Chantiers : la gestion de l’eau devient un enjeu stratégique pour le BTP

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Gestion de l’eau

La raréfaction de l’eau s’impose désormais comme une réalité incontournable pour le secteur du bâtiment. Sécheresses répétées, restrictions préfectorales, refus de permis de construire : la ressource hydrique conditionne de plus en plus l’activité des chantiers. Dans ce contexte, la Fédération française du bâtiment (FFB) met en avant la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) comme levier pour anticiper les crises et moderniser les pratiques. Son podcast Vision RSE a récemment consacré un épisode à la gestion de l’eau, avec les interventions d’Adrien Trad, ingénieur à l’Union de la maçonnerie et du gros œuvre, et le témoignage d’Anthony Joubert, dirigeant d’une PME spécialisée dans la façade.

L’eau, un enjeu stratégique pour le BTP

Les conséquences du changement climatique frappent directement le secteur : températures plus élevées, précipitations en baisse et évaporation accrue. L’été 2022 illustre ce basculement, avec un tiers du territoire touché par la sécheresse et des arrêtés préfectoraux qui ont interrompu l’activité de nombreux chantiers.

Dans certaines zones, comme les Alpes-Maritimes, la pénurie d’eau conduit même les préfectures à refuser des projets d’urbanisme faute de garantie d’approvisionnement. Pour les entreprises du BTP, l’eau est devenue un facteur critique, au même titre que les matériaux ou la main-d’œuvre.

Différencier l’incompressible du compressible

Toutes les consommations d’eau sur un chantier ne peuvent pas être réduites. Certaines sont incompressibles car liées directement aux procédés constructifs. L’exemple le plus emblématique est la fabrication du béton ou du mortier : l’hydratation du ciment est une réaction chimique incontournable.

De même, la réduction de la poussière lors des opérations de sciage nécessite l’arrosage du béton, tout comme le nettoyage régulier des mains et sanitaires dans les bases-vie pour respecter les normes d’hygiène.

En revanche, d’autres usages relèvent du compressible, car ils dépendent davantage des pratiques et des équipements choisis. C’est le cas du lavage des outils de peintres ou de maçons, du nettoyage des engins de chantier comme les camions toupies, ou encore des opérations de préparation de façades.

Ces postes représentent souvent plusieurs centaines de litres par jour et peuvent être optimisés grâce à des technologies adaptées. Identifier clairement ces deux catégories permet aux entreprises de cibler leurs efforts là où ils sont efficaces, sans mettre en péril la qualité des ouvrages.

Des solutions techniques en développement

Plusieurs réponses ont émergé ces dernières années. La récupération et le stockage de l’eau de pluie peuvent être déployés au siège des entreprises comme directement sur chantier.

Des stations de lavage en circuit fermé permettent de traiter et de réutiliser l’eau pour le matériel ou les camions toupies. Dans les bases-vie, des équipements sobres – robinets à poussoir, électrovannes, compteurs anti-fuite – réduisent sensiblement la consommation.

Certaines entreprises testent aussi le nettoyage de façades à sec, particulièrement utile lors des périodes de sécheresse. Le défi, rappelle Adrien Trad, réside dans l’évaluation de l’efficience réelle de ces dispositifs.

Mesurer pour mieux agir : le projet R&D de la FFB

Pour sortir de l’incertitude, la FFB a lancé en janvier 2024 un projet de recherche et développement. Des chantiers pilotes, instrumentés avec des kits de compteurs communicants, transmettent leurs données en temps réel sur une plateforme en ligne.

Objectif : établir des statistiques représentatives par métier, distinguer les usages incompressibles de ceux qui peuvent être réduits, et identifier les postes les plus consommateurs. Ces résultats doivent servir de base aux entreprises mais aussi aux agences de l’eau pour orienter les financements.

Étude de cas : l’entreprise Joubert

En Loire-Atlantique, l’entreprise Joubert, 25 salariés, a engagé sa démarche RSE dès 2020. Le déclic est venu d’une interrogation simple : comment continuer à utiliser de l’eau potable pour laver des machines ou alimenter des sanitaires ?

L’entreprise a alors conçu une aire de lavage intelligente, alimentée par l’eau de pluie et fonctionnant en circuit fermé. Cette innovation permet à la fois de nettoyer les véhicules, de remplir des cuves mobiles pour les petits chantiers dépourvus de points d’eau et de réutiliser l’eau plusieurs fois.

Pour le nettoyage de façades, Joubert a remplacé le traditionnel nettoyeur haute pression – qui consomme environ 4 m³ d’eau potable par jour – par une machine à vapeur importée du Royaume-Uni.

Capable de chauffer l’eau jusqu’à 150 °C et de maintenir cette température jusqu’à 30 mètres, elle fonctionne en basse pression mais peut aussi atteindre 150 bars selon les besoins. Ce procédé, initialement conçu pour les monuments historiques, s’avère parfaitement adapté au bâtiment et aux travaux publics.

L’entreprise a également équipé ses équipes de compteurs sur les machines. Résultat : une équipe de deux façadiers enduiseurs consomme en moyenne 1 m³ d’eau par jour, dont 300 à 400 litres uniquement pour le lavage des machines.

Depuis 2024, Joubert a franchi une nouvelle étape en passant au zéro phyto pour ses nettoyages, privilégiant uniquement l’eau surchauffée et la vapeur.

Si la démarche a suscité l’intérêt de l’agence de l’eau et de la FFB régionale, le gérant souligne un frein majeur : le sentiment d’isolement. Trop peu d’entreprises, estime-t-il, s’engagent dans cette voie, malgré les bénéfices concrets et mesurables.

Financements et perspectives

Les initiatives individuelles ne suffiront pas sans soutien institutionnel. Le Plan Eau, lancé en mars 2023, prévoit 53 mesures, dont l’objectif de réduire de 10 % la consommation nationale d’ici 2030.

Il a renforcé les moyens financiers des agences de l’eau, qui se disent prêtes à accompagner les projets concrets. Pour les entreprises, l’enjeu est désormais de documenter précisément leurs consommations afin de bénéficier de ces financements.

Les données recueillies par le projet R&D de la FFB constitueront une base essentielle pour orienter les investissements et accélérer la diffusion des bonnes pratiques.


À écouter ici : l’épisode « La gestion de l’eau sur les chantiers » de la série de podcasts Vision RSE de la FFB.


 

La gestion de l’eau est devenue une question vitale pour la pérennité des chantiers. Entre contraintes climatiques, pressions réglementaires et coûts de mise en œuvre, les entreprises doivent innover tout en prouvant l’efficacité de leurs démarches. Le secteur du bâtiment, soutenu par la FFB et les agences de l’eau, dispose d’outils et de retours d’expérience concrets pour franchir ce cap. Plus qu’un enjeu environnemental, l’eau est désormais un critère de durabilité et de compétitivité pour la filière.

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