Face à la multiplication des épisodes caniculaires et à l’élévation continue des températures, l’adaptation des logements sociaux aux fortes chaleurs s’impose comme une priorité sanitaire et énergétique. Dans les territoires ultramarins, où la chaleur est omniprésente toute l’année, ce défi prend une ampleur particulière. Le rapport publié en juillet 2025 par l’ANCOLS — fondé sur les entretiens de 30 bailleurs sociaux, dont 4 implantés en Outre-mer, et 10 organismes institutionnels — dresse un état des lieux contrasté et met en évidence les retards, les expérimentations et les leviers encore à activer.
Une urgence climatique de plus en plus tangible dans les DROM
Selon Météo France, la fréquence des vagues de chaleur en France devrait doubler d’ici 2050. Une étude menée par Pouget Consultants et Énergies Demain pour IGNES estime que 25 millions de logements métropolitains seront exposés à au moins 20 jours de canicule par an, contre 9 millions en 2020, soit une multiplication par 2,7. Ces projections s’appliquent à un territoire métropolitain, mais dans les DROM, la chaleur est structurelle, quotidienne, et durable.
L’étude de l’ANCOLS menée auprès des locataires du parc social en 2024 révèle que 4 ménages sur 10 souffrent de la chaleur dans leur logement. Cette proportion atteint près de la moitié des ménages dans les DROM.
Et dans les quartiers prioritaires ultramarins, les effets sont plus marqués encore : 70 % des habitants y déclarent avoir souffert des températures élevées, contre 56 % dans les autres quartiers.
Les personnes âgées sont les plus à risque. L’exemple de la canicule de 2003, où la surmortalité a atteint +245 % chez les plus de 75 ans dans certains départements, est rappelé comme un précédent dramatique. Or, le parc social ultramarin est vieillissant, et les moyens de prévention encore limités.
Des stratégies d’adaptation encore trop inégales selon les territoires
Sur les 30 bailleurs interrogés, 7 appartiennent au groupe des « engagés », 9 aux « retardataires », 4 aux « anticipateurs », 7 sont centrés sur le réglementaire, et 3 se considèrent non-concernés.
Parmi les 16 bailleurs possédant du patrimoine exposé aux fortes chaleurs (DROM, PACA, Île-de-France, Occitanie), la majorité appartient aux groupes 1 et 2, ce qui traduit un certain biais vers les territoires déjà confrontés au phénomène.
Dans les DROM, la taille du bailleur joue un rôle décisif. Les grands organismes peuvent affecter des ressources spécifiques à l’adaptation, tandis que les petits sont contraints par des enjeux plus pressants : insécurité, insalubrité, accessibilité.
Même parmi les organismes sensibilisés, l’absence d’outils partagés, de méthodologies objectivées, ou de référentiels adaptés aux spécificités ultramarines empêche souvent la programmation d’actions à l’échelle du parc.
Le rapport note que l’identification des logements vulnérables à la surchauffe est encore rare, malgré l’existence d’outils comme BatAdapt, RITE (Cerema), Résilience (CERQUAL) ou encore des outils internes développés par des SAC.
« Cette connaissance est pourtant essentielle pour identifier la vulnérabilité du patrimoine », rappelle le rapport, soulignant que cette donnée est souvent absente des bases patrimoniales.
Des réglementations spécifiques qui peinent à répondre aux nouveaux défis
Dans les DROM, la réglementation thermique repose sur des cadres locaux : RTAA DOM à La Réunion, RTG en Guadeloupe. Ces référentiels, conçus pour assurer un confort thermique sans climatisation, imposent des principes tels qu’une forte porosité à l’air, une ventilation naturelle maximale, et des protections solaires intégrées à la structure.
D’après les bailleurs interrogés, ces dispositifs permettent effectivement d’obtenir un bon confort thermique passif. Mais ils posent un problème majeur de réversibilité : en cas d’installation de climatisation future – qui est de plus en plus probable – les bâtiments mal étanchéisés ne permettent pas un fonctionnement efficace de ces systèmes. Cela crée un risque de précarité énergétique accru dans les années à venir.
Par ailleurs, les contraintes liées à la sismicité, aux cyclones ou à l’urbanisme empêchent l’utilisation généralisée de dispositifs comme les brise-soleil orientables, les débords de toiture ou certaines essences végétales. Ces limitations réduisent le champ des possibles en matière de conception bioclimatique.
Focus sur les solutions mises en œuvre dans les territoires ultramarins
Malgré ces freins, certains bailleurs d’Outre-mer ont engagé des démarches notables :
- En Guadeloupe et à La Réunion, des plans de déploiement de brasseurs d’air ont été mis en œuvre à l’échelle du parc, constituant des réponses simples, peu coûteuses, et bien acceptées par les locataires.
- À La Réunion, des bailleurs ont intégré des occultants robustes adaptés au vent, et modifié les systèmes de ventilation naturelle pour éviter les effets de surchauffe par stagnation.
- En Guyane, le climat équatorial impose une réflexion sur l’usage constant de la climatisation. Certains bailleurs y mènent des campagnes de sensibilisation ciblée pour promouvoir l’usage raisonné et l’entretien des équipements.
- Un bailleur guadeloupéen a engagé une campagne de remontée de données via ses agences territoriales pour cartographier les bâtiments exposés à la surchauffe à partir des remontées de terrain des gardiens.
Cependant, ces pratiques restent minoritaires. La quasi-totalité des bailleurs interrogés déclarent ne pas avoir de stratégie patrimoniale globale intégrant l’adaptation aux fortes chaleurs, même lorsque le sujet est traité ponctuellement.
Des leviers à activer pour mieux intégrer le confort thermique
L’ANCOLS identifie plusieurs leviers concrets, déjà mobilisés par certains acteurs, mais encore trop peu généralisés :
- Développer une cartographie de l’exposition à la chaleur en croisant données climatiques et caractéristiques patrimoniales.
- Créer des indicateurs de suivi du confort d’été, avec relevés de température in situ dans les logements sensibles.
- Mieux intégrer les exigences d’adaptation dans les appels d’offres et les cahiers des charges des opérations de réhabilitation.
- Mobiliser les financements : la question du confort thermique est aujourd’hui largement exclue des aides à la rénovation énergétique, faute de reconnaissance réglementaire explicite dans l’existant.
- Former les équipes (gardien·nes, technicien·nes) à la détection et à la priorisation des situations de surchauffe.
- Renforcer le rôle des collectivités locales, en adaptant les documents d’urbanisme et en octroyant des marges de loyers compensatrices pour les surcoûts d’adaptation.
Enfin, l’ANCOLS recommande de territorialiser les politiques d’adaptation, pour mieux prendre en compte les réalités climatiques, techniques et sociales propres aux Outre-mer.

Consulter ici l’étude de l’ANCLOS « L’adaptation des logements aux fortes chaleurs par les organismes de logement social : un enjeu identifié malgré un déploiement contrasté«
La surchauffe dans les logements sociaux d’Outre-mer n’est pas une menace abstraite : c’est une réalité quotidienne pour des milliers de familles. Si certains bailleurs tracent déjà la voie, l’enjeu est désormais de passer de l’expérimentation à la généralisation, et de faire du confort thermique un pilier à part entière des politiques du logement social.









