COMMANDE PUBLIQUE. La transition écologique est-elle vraiment engagée dans les travaux ?

0

À un an de l’échéance fixée par la loi Climat et Résilience, une large majorité des marchés publics de travaux intègre déjà des clauses ou critères environnementaux. Mais cette montée en puissance reste incomplète, comme le montre la nouvelle étude quantitative publiée en juillet 2025 par la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP), en partenariat avec Vecteur Plus. 

Une échéance réglementaire majeure en 2026

Adoptée en 2021, la loi Climat et Résilience impose que, d’ici le 21 août 2026, l’ensemble des marchés publics prenne en compte les considérations environnementales à deux niveaux : dans les conditions d’exécution et dans les critères d’attribution.

Cette évolution marque un tournant majeur dans les politiques d’achat, qui devront répondre à des exigences de durabilité tout en respectant les principes fondamentaux de la commande publique (égalité de traitement, liberté d’accès, transparence).

La FNTP, qui avait demandé un délai d’application de cinq ans pour accompagner la montée en compétence des acteurs, a souhaité mesurer l’état d’avancement du secteur à travers une étude en deux volets.

Le premier, publié en juillet 2025, repose sur l’analyse de 4 002 marchés publics de travaux passés entre janvier 2022 et décembre 2024. Le second volet, prévu à l’automne 2025, abordera les dimensions plus qualitatives des pratiques.

Ce que révèle l’analyse de 4 002 marchés publics de travaux

L’étude a passé au crible les Dossiers de Consultation des Entreprises (DCE) de marchés représentatifs, en s’appuyant sur trois axes d’analyse :

  • la présence de variantes,
  • les critères environnementaux d’attribution,
  • les clauses d’exécution à portée environnementale.

Les données ont été extraites automatiquement à partir des Règlements de consultation (RC), Cahiers des Clauses Administratives Particulières (CCAP) et Cahiers des Clauses Techniques Particulières (CCTP), présents dans 93 % des cas.

L’échantillon couvre toutes les typologies d’acheteurs publics, les grands métiers des TP (canalisations, travaux routiers, terrassement, etc.), et l’ensemble des régions métropolitaines.

Variantes : un levier stratégique encore peu utilisé

Les variantes, qui permettent aux entreprises de proposer des solutions alternatives innovantes, restent marginales dans les pratiques. Entre 2022 et 2024, seuls 14 % des marchés étaient ouverts à cette possibilité :

  • 96 % autorisaient les variantes de façon facultative,
  • 4 % seulement les imposaient.

Cette faible ouverture est stable dans le temps (12 % en 2022 ; 15 % en 2023 et 2024). Aucun métier ne se démarque nettement, sauf les fondations spéciales.

Les départements recourent moins souvent à cette pratique que les communes ou intercommunalités, malgré leurs compétences routières.

Les régions Nouvelle-Aquitaine et Pays de la Loire affichent les taux les plus élevés d’ouverture aux variantes.

Critères environnementaux : présents dans deux tiers des marchés, mais peu en critère principal

Sur l’ensemble des marchés analysés, 68 % contenaient un critère environnemental :

  • 12 % sous forme de critère principal,
  • 53 % comme sous-critère.

Cette répartition est restée quasi inchangée entre 2022 et 2024. Certains profils d’acheteurs s’avèrent plus engagés :

  • les départements, à 75 %,
  • les acheteurs recourant à des procédures formalisées, à 71 %.

En revanche, 35 % des acheteurs n’ont jamais eu recours à ces critères sur la période, et aucune progression notable n’a été observée dans leurs pratiques. La région Hauts-de-France figure en queue de peloton, avec seulement 59 % de marchés comportant un critère environnemental.

Clauses d’exécution : une généralisation portée par le CCAG Travaux 2021

La dynamique est beaucoup plus avancée en matière de clauses d’exécution environnementales, présentes dans 95 % des marchés. Ces clauses, techniques ou administratives, sont inscrites dans les CCTP et/ou CCAP.

Leur diffusion s’explique en grande partie par l’entrée en vigueur du CCAG Travaux 2021, qui consacre plusieurs articles à la prise en compte de l’environnement (notamment les articles 20 et 36). Les pratiques sont relativement homogènes quelle que soit la nature du marché ou le profil de l’acheteur. On observe toutefois une légère baisse des mentions environnementales dans les CCAP et CCTP en 2024.

Économie circulaire, GES, biodiversité : les priorités thématiques

L’étude FNTP-Vecteur Plus a dressé une cartographie fine des mots-clés environnementaux utilisés dans les marchés de travaux.

1. Économie circulaire : une omniprésence dans les clauses d’exécution

Avec 93 % des marchés faisant référence à des éléments liés à l’économie circulaire, cette thématique domine très largement l’ensemble des DCE analysés. Le mot « déchets » est systématiquement cité, de même que les notions de recyclage, de réemploi ou de matériaux recyclés.

Les schémas organisationnels de gestion des déchets (SOGED, SOSED) sont également bien implantés, présents dans environ un quart des marchés.

Malgré cette forte présence, l’économie circulaire reste majoritairement cantonnée aux clauses d’exécution techniques ou administratives. Elle intervient encore peu dans l’analyse comparative des offres : seulement un tiers des marchés utilisent ces notions comme critère d’attribution, et moins de 2 % mobilisent le réemploi à ce titre.

Cela reflète une volonté d’agir, mais dans un cadre souvent normatif, où les entreprises appliquent des prescriptions plutôt qu’elles ne sont jugées sur leurs performances environnementales.

2. Gaz à effet de serre : une thématique encore sous-exploitée

Malgré les ambitions fortes de réduction des émissions dans le secteur des travaux publics, la question des gaz à effet de serre reste peu intégrée dans les marchés. Seuls 16 DCE, soit 0,5 % de l’échantillon, mentionnent explicitement un outil de mesure comme SEVE TP, et la majorité concerne des travaux routiers.

Cette marginalité s’explique notamment par la complexité technique de l’évaluation carbone, l’absence d’un référentiel unique, et une marge d’erreur pouvant atteindre 90 % selon les hypothèses retenues.

Pour les acheteurs, cette incertitude constitue un frein important, tant sur le plan juridique qu’opérationnel. Par conséquent, les critères liés aux GES sont rarement utilisés comme base d’attribution, même dans les marchés de grande envergure.

La faible représentation des GES dans les marchés traduit un décalage entre les objectifs de transition énergétique et les outils réellement mobilisés pour les mettre en œuvre. C’est un signal fort de la nécessité d’une montée en compétence, mais aussi de simplification des méthodes d’évaluation.

3. Biodiversité et ressources naturelles : une présence contextuelle

La thématique de la biodiversité apparaît de manière ponctuelle et souvent localisée, en fonction des spécificités territoriales. Des termes comme « arbre », « flore », « nuisances sonores » ou « milieu sensible » sont présents dans les clauses d’exécution, mais leur fréquence reste modérée. Par exemple, les arbres sont mentionnés dans 60 % des marchés, la flore dans 15 %, et les nuisances sonores dans 21 %.

Ces mentions concernent majoritairement la phase de chantier : elles imposent des précautions à proximité d’éléments naturels ou de zones sensibles, mais n’entrent pas dans les critères d’analyse des offres.

Leur caractère local, couplé à une faible standardisation des attentes, limite leur portée stratégique. On observe une forte hétérogénéité des pratiques, dépendant des régions, des types d’ouvrages et de la sensibilité des acheteurs à ces sujets.


Les recommandations implicites de la FNTP

Si l’étude se présente avant tout comme un état des lieux chiffré, elle laisse transparaître, en filigrane, une série de recommandations stratégiques que la FNTP adresse aux acheteurs publics comme aux entreprises. Il ne s’agit pas d’un plaidoyer pour davantage de clauses environnementales, mais bien d’un appel à la cohérence, à la lisibilité et à l’efficacité opérationnelle.

Deux orientations prioritaires émergent des constats.

1 – Éviter la complexification excessive :

  • Ne pas multiplier les outils, indicateurs ou méthodes hétérogènes.
  • Harmoniser les pratiques pour réduire les risques de contentieux et favoriser l’accessibilité des marchés aux TPE/PME.

2 – Concentrer les efforts sur quelques clauses à fort impact :

  • Privilégier les clauses à réel potentiel environnemental plutôt qu’un empilement de dispositifs.
  • Renforcer la co-construction des clausiers entre acheteurs et entreprises.

La FNTP rappelle par ailleurs son implication de longue date sur les enjeux climatiques, en matière de GES, biodiversité, économie circulaire et adaptation au changement climatique, et souligne la nécessité de valoriser les savoir-faire des entreprises de travaux publics.


Consulter l’étude de la FNTP et Vecteur Plus ici


 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici