Actualisée en juillet 2025, la stratégie française dans l’Indopacifique place les Outre-mer au centre de son dispositif. Dans un contexte géopolitique marqué par les tensions sino-américaines, la guerre en Ukraine et les bouleversements climatiques, Paris annonce un renforcement de ses moyens militaires, économiques et diplomatiques. Mais au-delà des annonces, que changera réellement cette révision pour La Réunion, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et les autres territoires concernés ?
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Pourquoi cette actualisation maintenant
L’Indopacifique est aujourd’hui la région la plus dynamique au monde : 60 % de la croissance mondiale, 35 % du PIB et 50 % du trafic maritime de conteneurs y transitent. C’est aussi un foyer de tensions grandissantes.
Rivalité accrue entre les États-Unis et la Chine, course aux armements, conflits territoriaux persistants, montée des ingérences hybrides… la stabilité régionale est de plus en plus fragile. La guerre en Ukraine a illustré la porosité entre théâtres européens et indopacifiques, alimentant les inquiétudes sécuritaires dans les Outre-mer.
La France avait déjà formalisé sa stratégie en 2021, puis actualisé le document en 2022. La version 2025 marque un tournant : elle ne se contente plus d’énoncer une vision, elle détaille des moyens, fixe des priorités territoriales et inscrit les départements et collectivités d’outre-mer comme pivots opérationnels de la politique indopacifique.
Les Outre-mer au centre du jeu stratégique
Sept territoires ultramarins sont directement concernés : La Réunion, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, les Terres australes et antarctiques françaises et l’île de La Passion – Clipperton. Ensemble, ils représentent plus de 90 % de la zone économique exclusive française, un atout maritime et économique majeur.
La stratégie prévoit pour chacun l’élaboration d’une feuille de route spécifique, conçue avec les collectivités et adaptée à leurs enjeux : intégration régionale, développement économique, résilience climatique.
Les Outre-mer sont aussi les porte-drapeaux de la France dans les organisations régionales : Communauté du Pacifique, Commission de l’océan Indien, Forum des îles du Pacifique, Association des États riverains de l’océan Indien, ou encore organisations régionales de gestion des pêches.
Les projets annoncés dépassent le cadre militaire : renforcement des câbles sous-marins et de leur sécurité, création d’Académies régionales de formation (océan Indien, Pacifique), développement de programmes universitaires et scientifiques comme PIURN ou Tech4Islands, et soutien à la mobilité des étudiants et chercheurs.
Les moyens annoncés : budgets et projets
La loi de programmation militaire 2024-2030 alloue 13 milliards d’euros aux Outre-mer.
Cette enveloppe financera le renouvellement des flottes (six patrouilleurs, corvette, hélicoptères polyvalents), la cybersécurité (centres de réponse à incidents déjà actifs à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie), la sécurisation des infrastructures critiques et la résilience face aux menaces climatiques et hybrides.
À cela s’ajoutent les investissements de l’Agence française de développement (AFD) : 13 milliards d’euros engagés entre 2019 et 2023, dont 11,4 milliards pour le climat et 1,8 milliard pour la biodiversité.
Parmi les programmes phares : KIWA (adaptation au changement climatique), CLIPSSA (protection côtière), BRIDGES (biodiversité) et VARUNA (gestion de l’eau).
Sur le terrain économique, Paris mise sur la connectivité : nouveaux câbles post-SAFE et T4 dans l’océan Indien, lignes maritimes de cabotage, liaisons aériennes Singapour-Nouméa et Bangkok-Nouméa, retour d’Air France sur Paris-Manille et ligne Papeete-Wallis.
La Réunion est appelée à devenir un hub aéromaritime, la Polynésie un pôle de connectivité numérique.
Coopérations et alliances : un réseau en expansion
La stratégie indopacifique française repose sur un maillage dense d’alliances bilatérales, régionales et multilatérales, pensé autant pour défendre les intérêts de souveraineté que pour soutenir le développement économique et environnemental des territoires.
Des partenariats clés aux fonctions complémentaires
Avec l’Inde, partenaire stratégique majeur dans l’océan Indien, Paris développe des coopérations qui vont au-delà du domaine militaire.
Les exercices conjoints et les échanges d’expertise en sécurité maritime renforcent les capacités de surveillance autour de La Réunion et de Mayotte, zones exposées aux trafics illicites et aux intrusions maritimes.
L’Inde est aussi un acteur incontournable des projets de connectivité régionale, comme l’ASEAN Power Grid et le corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC).
Au Japon et en Australie, la France trouve des alliés naturels dans la défense de la liberté de navigation et la lutte contre la pêche illégale.
L’Australie, avec laquelle la France coordonne ses secours d’urgence dans le cadre du mécanisme FRANZ, joue un rôle central pour le Pacifique Sud, avec des impacts directs sur la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna.
Le partenariat avec les Émirats arabes unis ouvre des perspectives inédites dans le domaine des énergies renouvelables et de la sécurité portuaire, deux enjeux où les Outre-mer peuvent exporter leur savoir-faire, notamment dans la gestion des infrastructures insulaires.
Une coopération militaire et sécuritaire visible sur le terrain
Les déploiements comme CLEMENCEAU (groupe aéronaval), MARIANNE (marine, y compris sous-marins nucléaires d’attaque) ou PEGASE (projection aérienne) ne sont pas de simples démonstrations de puissance.
Ils permettent de tester la logistique locale – ports, bases aériennes, centres de maintenance – et de valider leur capacité à accueillir et soutenir des opérations de grande ampleur. Ces passages renforcent aussi la formation conjointe avec les forces armées ultramarines, qui en retirent une expérience directe de l’interopérabilité avec des alliés de haut niveau.
Les coopérations maritimes s’appuient sur des structures comme le Pacific Quad (États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande) ou la Réunion des agences de gardes-côtes asiatiques (HACGAM).
Ces cadres servent notamment à lutter contre la pêche illégale dans les zones économiques exclusives de la Polynésie, de la Nouvelle-Calédonie ou des TAAF, où les patrouilles conjointes sont un outil de dissuasion autant que de contrôle.
Des formats diplomatiques pour élargir le champ d’action
Sur le plan politique, la France défend la centralité de l’ASEAN dans la gouvernance régionale et vise une présence renforcée dans ses instances clés (ADMM+, ASEANPOL).
Les formats dits « mini-latéraux » – par exemple avec l’Inde et les Émirats – permettent de monter des projets ciblés, comme le développement d’infrastructures portuaires résilientes, directement utiles aux Outre-mer pour sécuriser leurs échanges commerciaux.
En liant défense, économie et diplomatie, ces coopérations offrent aux Outre-mer plus qu’une simple protection : elles leur ouvrent des réseaux, des marchés et des financements qui dépassent largement leur environnement immédiat.
Mais leur efficacité dépendra de la capacité de l’État à assurer un suivi régulier et à traduire ces alliances en retombées concrètes et mesurables sur le terrain.
Environnement, climat et économie bleue : l’autre pilier stratégique
L’Indopacifique concentre 70 % des récifs coralliens et 50 % des zones critiques de biodiversité mondiales, mais subit déjà les effets conjugués du réchauffement, de la pollution et de la surexploitation.
Dans le pire scénario, 89 millions de déplacés climatiques internes pourraient être recensés d’ici 2050 en Asie et dans le Pacifique.
La stratégie mise sur l’économie bleue et les innovations locales : SWAC en Polynésie française, projets French Tech à La Réunion, technoport de Bois-Rouge, centres de données à Papeete et Mayotte.
La coopération scientifique et culturelle est également renforcée : soutien au Festival international du film océanien, partenariats universitaires, formation régionale en gestion côtière.
Ce qui reste à prouver
La version 2025 de la stratégie se distingue par son degré de détail et la mise en avant des Outre-mer. Les budgets sont conséquents, les projets nombreux, et la cohérence affichée entre défense, économie et environnement est réelle.
Mais la réussite dépendra de la mise en œuvre : coordination entre État et collectivités, respect des calendriers, adaptation aux réalités locales et résilience face aux crises régionales.
Les risques sont bien identifiés : tensions géopolitiques, instabilité économique, vulnérabilité des infrastructures ultramarines. L’enjeu sera de transformer la centralité des Outre-mer dans les discours en avantages tangibles pour leurs populations et leurs économies.

Lire la stratégie Indopacifique de la France ici.









