités ont déjà lancé des projets ambitieux en couplant géothermie et rénovation énergétique.
Lorient Agglomération accompagne actuellement trois études de faisabilité pour des bâtiments publics existants. L’objectif est d’intégrer des pompes à chaleur géothermiques dans une stratégie globale de sobriété, avec le soutien de la SPL locale et du fonds chaleur ADEME.
Saint-Denis (93), dans le cadre du Village olympique, expérimente une boucle d’eau tempérée raccordée à une PAC sur eaux de nappes, pour alimenter plusieurs bâtiments neufs dans une logique de réseau intelligent.
Marseille – Projet Thassalia : cette installation pionnière capte la température de l’eau de mer pour alimenter un réseau de chaleur et de froid sur un quartier d’affaires. Une illustration réussie de géothermie marine en milieu urbain dense.
La géothermie n’est pas une solution magique. C’est une opportunité exigeante. Pour être réellement efficace, elle doit s’inscrire dans une logique globale : rénovation énergétique, ingénierie territoriale, accompagnement technique, stratégie de financement. Les outils sont là, les exemples aussi. Il ne reste qu’à oser — et à bien s’entourer.