Lors de la 16ᵉ Journée CCR, organisée par la Caisse Centrale de Réassurance, Nicolas Baudusseau, directeur adjoint Réassurance et Conseil de CCR, et l’architecte-urbaniste Éric Daniel-Lacombe ont livré une analyse approfondie sur la manière d’adapter la construction et la reconstruction dans un contexte de catastrophes naturelles. L’échange, riche en retours d’expérience, met en lumière des solutions techniques, des innovations et des leviers économiques essentiels pour conjuguer aménagement du territoire et résilience face au risque.
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Pourquoi nos villes sont en zones à risque ?
L’urbanisation en zones exposées n’est pas un hasard. Historiquement, la proximité des cours d’eau offrait des avantages déterminants : source d’énergie, voies de transport, terrains plats favorisant l’implantation de gares et d’infrastructures. Paris en est un exemple frappant, avec des monuments et équipements majeurs, comme le Louvre ou certaines gares, situés en zones inondables.
Aujourd’hui, 64 % de la population française vit dans une zone exposée à au moins un aléa naturel. Quitter massivement ces territoires n’aurait pas de sens socio-économique, même si certaines zones doivent être abandonnées pour des raisons de sécurité. Le défi n’est donc pas seulement de construire ailleurs, mais de bâtir et réhabiliter intelligemment dans ces secteurs.
Le cadre réglementaire : socle indispensable mais imparfait
La réglementation constitue la première ligne de défense face aux risques. En France, deux principaux niveaux coexistent :
- Les règles locales, à travers les Plans de prévention des risques (PPR), à l’échelle communale ou intercommunale.
- Les règles nationales, comme la loi ELAN, qui fixe des prescriptions générales.
Certaines régions appliquent aussi des normes spécifiques, par exemple les réglementations de construction paracyclonique aux Antilles.
Si ces cadres ont prouvé leur efficacité – les PPR ont réduit les dommages dans plusieurs zones – ils ne couvrent pas tout le territoire, notamment pour le risque inondation. De plus, des contradictions persistent : la loi ELAN peut interdire la plantation d’arbres de haute tige à proximité des habitations pour réduire certains risques, alors que des règlements locaux imposent au contraire leur plantation pour améliorer le confort d’été.
De même, certains plans locaux préconisent l’infiltration des eaux pluviales à la parcelle, alors que des prescriptions nationales privilégient le raccordement au réseau.
Autre limite : l’adaptation au changement climatique. Mettre à jour régulièrement les règles pour intégrer de nouvelles données climatiques est coûteux, énergivore et politiquement sensible, ce qui freine la réactivité nécessaire face à l’évolution rapide des aléas.

Innover pour dépasser la contrainte réglementaire
La réglementation fixe un cadre, mais elle ne peut pas tout résoudre. D’où la nécessité d’innover. Les architectes et urbanistes jouent ici un rôle clé, en imaginant des solutions adaptées aux spécificités locales.
CCR soutient cette démarche par divers projets, comme le pavillon Living With présenté à la Biennale de Venise, le Fonds CCRF pour financer des initiatives innovantes, ou encore l’initiative sécheresse menée avec France Assureurs et la MRN.
L’objectif est de développer des approches intégrées qui combinent technique, aménagement paysager et adaptation sociale, en anticipant l’évolution des risques.
Solutions concrètes pour une construction résiliente
L’adaptation doit tenir compte du type d’aléa : crues lentes, rapides ou torrentielles. Les solutions diffèrent selon la dynamique de l’eau.
Sur le terrain, plusieurs pratiques se sont révélées efficaces. Les micro-terrassements et remblais individuels permettent de surélever une maison ou un jardin, offrant parfois jusqu’à 24 heures supplémentaires pour évacuer les habitants vulnérables.
Cette marge peut s’avérer cruciale, notamment dans les zones de crues lentes où l’eau met du temps à atteindre son pic. Dans le Pas-de-Calais, la lenteur de la décrue constitue un risque majeur : des aménagements visant à recréer des talwegs ou des chenaux secondaires peuvent accélérer l’évacuation de l’eau et limiter les dégâts.
Certaines communautés, comme des villages au sud d’Angers, ont intégré la gestion des crues à leur mode de vie. Les habitants connaissent les niveaux historiques de crues, savent quels espaces sont inondables et adaptent leurs usages en conséquence. Cette mémoire locale est un atout précieux pour guider les choix d’aménagement.
Le choix des matériaux est tout aussi stratégique. Les dalles respirantes permettent à l’eau d’entrer et de ressortir, évitant les désordres liés à l’humidité piégée. En revanche, les matériaux totalement étanches peuvent aggraver les problèmes si l’eau pénètre malgré tout. Sur le plan de l’habitabilité, la ventilation naturelle doit être privilégiée au chauffage, qui repousse l’humidité dans les murs.
Côté conception, des escaliers extérieurs assurent un accès sécurisé quel que soit le niveau de l’eau, permettant de rejoindre un bateau ou un point d’évacuation. Leur coût est bien inférieur à celui d’une reconstruction complète après sinistre, et leur efficacité est immédiate en cas de montée des eaux.
Le modèle économique de l’adaptation
L’un des freins majeurs reste économique. Un bien adapté ne se vend pas plus cher qu’un bien non adapté, et l’investisseur n’est pas toujours celui qui bénéficie directement des économies générées par la réduction des dommages. Certains assureurs envisagent de conditionner l’assurabilité à la mise en œuvre d’adaptations, ce qui pourrait bouleverser le marché.
Plusieurs dispositifs existent pour lever les freins financiers. Le programme expérimental MIRAPI (Mieux reconstruire après inondation), financé par le Fonds Barnier, permet de couvrir les surcoûts liés à des travaux d’adaptation résiliente, en complément de l’indemnisation classique.
Le Fonds Barnier peut également financer jusqu’à 80 % des travaux dans certaines zones, avec un taux pouvant atteindre 100 % lorsque les collectivités abondent. Pourtant, malgré ces aides, peu de propriétaires s’en saisissent, ce qui montre un besoin de pédagogie accrue.
Sortir du réflexe “reconstruction à l’identique”
Contrairement à une idée reçue, la loi n’impose pas de reconstruire à l’identique. L’indemnisation se base sur le coût d’une reconstruction équivalente, mais les assurés peuvent opter pour des adaptations, à condition de respecter l’enveloppe ou de financer le surplus.
Les périodes post-sinistre sont des moments charnières pour introduire des améliorations structurelles. Pourtant, l’attachement au lieu, les habitudes et les coûts supplémentaires freinent souvent ces transformations.
À Mayotte, après le passage du cyclone CHIDO— qui a détruit environ 35 000 habitations et endommagé 70 % des écoles et hôpitaux — la reconstruction rapide a souvent privilégié le retour à l’état initial, alors qu’une adaptation durable (réhausse des sols, matériaux résistants à l’humidité, drainage renforcé) aurait permis de réduire la vulnérabilité du bâti.
Repenser l’urbanisation face au risque
Dans certains cas, reculer ou abandonner une zone reste la meilleure option. À Saint-Martin, 161 maisons ont été perdues lors d’un événement majeur, dont 90 en une seule nuit. Les autorités locales ont dû mener un travail patient pour convaincre les habitants de quitter les zones les plus dangereuses, même lorsque ces dernières avaient échappé à certaines tempêtes passées.
Dans le Pas-de-Calais, certaines zones humides, appelées “Watering”, sont susceptibles de redevenir des marais. Anticiper cette transformation est essentiel pour éviter des investissements à perte.
Ces exemples rappellent qu’il faut des messages clairs et cohérents, et que l’adaptation passe parfois par un retrait stratégique plutôt que par la protection à tout prix.
Changer le modèle territorial, c’est aussi passer d’une logique d’ouvrages techniques isolés à une métamorphose intégrant le bien commun, l’esthétique du paysage et l’acceptabilité sociale. Cela suppose d’associer élus, techniciens et habitants à une vision à long terme.
L’expérience partagée lors de la 16ᵉ Journée CCR montre qu’une résilience durable repose sur une combinaison de mesures : un socle réglementaire solide, une innovation constante, des solutions techniques adaptées à chaque contexte, et des modèles économiques incitatifs.