Publié le 9 septembre 2025, le rapport de la Cour des comptes dresse un constat sévère sur l’Établissement public foncier et d’aménagement de Guyane (EPFAG). Huit ans après sa création, cet opérateur censé piloter la première Opération d’intérêt national (OIN) ultramarine peine à concrétiser ses ambitions. Les magistrats financiers pointent une production de logements insuffisante, un modèle économique structurellement déséquilibré et une gouvernance encore fragile, dans un contexte local où les besoins fonciers et sociaux explosent.
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Une OIN ambitieuse, mais des résultats très en deçà
Lancée en 2016, l’OIN de Guyane visait un objectif inédit : multiplier par quatre la production de foncier urbain aménagé pour permettre la construction de 21 000 logements en quinze ans, répartis sur 24 sites et neuf communes. Cette initiative devait symboliser la naissance d’une « ville amazonienne durable », capable d’accompagner la croissance démographique rapide du territoire et de réduire la pression de l’habitat informel.
Mais huit ans après, le bilan reste loin des promesses. Selon la Cour, seuls 13 sites sur 24 ont été véritablement engagés, et les livraisons prévues à l’horizon 2030 ne dépasseraient pas 11 000 logements, soit à peine 52 % de l’objectif initial.
Plusieurs facteurs expliquent ce retard :
- les lourdeurs administratives,
- la complexité environnementale propre au territoire,
- la lenteur des procédures d’urbanisme et la faiblesse de la filière BTP locale, encore peu structurée.
À cela s’ajoutent des difficultés de coordination entre les services de l’État, les collectivités et l’établissement.
La Cour observe également que les zones identifiées en 2016 ne pourront accueillir que 17 000 logements, contre les 21 000 prévus initialement, en raison des contraintes écologiques, géotechniques et sociales. Le rapport souligne que ces retards ne se limitent pas à des obstacles techniques : ils révèlent surtout l’absence d’une vision partagée du développement urbain guyanais entre les acteurs publics.
Selon les magistrats, « l’écart constaté entre les ambitions affichées et les résultats observés est à la fois source de désillusion et facteur de remobilisation des acteurs depuis fin 2023 ».
Un modèle économique structurellement déséquilibré
Sur le plan financier, le rapport met en lumière une dépendance chronique aux subventions publiques. Le modèle économique de l’EPFAG repose à 40 % sur les aides de l’État et à 60 % sur les ventes de charges foncières, mais ces ventes sont elles-mêmes financées en grande partie par des fonds publics ou par les bailleurs sociaux. En pratique, les opérations ne trouvent que marginalement preneur auprès d’investisseurs privés, faute d’un marché immobilier suffisamment dynamique.
Les secteurs économiques représentent à peine un quart du foncier à aménager, limitant la capacité de l’établissement à générer des recettes autonomes. Cette fragilité structurelle a conduit l’État à intervenir à plusieurs reprises : après deux recapitalisations antérieures, une nouvelle enveloppe de 26 millions d’euros a été décidée en 2023 pour rétablir temporairement les comptes. Cette injection a permis de désendetter l’établissement, sans pour autant corriger le déséquilibre de fond.
Le rapport souligne qu’aucun signe tangible d’amélioration n’est perceptible à court terme. Le modèle économique reste « structurellement insoutenable », et la Cour recommande d’ouvrir un débat sur la répartition des contributions publiques et l’implication financière des collectivités. Sans refonte du schéma de financement, la viabilité de l’établissement à long terme paraît compromise.
Une structure sous-dimensionnée et dispersée
Au-delà des chiffres, la Cour insiste sur les fragilités internes de l’EPFAG. L’établissement ne compte que 47 agents, pour l’ensemble du territoire guyanais, un effectif jugé dérisoire au regard de la charge de travail et de la complexité des opérations. La rotation importante du personnel et le recours massif à des prestataires extérieurs pèsent sur la continuité et la qualité des missions.
Les magistrats relèvent aussi une gouvernance insuffisamment stratégique : le conseil d’administration, composé pour moitié de représentants de l’État et de la Collectivité territoriale de Guyane, « n’est pas investi comme lieu de débat de fond ». Les décisions manquent de vision d’ensemble, tandis que les rapports de force entre institutions locales ralentissent les arbitrages.
L’EPFAG, pourtant reconnu pour sa maîtrise juridique du foncier, reste fragilisé par une gestion budgétaire peu fiable et une sécurité informatique lacunaire. Le contrôle interne progresse lentement, sans garantir la fiabilité des données financières. Ces faiblesses structurelles font peser un risque sur la soutenabilité de l’établissement, à la fois dans sa gestion quotidienne et dans sa capacité à planifier l’avenir.
« L’EPFAG n’est aujourd’hui ni dimensionné ni structuré pour répondre à l’ensemble des besoins du territoire guyanais en matière d’aménagement », résume la Cour dans sa conclusion.
Les recommandations de la Cour
Face à ces constats, la Cour des comptes formule 11 recommandations, dont plusieurs qualifiées de prioritaires. Elle appelle notamment à :
- Achever d’ici 2026 le transfert juridique des fonciers de l’État vers les collectivités, encore incomplet huit ans après les accords de Guyane.
- Systématiser la transparence et la mise en concurrence lors des cessions foncières destinées aux activités économiques, afin de limiter les risques de déséquilibre ou de sous-évaluation.
- Réorganiser la convention avec les bailleurs sociaux avant 2028, pour redynamiser la production de logements dans le cadre de l’OIN.
- Intégrer la problématique de l’habitat informel dans le futur plan stratégique 2027-2031, au lieu de la traiter comme une mission annexe.
- Renforcer la sécurité informatique et la fiabilité budgétaire, deux points jugés urgents.
Ces mesures visent à rendre l’établissement plus transparent, plus réactif et mieux armé face aux défis de l’aménagement guyanais. Mais la Cour prévient : leur mise en œuvre nécessitera une volonté partagée de l’État et de la Collectivité territoriale, sans quoi l’équilibre restera illusoire.
Un tournant décisif à l’approche de 2026
L’année 2026 marquera le 30ème anniversaire de l’établissement public, une échéance symbolique que la Cour qualifie de « réelle opportunité pour refonder le modèle ». L’État et les collectivités sont invités à repenser ensemble les missions, les moyens et la gouvernance de l’EPFAG.
Pour la Cour, la réussite du prochain plan stratégique dépendra de trois leviers : clarifier les responsabilités entre les acteurs, assurer une stabilité financière durable, et adapter la planification urbaine aux réalités locales et environnementales. Sans cette refondation, la première OIN ultramarine risque de rester un modèle inachevé, révélant les limites persistantes de l’ingénierie publique en Outre-mer.
Consulter ici le RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES SUR L’EPFA GUYANE