ADEME : 15 à 30 litres d’eau nécessaires par kilo d’hydrogène produit

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Hydrogène et eau

L’hydrogène est présenté comme une énergie clé de la transition énergétique. Mais derrière cette promesse se cache un intrant indispensable et souvent oublié : l’eau. L’Agence de la transition écologique (ADEME) a publié en août 2025 une étude de référence, menée pendant six mois dans les régions Grand Est et Bourgogne-Franche-Comté, pour évaluer l’impact du développement de la filière hydrogène sur les ressources en eau. Au-delà des chiffres, cette analyse met en évidence des arbitrages techniques et territoriaux décisifs.

L’eau, une condition sine qua non de l’hydrogène

Produire de l’hydrogène, qu’il soit issu du reformage, de la biomasse ou de l’électrolyse, nécessite toujours de l’eau. Pour l’électrolyse, considérée comme la voie prioritaire vers un hydrogène bas-carbone, la consommation nette atteint environ 9 litres d’eau par kilogramme d’hydrogène.

Cela correspond à l’eau réellement « électrolysée » pour séparer les molécules d’hydrogène et d’oxygène. Mais ce chiffre ne suffit pas à décrire la réalité : il faut y ajouter les volumes liés au traitement et au refroidissement, ce qui porte le prélèvement total entre 15 et 30 litres d’eau par kilogramme produit.

Un ordre de grandeur permet de saisir l’ampleur : un électrolyseur de 1 MW prélève chaque année entre 2 000 et 4 000 m³ d’eau, soit l’équivalent de la consommation annuelle d’un millier d’habitants. Pour une unité de 20 MW, la comparaison se rapproche déjà des besoins d’une petite ville en période estivale.

Derrière les chiffres, des procédés très contrastés

L’étude rappelle que les besoins en eau varient fortement selon la technologie choisie. Le reformage du gaz naturel avec capture de CO₂ reste plus consommateur d’eau que l’électrolyse bas-carbone. La thermolyse de biomasse, elle, offre des perspectives intéressantes mais reste limitée par la disponibilité de ressources.

En revanche, l’électrolyse, bien qu’encore coûteuse, se révèle plus sobre et constitue le scénario privilégié dans la stratégie française pour atteindre 6,5 GW de production d’ici 2030.

La nuance la plus importante se situe toutefois dans la distinction entre consommation nette et prélèvement total. Autrement dit, ce n’est pas tant la réaction chimique qui pèse sur la ressource, mais l’ensemble du dispositif technique qui l’accompagne : traitement de l’eau en amont et refroidissement en aval.

Refroidir : le choix technologique qui change tout

Un électrolyseur produit non seulement de l’hydrogène, mais aussi beaucoup de chaleur. Pour évacuer ces calories, les industriels ont le choix entre plusieurs systèmes de refroidissement.

  • Le refroidissement sec n’utilise pas d’eau, mais peut s’interrompre en cas de fortes chaleurs.
  • Le refroidissement adiabatique, compromis le plus répandu, fonctionne en mode sec la majorité du temps et bascule en mode humide aux pics estivaux. La consommation d’eau devient alors intermittente, entre 170 et 670 m³ par mois selon la météo.
  • Le refroidissement évaporatif, enfin, consomme de l’eau en continu toute l’année. Économique en investissement, il est pourtant disqualifié dans l’étude : sa consommation peut atteindre 60 L/kg H₂, soit trois à quatre fois plus que les autres solutions.

Dans les faits, les développeurs s’orientent désormais vers des solutions adiabatiques ou sèches, jugées plus acceptables tant sur le plan réglementaire qu’environnemental.

Réutiliser l’eau : une piste prometteuse mais à géométrie variable

L’ADEME insiste sur un levier majeur pour limiter la pression sur les nappes et réseaux : la réutilisation des eaux usées traitées (REUT).

Cette option séduit de plus en plus de porteurs de projets hydrogène, car elle réduit la dépendance aux ressources patrimoniales et renforce l’acceptabilité locale. Mais son application dépend fortement du contexte territorial.

En zone continentale, détourner ces effluents pose problème : ils participent souvent au soutien des débits des cours d’eau en période d’étiage.

Dans la vallée de la Moselle, par exemple, les rejets de stations d’épuration représentent jusqu’à un tiers du débit de la rivière en été. Réutiliser cette eau pour l’hydrogène reviendrait à priver le milieu naturel d’un appoint vital.

En revanche, en milieu littoral, la donne change : les effluents traités sont rejetés directement en mer, avec un impact bien moindre sur les cours d’eau.

L’étude cite ainsi le projet du Havre (Seine-Maritime), qui envisage de recycler plus de 8 millions de m³ par an d’eaux traitées pour des usages industriels partagés. Dans ce type de configuration, la REUT devient une solution compétitive et durable.

Économiquement, deux modèles coexistent :

  • En multi-usages, plusieurs industriels mutualisent une unité de traitement et accèdent à une eau de qualité pour 3 à 5 €/m³, soit un coût proche de celui de l’eau potable.
  • En mono-usage, un développeur supporte seul l’investissement dans l’unité de pré-traitement, ce qui dégrade la rentabilité de son projet hydrogène (jusqu’à -10 % de TRI sur 15 ans selon l’étude).

Autrement dit, la REUT n’est pas une solution miracle. Elle peut transformer la donne lorsqu’elle est pensée dans une logique de mutualisation et d’intégration territoriale, mais reste pénalisante si elle est isolée.

Un enjeu réglementaire incontournable

Tout projet hydrogène doit composer avec les arrêtés sécheresse et les zones de répartition des eaux (ZRE). En cas de crise, les installations industrielles peuvent se voir imposer une réduction de prélèvements de 25 %.

Dans les ZRE, tout prélèvement supérieur à 8 m³/h est soumis à autorisation, un seuil qui correspond à un électrolyseur d’une quinzaine de MW.

Ces contraintes rappellent que l’eau potable reste prioritaire sur tout autre usage. Pour les développeurs, la question de l’eau doit donc être sécurisée très tôt dans la conception des projets, au même titre que le raccordement électrique ou la maîtrise foncière.

Des projets industriels sous contrainte de sobriété

Les études de cas intégrées au rapport (Épinal, Dijon, Chalampé, Carling-Saint-Avold) montrent que les grands projets, souvent mieux optimisés techniquement, atteignent des prélèvements inférieurs à 20 L/kg.

Les petites unités diffusées, en revanche, branchées directement sur l’eau potable locale, peuvent peser plus fortement sur la ressource.

Même si l’eau ne représente que 2 à 3 % des investissements d’un projet hydrogène, elle demeure un intrant vital. Sans ressource sécurisée, pas de production possible. L’étude rappelle donc que la « sobriété hydrique » doit devenir une règle implicite pour le développement de la filière.


Hydrogène et eau

Consulter ici le rapport de l’ADEME – Ressources en eau et production d’hydrogène


 

L’analyse de l’ADEME est claire : l’hydrogène n’est pas seulement une affaire d’électricité et de CO₂, mais aussi une affaire d’eau. Avec un potentiel de 1,3 GW d’ici 2030 dans les deux régions pilotes, le développement de la filière est possible sans déstabiliser les réseaux existants, à condition de privilégier des technologies économes et de penser la ressource en amont des projets.

En filigrane, ce rapport envoie un signal fort : si les régions métropolitaines déjà dotées d’importantes infrastructures doivent redoubler de vigilance, les territoires insulaires et ultramarins, où l’eau est encore plus rare, devront anticiper avec une attention redoublée l’arrivée de projets hydrogène.

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