LA RÉUNION. Hébergement d’urgence : un système à bout de souffle face à la demande

0

À La Réunion, l’hébergement d’urgence n’a jamais été autant sollicité. En l’espace d’un an, les demandes explosent et laissent de plus en plus de ménages sans solution, signe d’une crise sociale qui s’enracine. Derrière les chiffres, ce sont des familles, des personnes seules et même de très jeunes enfants qui se retrouvent sans toit. Le rapport 2025 sur l’état du mal-logement, publié par la Fondation pour le Logement, met en lumière une saturation inédite des structures, révélant les limites d’un système pourtant conçu pour répondre aux situations les plus critiques.

Un sans-abrisme en hausse constante

À la fin de l’année 2024, 5 010 personnes majeures étaient domiciliées administrativement à La Réunion, soit près de 950 de plus qu’en 2023. Parmi elles, une sur quatre l’était via une Boutique Solidarité, et une sur cinq vivait directement à la rue, représentant environ 986 personnes sans toit. La précarité ne touche pas que les adultes : plus de 960 mineurs sont recensés comme ayants droit de personnes domiciliées.

Cette réalité traduit une dégradation durable de la situation résidentielle. La tendance est également visible dans les demandes de logements sociaux : 1 182 ménages se sont déclarés sans abri en 2023, contre 972 un an plus tôt, poursuivant une progression continue depuis 2018.

Comme le souligne la Fondation dans son rapport, « l’absence de domicile personnel touche un nombre croissant de ménages réunionnais », et cette progression rapide fragilise l’ensemble des dispositifs de mise à l’abri.

Pression maximale sur le 115 et les structures d’hébergement

Le numéro d’urgence 115, pivot de la mise à l’abri, a reçu 26 632 demandes d’hébergement en 2024, impliquant 3 517 ménages. Dans 32 % des cas, aucune solution n’a pu être proposée. Les profils des demandeurs traduisent la diversité et l’ampleur des besoins : 41 % sont des hommes seuls, 18 % des femmes seules (dont 42 enceintes) et 37 % des familles avec enfants.

Face à la saturation des centres d’hébergement d’urgence (CHAU), des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et des structures d’accueil d’urgence pour les victimes de violences (SAUT), le recours aux hôtels et gîtes a explosé : 214 974 nuitées ont été financées en 2024, soit une hausse de 55 % en un an. Cette solution, bien que temporaire, reflète un système sous tension permanente.

Des profils de plus en plus vulnérables

Parmi les demandes non pourvues, les femmes seules sans enfants sont particulièrement surreprésentées, signe que la vulnérabilité ne se limite pas aux configurations familiales traditionnelles. Les données révèlent également que la part des femmes dans l’ensemble des personnes domiciliées a progressé par rapport à 2023, traduisant une féminisation lente mais réelle de la précarité résidentielle.

Les familles avec enfants, pourtant prioritaires, voient leur situation se dégrader : en janvier 2025, 147 familles sont restées sans hébergement, dont 61 enfants de moins de trois ans. Les accueils de jour, dernier filet de sécurité, connaissent eux aussi une fréquentation record, au point que le réseau de la Fondation assure désormais 20 % de la domiciliation administrative de l’île.

Dans ses propres termes, « la mise en concurrence entre les personnes les plus vulnérables pour accéder à un hébergement d’urgence s’est durcie », entraînant une exclusion accrue de certains publics.

Délais d’attente qui s’allongent pour un logement adapté

Les difficultés d’hébergement se doublent de délais croissants pour accéder à un logement pérenne. En 2024, 1 779 nouvelles demandes ont été adressées au pôle insertion/logement du Service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO). Sur ces demandes, 618 ont donné lieu à une orientation, dont 279 vers un dispositif d’insertion et 339 vers un logement adapté ou accompagné.

Au total, 476 ménages ont été admis, avec une répartition équilibrée entre insertion (45 %) et logement (55 %). Mais le délai moyen d’attente a bondi à 150 jours en 2024, contre 80 jours en 2023. Cette progression témoigne d’un engorgement qui retarde la sortie de l’urgence et complique la stabilisation résidentielle.

Les pistes d’action proposées par la Fondation

Face à cette situation, la Fondation pour le Logement préconise la création d’une cellule d’urgence placée sous l’égide de l’État et réunissant l’ensemble des acteurs de la solidarité. Cette structure aurait pour mission de mobiliser des bâtiments publics ou privés vacants afin de les transformer en hébergements à vocation sociale.

L’objectif est aussi de réorienter les politiques d’attribution : en 2023, sur 5 000 logements sociaux attribués, seuls 109 sont allés à des ménages sortants d’hébergement. Pour inverser cette tendance, la Fondation insiste sur la nécessité d’une réelle priorité pour les sans-domicile.

Elle appelle également à relancer le dispositif “Logement d’abord, dont les effets positifs sont documentés : dans ses premières années de déploiement, ce programme a permis une stabilisation rapide de publics très précarisés grâce à des solutions durables, comme les maisons relais ou l’intermédiation locative. L’extension des dispositifs pour les jeunes, à l’image du programme “Un chez-soi d’abord Jeunes”, fait partie des leviers envisagés.

Par ailleurs, la Fondation recommande d’organiser une conférence des financeurs pour accélérer la création des 230 places prévues en résidences sociales et foyers jeunes travailleurs, en ciblant en priorité les zones où les besoins sont les plus criants.


Consulter ici le FONDATION POUR LE LOGEMENT L’état du mal-logement à La Réunion RAPPORT ANNUEL 2025 


L’augmentation du nombre de personnes sans domicile, la saturation du 115 et des structures d’hébergement, et l’allongement des délais d’accès à un logement sont autant de signes d’une crise structurelle du logement à La Réunion. Si les propositions de la Fondation offrent des pistes concrètes, elles nécessitent un engagement politique et financier fort pour répondre à une urgence sociale qui ne cesse de s’aggraver.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici