Rénover mieux, former plus : le pari de l’Anah pour 250 000 emplois

0
Rénovation énergétique

Alors que l’Agence nationale de l’habitat appelle à bâtir une véritable filière française de la rénovation énergétique, le numéro 166 des Cahiers de l’Anah, paru en mars 2025, met en lumière les dynamiques à l’œuvre dans les territoires. Derrière les chiffres records de 2024 et les grandes ambitions pour 2030, un défi demeure : faire atterrir cette vision dans tous les contextes locaux, y compris ceux, plus fragiles, des Outre-mer.

Une mobilisation sans précédent, mais sous tension

L’année 2024 aura marqué un tournant dans la politique de rénovation de l’habitat privé. Selon l’Anah, 350 000 logements ont été rénovés, dont 91 000 dans le cadre de rénovations d’ampleur.

Ces opérations ont généré 7,34 milliards d’euros de travaux, grâce à un volume inédit d’aides : 3,7 milliards d’euros distribués, tous dispositifs confondus. Dans le même temps, plus de 77 000 emplois ont été créés ou consolidés.

Un bilan que la ministre du Logement, Valérie Létard, revendique comme un socle de confiance pour l’avenir. MaPrimeRénov’ et MaPrimeAdapt’ sont reconduites en 2025, avec un budget global de 4,4 milliards d’euros.

Mais derrière ces engagements massifs, une question s’impose : comment maintenir cette dynamique dans des territoires qui ne disposent pas tous des mêmes ressources humaines, des mêmes réseaux ou des mêmes capacités d’ingénierie ? La massification des rénovations est un chantier national, mais la capacité à le concrétiser repose largement sur les épaules d’écosystèmes locaux encore hétérogènes.

La filière en 4 piliers : entre vision nationale et adaptation locale

Construire une filière française d’excellence en matière de rénovation énergétique repose, selon l’Anah, sur quatre leviers majeurs : la proximité, la formation, la mobilisation de l’écosystème et la confiance. Chacun répond à un obstacle bien identifié sur le terrain, mais tous supposent une mise en œuvre fine et adaptée aux réalités locales.

Proximité : un service public qui se structure… là où il peut

Avec 589 Espaces Conseil France Rénov’ et plus de 3 500 Accompagnateurs Rénov’ dans près de 1 000 structures, l’offre d’accompagnement s’étoffe. Le déploiement des Pactes territoriaux vise justement à assurer une couverture de tous les territoires, en adaptant les interventions aux enjeux locaux.

Mais cette promesse d’un accompagnement universel reste théorique dans certaines zones. Dans les Outre-mer, l’accès à un conseiller France Rénov’ peut encore relever du parcours du combattant, en particulier en zone rurale ou montagneuse.

L’approche de proximité défendue par l’Anah exige des moyens humains localisés et des partenariats solides entre État, collectivités et réseaux associatifs. Or, dans les territoires ultramarins, les moyens des collectivités sont parfois insuffisants pour porter ce type de dispositifs avec la même intensité qu’en métropole.

Formation : un défi de fond pour la filière

L’un des nerfs du chantier, c’est bien la formation. Avec un objectif fixé à 250 000 postes à pourvoir dans la rénovation d’ici 2030, la filière devra s’appuyer sur un vivier qualifié. Des initiatives existent : le projet Fare, coordonné par l’ASDER, prévoit de former 150 000 professionnels d’ici cinq ans. L’école La Solive, quant à elle, a déjà formé 1 000 personnes en reconversion, avec un taux de retour à l’emploi de 85 %.

Mais ces structures restent concentrées dans l’Hexagone. Dans les territoires d’Outre-mer, les formations qualifiantes dans les métiers de la rénovation — audit énergétique, pose d’isolants biosourcés, accompagnement — sont rares ou inadaptées aux contextes locaux.

Il manque des centres de formation ancrés dans les territoires, capables d’intégrer les spécificités climatiques, constructives ou économiques. Ce déficit freine directement l’essor d’une filière locale de la rénovation, pourtant cruciale pour répondre à la demande.

Mobilisation : des réseaux locaux à construire

Autre levier identifié par l’Anah : la mobilisation de l’écosystème. L’exemple de la Métropole Marseillaise, avec sa plateforme Loutre et son réseau Actimmo13, montre que des dynamiques fortes peuvent émerger lorsqu’acteurs publics et privés s’allient autour de la rénovation.

À Marseille, la collaboration entre syndics, banques, agences immobilières et collectivités a permis d’augmenter de 120 % le nombre de projets de rénovation en copropriété entre 2023 et 2024.

Mais cette synergie reste difficilement transposable telle quelle en Outre-mer. Les tissus économiques y sont plus atomisés, les PME du bâtiment moins structurées, et les partenariats publics-privés plus rares.

Dans ces conditions, la « mobilisation » passe d’abord par un soutien accru aux acteurs de terrain — associations, chambres consulaires, fédérations artisanales — pour créer les conditions d’un réseau de confiance.

Confiance : sécuriser les parcours, partout

Enfin, la confiance des ménages est un préalable incontournable. Pour la renforcer, l’Anah intensifie sa lutte contre la fraude : passage à un taux de contrôle de 15 % des dossiers, référents territoriaux, meilleure qualification des signalements via SignalConso. En 2024, 25 905 signalements ont été enregistrés, et plus de 1 000 établissements ont été contrôlés.

Les territoires ultramarins, souvent confrontés à des rénovations informelles, sont particulièrement exposés. L’absence de professionnels RGE dans certaines zones rend parfois impossible l’accès aux aides, ce qui pousse certains ménages à recourir à des circuits parallèles. Là encore, une approche spécifique s’impose pour éviter de renforcer les inégalités d’accès aux dispositifs.

Une filière à construire aussi dans les Outre-mer

L’enjeu est de taille : adapter les ambitions nationales aux contextes locaux. Dans les Outre-mer, la rénovation énergétique ne peut se penser sans intégrer les spécificités du bâti traditionnel, la forte exposition aux aléas climatiques, et les réalités sociales. Le défi est double : construire une filière qualifiée localement, et faire émerger une ingénierie territoriale robuste.

Il est urgent, par exemple, de développer des formations locales sur les matériaux adaptés au climat tropical ou au risque sismique. De valoriser les filières biosourcées endémiques, comme la canne, le bambou ou la fibre de coco.

De soutenir les artisans dans leur montée en compétence, sans quoi les aides de l’État resteront largement sous-utilisées. Car la filière d’excellence de la rénovation ne pourra exister qu’en résonance avec les territoires.


Rénovation énergétique

Consulter les cahiers de l’Anah n°166 ici.


Le volontarisme affiché par l’Anah trace une trajectoire claire : massifier, structurer, accompagner. Mais cette trajectoire ne pourra être suivie que si l’on veille à combler les écarts territoriaux. Plus qu’un projet technique, la rénovation énergétique est une aventure humaine et collective. Elle exige des bras, des relais, de la confiance, et surtout une adaptation permanente. C’est à cette condition que la filière d’excellence annoncée pourra devenir une réalité partagée — et non une promesse inégalement tenue.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici