ANTILLES. Charpentes bois et métal : vers un nouveau référentiel pour les structures sous contraintes climatiques

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Le 7 mai 2025, la restitution du GT07 dans le cadre du projet BATISOLID Antilles a permis de détailler les travaux menés sur les structures bois et métal soumises aux conditions extrêmes des Antilles. Entre humidité permanente, termites, séismes et vents cycloniques, la filière charpente doit adapter ses pratiques et ses normes à des contraintes techniques cumulatives que les référentiels nationaux peinent encore à intégrer pleinement.

Le contexte antillais : une exposition structurelle sous haute contrainte

Dans les Antilles françaises, les charpentes sont soumises à une combinaison unique de risques climatiques et géotechniques qui affectent durablement les performances structurelles. Les bâtiments doivent faire face à :

  • des vents cycloniques extrêmes pouvant générer des pressions de plusieurs milliers de Pascal sur les toitures ;
  • des séismes fréquents et puissants en zone sismique 5, imposant des efforts dynamiques importants sur les assemblages ;
  • une hygrométrie élevée toute l’année, favorisant le développement de moisissures et de champignons lignivores ;
  • une forte présence de termites et d’insectes xylophages tropicaux, accélérant la dégradation des bois ;
  • des risques de corrosion rapide des pièces métalliques exposées aux embruns marins.

Les référentiels nationaux actuellement utilisés (DTU 31.1, Eurocode 5, normes associées) ne couvrent que partiellement ces réalités cumulées. Les professionnels antillais doivent souvent composer avec des pratiques d’adaptation locales, non toujours encadrées formellement, rendant leur positionnement assurantiel et normatif fragile.

Des essences tropicales aux propriétés spécifiques à mieux intégrer

L’une des particularités de la filière bois antillaise réside dans la diversité des essences locales tropicales, encore largement absentes des corpus normatifs nationaux. Le GT07 a recensé une vingtaine d’essences régulièrement exploitées aux Antilles et en Guyane, chacune présentant des caractéristiques mécaniques, de durabilité et de comportement différentes.

Parmi les essences identifiées figurent notamment :

  • Amarante, Courbaril, Bagasse, Angelique, Wacapou, Balata, Goupil, Grignon Franc, Gonfolo, Ebène verte ;
  • des bois naturellement résistants aux termites et à la pourriture, avec des variations importantes de densité et de dureté.

Leur classement mécanique et leur intégration dans les catégories de durabilité biologiques existantes (selon les normes EN 350 ou NF B52-001) restent encore insuffisamment documentés dans le contexte normatif hexagonal. De plus, les professionnels antillais doivent fréquemment effectuer des sélections empiriques des bois selon leur destination structurelle (pannes, chevrons, fermes), sans toujours disposer de fiches techniques normées validées.

Le GT07 identifie la nécessité de conduire des campagnes d’essais encadrés selon les protocoles européens existants, notamment :

  • des tests de flexion statique (norme EN 408) pour mesurer la résistance à la flexion et le module d’élasticité longitudinal ;
  • des essais de compression axiale et transversale pour évaluer la portance sous charge ;
  • des mesures de dureté Brinell pour qualifier la résistance à l’écrasement localisé, essentiel pour les zones d’ancrage des assemblages ;
  • des évaluations de tenue aux agents biologiques (champignons, termites, insectes foreurs) selon la norme EN 350.

Ces essais permettront d’affiner le classement mécanique de chaque essence en vue de leur intégration future dans les normes de structure bois (Eurocode 5) et les guides spécifiques DOM.


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Assemblages, ancrages et dispositifs constructifs : les adaptations identifiées

Au-delà du choix des matériaux, le mode d’assemblage des éléments de charpente constitue un enjeu crucial dans les zones antillaises. Les efforts de soulèvement dus aux vents cycloniques imposent des exigences de fixation bien supérieures à celles pratiquées en climat tempéré.

Le GT07 a mis en avant plusieurs problématiques récurrentes observées sur le terrain :

  • Sous-dimensionnement fréquent des ancrages et fixations, notamment sur les fermes et pannes faîtières.
  • Mauvaise tenue des assemblages mécaniques sous charges dynamiques répétées (vent + séisme).
  • Corrosion accélérée des connecteurs métalliques en zone littorale exposée aux embruns.

Les recommandations techniques du GT07 portent sur :

  • l’usage systématique de connecteurs galvanisés renforcés ou de pièces inoxydables en zone très exposée ;
  • le recours à des assemblages mixtes (mécaniques + collés) pour certaines parties sollicitées ;
  • le contrôle de la qualité des ancrages sur les massifs de maçonnerie via des prescriptions précises de scellements ;
  • la limitation des surplombs et porte-à-faux pour réduire les effets d’arrachement en toiture.

Concernant les charpentes métalliques, la problématique porte essentiellement sur :

  • la qualité des traitements anticorrosion (galvanisation à chaud, métallisation, peinture polyuréthane),
  • le dimensionnement des ancrages aux fondations pour tenir compte des efforts cumulés vent/séisme.

L’intégration de ces prescriptions spécifiques dans les pratiques courantes constitue l’une des priorités du groupe de travail pour sécuriser durablement les ouvrages.

Les contributions du GT07 pour un référentiel adapté Antilles

Le GT07, sous l’égide de BATISOLID, élabore actuellement un ensemble de prescriptions techniques destinées à :

  • formaliser les exigences de sélection, stockage et pose des bois en climat tropical insulaire humide ;
  • encadrer l’utilisation des bois locaux via des grilles de classement technique validées ;
  • définir les règles d’assemblage renforcé et de fixation des charpentes face aux efforts cycloniques et sismiques cumulés.

L’objectif est d’intégrer ces travaux dans :

  • le Guide RSPB (Règles Simplifiées pour Petits Bâtiments) Antilles, révisé en 2024 ;
  • les mises à jour du guide AFPS CPMI Z5/DHUP 2020 ;
  • et à terme, dans le socle des prescriptions générales du C2PMI, qui fait référence pour les maisons individuelles en zone paracyclonique.

Les enjeux assurantiels et les freins des contrôles techniques

L’absence actuelle de référentiel normatif reconnu pour les bois tropicaux locaux génère une instabilité juridique et financière pour les projets de charpente. Les contrôleurs techniques exigent des justifications précises sur les performances mécaniques et la durabilité des ouvrages. Faute de données validées, certains maîtres d’œuvre sont contraints de recourir à des solutions importées, surdimensionnées et mal adaptées.

Côté assureurs, le défaut de certification entraîne :

  • des surcoûts de primes pour les projets bois locaux ;
  • des refus d’assurance sur certains marchés publics ;
  • des exigences de maintenance renforcées.

La normalisation engagée vise à lever ces incertitudes en sécurisant juridiquement la filière locale, tout en garantissant aux maîtres d’ouvrage et aux assureurs un cadre de confiance technique vérifiable.

Une opportunité stratégique pour la filière bois antillaise

Au-delà des aspects purement techniques, les travaux du GT07 ouvrent une perspective économique structurante pour la filière bois antillaise. La reconnaissance normative des essences locales pourrait :

  • stabiliser l’activité de plusieurs dizaines d’entreprises artisanales et scieries régionales ;
  • réduire la dépendance aux importations de matériaux standardisés ;
  • créer des emplois pérennes dans la transformation et la valorisation des ressources forestières ;
  • et positionner les Antilles comme un territoire pilote de normalisation pour la construction tropicale multirisque.

Cette reconnaissance technique représenterait un levier direct pour renforcer la souveraineté constructive des DROM face aux défis climatiques croissants.


Restitution projet BatiSolid Antilles – Sequence Guadeloupe – Mercredi 7 mai 2025


En repositionnant les essences locales et les techniques d’assemblage sous l’éclairage de la performance structurelle et de la durabilité tropicale, le GT07 construit un socle technique essentiel pour sécuriser les charpentes antillaises face aux risques cumulés. Ce travail ouvre une voie de reconnaissance normative qui pourrait demain stabiliser l’ensemble de la filière charpente dans les DROM.

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