La France a officiellement relevé ses ambitions climatiques. Avec la troisième Stratégie nationale bas-carbone (SNBC 3), soumise à concertation publique en novembre 2024, le gouvernement vise désormais une réduction de 50 % des émissions brutes de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 par rapport à 1990. Une inflexion majeure, censée replacer le pays sur la trajectoire de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Mais à y regarder de plus près, tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne. Le bâtiment, pourtant pilier de la transition énergétique, reste en deçà des objectifs.
D’après les modélisations officielles réalisées par la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), les émissions du secteur pourraient atteindre 35 millions de tonnes équivalent CO₂ (MtCO₂e) en 2030. Or, la cible fixée par le gouvernement est inférieure à 32 MtCO₂e. L’écart est mince, mais significatif. Il révèle à la fois la lenteur des transformations en cours, les limites des politiques déjà engagées, et l’ampleur des efforts encore nécessaires pour faire du bâtiment un levier réellement efficace dans la lutte contre le changement climatique.
Un secteur déjà en baisse, mais plus lentement que prévu
Sur le papier, la tendance est encourageante : les émissions du bâtiment ont baissé de manière continue depuis 1990, passant de 93 MtCO₂e cette année-là à 62 MtCO₂e en 2022, selon l’inventaire Secten 2024 du Citepa.
Une chute de 33 % en trois décennies, qui s’explique notamment par l’évolution du mix énergétique, la généralisation du double vitrage, l’essor progressif des rénovations thermiques, ou encore la baisse de consommation dans le tertiaire public.
Mais cette dynamique marque aujourd’hui le pas. La modélisation « run 2 » du scénario AMS du gouvernement estime que le niveau de 35 MtCO₂e ne sera pas franchi sans mesures supplémentaires.
Le bâtiment devient ainsi le seul grand secteur à ne pas atteindre spontanément son objectif dans la version actuelle du projet SNBC 3. Le constat est explicite dans le document : « des mesures supplémentaires restent à sécuriser dans les prochains mois ».
Pourquoi le bâtiment résiste-t-il à la trajectoire bas-carbone ?
Le retard du bâtiment ne s’explique pas par un seul facteur, mais par une combinaison de contraintes techniques, économiques et structurelles. D’abord, le poids du parc existant pèse lourd.
Environ 7 logements sur 10 en France ont été construits avant 1990, avec une performance thermique souvent médiocre. Or, la rénovation d’un bâtiment est un chantier complexe, long, et rarement standardisé.
Ensuite, les politiques publiques, bien que massivement financées (plus de 3 milliards d’euros annuels via MaPrimeRénov’), peinent à enclencher des rénovations globales performantes.
Les rénovations dites « par gestes » dominent encore, avec un faible impact sur les émissions. Les copropriétés restent difficiles à mobiliser, les filières artisanales sont sous tension, et les dispositifs d’aide sont perçus comme techniques et peu lisibles.
À cela s’ajoute un autre frein, moins souvent évoqué : la lente adaptation du tertiaire privé. Les bureaux, commerces ou hôtels représentent une part non négligeable des consommations, mais restent en dehors des politiques incitatives. La réglementation sur les bâtiments tertiaires progresse, mais son application reste hétérogène.
Des leviers encore disponibles, mais à activer rapidement
Pour combler l’écart entre trajectoire actuelle et objectif 2030, plusieurs options sont identifiées, mais nécessitent un engagement plus ferme. En premier lieu, accélérer la rénovation performante, avec des résultats énergétiques mesurables, est un impératif.
Cela suppose de revoir les modalités d’accompagnement, d’augmenter la lisibilité des aides, et de renforcer la formation des professionnels.
Le réemploi des matériaux, l’utilisation des matériaux biosourcés et la montée en puissance de la construction bas-carbone représentent également des leviers structurels.
Non seulement pour réduire les émissions liées aux chantiers, mais aussi pour décarboner l’ensemble de la chaîne de valeur. Ces pratiques, encore marginales, pourraient bénéficier de règles de commande publique mieux adaptées.
Le document évoque aussi l’enjeu des compétences : massifier la rénovation, c’est aussi former des milliers d’artisans aux pratiques compatibles avec les exigences environnementales. Or, les tensions actuelles dans le secteur du bâtiment freinent cette transition.
Enfin, l’État pourrait mobiliser davantage son propre patrimoine — plus de 100 millions de m² de bâtiments publics — pour donner l’exemple, activer les filières, et diffuser l’innovation.
Un enjeu critique pour la planification écologique
Le retard du secteur bâtiment dans le projet de SNBC 3 est loin d’être anecdotique. À lui seul, il pourrait faire basculer l’ensemble de l’équation climatique française à l’horizon 2030.
Contrairement aux secteurs de l’énergie ou des transports, où les trajectoires sont désormais mieux calibrées grâce à la décarbonation de la production et à l’électrification des usages, le bâtiment reste dépendant d’un foisonnement de micro-décisions, portées par des acteurs très dispersés.
Cela rend l’action publique plus difficile, mais d’autant plus urgente. La France ne pourra tenir sa promesse européenne de réduction de 50 % des émissions brutes sans un alignement rapide du secteur bâtiment. Et si les “mesures supplémentaires” restent en suspens, le risque est réel de devoir ajuster les efforts ailleurs, parfois au détriment d’autres priorités.
Consulter le document – Projet de stratégie nationale bas – carbone n°3