4 millions de logements à construire en trente ans. C’est l’estimation centrale retenue par le ministère de la Transition écologique dans une étude dévoilée ce 12 juin. Portée par l’évolution du nombre de ménages, la résorption du mal-logement et les contraintes foncières croissantes, cette projection offre un cadre inédit d’analyse des tensions à venir sur le marché résidentiel. L’étude s’adresse à tous ceux qui planifient, construisent ou réhabilitent, dans l’Hexagone comme en Outre-mer.
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Un besoin massif tiré par l’évolution du nombre de ménages
C’est la croissance du nombre de ménages – plus encore que celle de la population – qui constitue la principale source de tension sur le marché du logement. Entre 2020 et 2050, le nombre de ménages progresserait de 3,6 millions dans le scénario central, ce qui implique mécaniquement un besoin de 4 millions de logements supplémentaires en résidence principale, en tenant compte des effets de non-compensation entre territoires. En d’autres termes, une baisse du nombre de ménages dans certains départements (notamment en déprise démographique) ne permet pas d’absorber les hausses observées ailleurs.
Les scénarios alternatifs renforcent cette fourchette :
- 2,8 millions de logements seraient nécessaires si la population croît moins vite (scénario bas),
- 5,6 millions dans une hypothèse de croissance soutenue (scénario haut).
Cette évolution est principalement portée par la décohabitation : divorces, séparations, vieillissement, multiplication des ménages monoparentaux et personnes âgées vivant seules. Le scénario central prévoit ainsi 3,4 millions de personnes vivant seules supplémentaires d’ici 2050, dont 2,1 millions de plus de 60 ans.
Les zones d’emploi les plus dynamiques – comme Toulouse, Lyon, Rennes, Bordeaux ou la région parisienne – concentreraient près de la moitié de l’augmentation du nombre de ménages, accentuant la pression foncière locale et appelant des réponses territorialisées.
Mal-logement, vacance, résidences secondaires : les autres paramètres
Au-delà des seuls besoins liés à la démographie, le SDES intègre une évaluation précise du mal-logement. Ce dernier recouvre plusieurs situations :
- l’absence de logement propre (personnes hébergées, sans-abri, habitat de fortune),
- l’inadéquation de taille (surpeuplement, cohabitation subie),
- l’indignité du bâti (logements trop dégradés pour être réhabilités).
Le chiffrage proposé estime entre 1,3 et 1,5 million de logements supplémentaires nécessaires pour traiter ces situations à l’horizon 2050. Ce stock pourrait mettre plus de 40 ans à être résorbé au rythme actuel de production de logements accessibles aux publics précaires.
Par ailleurs, l’étude projette une hausse du nombre de résidences secondaires, allant de +0,4 à +0,8 million de logements supplémentaires selon les scénarios, avec un cas spécifique pour les « pied-à-terre » urbains. Cette croissance, portée par le vieillissement et l’évolution des usages (télétravail, multi-résidences), pourrait concurrencer l’offre destinée aux résidences principales dans certaines zones tendues.
Enfin, la vacance de courte durée (liée à la mobilité, au temps de relocation, etc.) est anticipée à hauteur de 0,2 à 0,3 million de logements supplémentaires. À noter que la vacance longue, elle, est intégrée dans les estimations précédentes de besoin en résidences principales.
Construire moins, mobiliser mieux : le défi de la transformation du parc
L’une des originalités de l’étude réside dans son intégration des effets de transformation du parc existant : démolitions, fusions, changements d’usage (notamment vers le non-résidentiel), ou au contraire divisions de logements et transformations de locaux en logements.
Dans une hypothèse « neutre », 0,5 à 0,6 million de logements neufs seraient à construire pour compenser ces effets de transformation. En cas d’objectif ambitieux de sobriété foncière, comme celui du ZAN, ce chiffre pourrait monter jusqu’à 0,8 million. Cela suppose une densification importante des tissus urbains existants, un enjeu crucial dans les territoires déjà contraints.
Par ailleurs, le SDES identifie plusieurs leviers mobilisables pour éviter la construction neuve systématique :
- 0,6 million de logements vacants pourraient être remis sur le marché,
- 0,3 million de résidences secondaires seraient convertibles en résidences principales,
- jusqu’à 1,05 million de grands logements sous-occupés (souvent habités par des personnes âgées seules) pourraient être optimisés via des stratégies de réhabilitation, colocation, ou échanges locatifs.
Les DROM face à des dynamiques spécifiques
Les DROM (hors Mayotte) présentent des réalités très différentes, qui nécessitent une lecture contextualisée des projections.
Guyane et La Réunion : croissance démographique et pression foncière
La Guyane affiche l’une des plus fortes croissances démographiques de France. L’augmentation du nombre de ménages y est exponentielle, portée par une natalité élevée et des dynamiques migratoires soutenues. Le besoin en logements y est donc massif, avec des enjeux de construction neuve, d’infrastructures, et d’urbanisation des zones périurbaines ou rurales. La Guyane cumule en outre un taux élevé de mal-logement, lié au sous-équipement des quartiers spontanés et à la vétusté du parc informel.
La Réunion présente également une progression importante du nombre de ménages, notamment autour de Saint-Denis. Les contraintes géographiques (reliefs, littoralisation, risques naturels) réduisent les opportunités d’extension urbaine, rendant la densification incontournable. La pression foncière y est accentuée par une rareté du foncier constructible, notamment dans le contexte des objectifs ZAN. L’île combine également un parc de logements partiellement inadapté aux évolutions familiales et aux revenus modestes.
Guadeloupe et Martinique : vacance et vieillissement à gérer
La Guadeloupe et la Martinique connaissent une trajectoire inverse, marquée par un déclin du nombre de ménages dans certaines zones, lié à l’émigration, au vieillissement et à la baisse de la natalité. Cela se traduit par une vacance importante du parc dans les centres anciens, ainsi que par une désadaptation progressive du bâti à la demande actuelle (logements trop grands, peu accessibles, ou mal situés).
Les enjeux principaux dans ces territoires concernent :
- la réhabilitation du parc existant (y compris dans les copropriétés dégradées),
- la mobilisation du parc vacant,
- la reconversion de logements inoccupés,
- l’adaptation de l’offre sociale aux réalités économiques locales.
Des stratégies de territorialisation fine sont donc indispensables pour éviter des constructions inutiles dans les zones de déprise et concentrer les efforts là où la demande existe réellement.
Des projections à s’approprier : aux territoires d’agir
L’étude du SDES trace des perspectives structurantes, sans imposer de trajectoire unique. À charge pour chaque territoire d’interpréter ces données au regard de ses réalités démographiques, foncières et sociales. Car aucun levier universel ne pourra répondre aux tensions très contrastées qui se dessinent dans les prochaines décennies.
Des outils comme OTELO, développés par le ministère et le Cerema, permettent justement d’opérationnaliser cette approche différenciée. Grâce à eux, les collectivités peuvent simuler leurs besoins à l’échelle locale, croiser les paramètres structurels et anticiper les arbitrages à mener.
Dans les DROM, ces arbitrages prennent une intensité particulière. À la croissance rapide de la Guyane ou aux contraintes géographiques de La Réunion s’opposent la vacance et le vieillissement du bâti en Guadeloupe ou en Martinique. Cette hétérogénéité exige des stratégies ciblées, pensées au plus près des usages, des parcours résidentiels et des capacités des territoires.
Consulter ici le document : BESOINS EN LOGEMENTS A HORIZON 2030, 2040 et 2050 – JUIN 2025