Le ministère de la Transition écologique, via la DHUP, a lancé une étude nationale inédite sur les matériaux biosourcés et géosourcés dans les territoires ultramarins. Confiée au Cerema, cette initiative entend documenter les pratiques locales de construction durable, en vue de faire évoluer les référentiels techniques et réglementaires. Une première étape vers une meilleure reconnaissance des spécificités ultramarines.
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Une étude nationale à échelle ultramarine
Depuis plusieurs années, les matériaux biosourcés et géosourcés s’imposent comme une réponse incontournable aux exigences environnementales dans le secteur du bâtiment. En métropole, leur usage progresse, porté notamment par la RE2020.
Mais dans les territoires ultramarins, la dynamique reste freinée par un manque de données fiables et de retours d’expérience opérationnels.
Le ministère de la Transition écologique, via sa Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), a donc confié au Cerema la conduite d’une étude spécifique aux Outre-mer.
Démarrée en avril 2025 pour une durée d’un an, cette étude concerne cinq territoires : Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion et Mayotte.
Elle entend cartographier les filières existantes, identifier les matériaux disponibles localement, évaluer leur usage actuel, et surtout recueillir les données économiques qui permettront d’éclairer la décision publique. La restitution est prévue en avril 2026.
Ce travail s’inscrit dans la perspective de l’application de l’article L.228-4 du Code de l’environnement, qui impose, à partir de 2030, l’intégration de matériaux biosourcés ou bas carbone dans au moins 25 % des constructions et rénovations de la commande publique. Une échéance qui concerne également les acheteurs ultramarins, pour lesquels il devient urgent de disposer d’un cadre adapté.
Quels matériaux ? Quelles filières ? Quels freins ?
L’étude cible un éventail de matériaux à fort potentiel : bois local, terre crue, bambou, fibres végétales, déchets agricoles transformés, etc. Certains, comme le bois guyanais, sont déjà mobilisés dans des projets de construction. D’autres, comme le bambou, restent à l’état de filière émergente ou d’expérimentation.
L’objectif est de comprendre ce qui fonctionne, ce qui bloque, et ce qu’il faut pour massifier l’usage de ces ressources dans des projets neufs ou en rénovation. Pour cela, l’étude se structure autour de trois axes :
- La cartographie des matériaux et des acteurs (MOA, MOE, producteurs, transformateurs, artisans, etc.)
- L’analyse des freins et leviers : normatifs, économiques, techniques, assurantiels, sociétaux…
- L’évaluation des coûts : matériaux, main-d’œuvre, formation, logistique, maintenance…
De nombreux obstacles sont déjà identifiés. D’un point de vue réglementaire, l’absence de DTU adaptés ou d’avis techniques pour certains matériaux rend leur mise en œuvre difficile, voire impossible, notamment face aux exigences des assureurs ou bureaux de contrôle. « Sans référentiel, c’est un avis défavorable automatique », a rappelé un représentant d’un bureau de contrôle ultramarin lors du webinaire qui s’est tenu le 30 juin 2025.
Côté économique, le manque de filières structurées, la faiblesse des débouchés, et les difficultés d’accès au financement bloquent souvent la production locale. Des initiatives isolées existent, mais peinent à atteindre l’économie d’échelle nécessaire à leur viabilité.
Enfin, la question de l’acceptabilité sociale reste centrale : habiter une maison en bambou ou en terre crue n’est pas encore un choix largement accepté, notamment dans les Antilles où le béton reste la norme culturelle.
Des exemples concrets pour nourrir la réflexion
L’une des forces de cette étude repose sur sa capacité à s’ancrer dans des projets réels déjà livrés ou en cours. Plusieurs exemples ont été présentés lors du webinaire :
En Guyane, la cité Copaia à Matoury a été construite dans une démarche Ecodome+ avec une forte intégration de bois local, utilisé aussi bien en structure qu’en menuiserie. Le hall sportif et la salle polyvalente de Papaïchton ont également misé sur le bois, transformé sur place, valorisant une ressource prélevée directement sur site.
À Mayotte, le domaine de Cristal s’inscrit dans une logique bioclimatique et environnementale. Les briques de terre comprimée utilisées ont été fabriquées à proximité immédiate du chantier, réduisant les transports et valorisant un matériau abondant.
À La Réunion, la médiathèque du Sud Sauvage a été conçue avec du bois local, notamment en bardage et en protections solaires, soulignant l’intérêt de filières courtes même pour les équipements publics.
En Guadeloupe, le siège du Parc national intègre des clostrins en bois, produits dans le cadre d’une convention avec l’ONF. L’enjeu ici était de conjuguer performance thermique, respect des contraintes climatiques comme les cyclones et séismes, et valorisation de la ressource forestière locale.
Enfin, en Martinique, la commune du Prêcheur expérimente une stratégie de relogement de population en zone à risque, avec la volonté d’utiliser du bambou, des fibres végétales, et des briques de terre issues des lahars volcaniques. Ce projet cherche à conjuguer résilience, relocalisation, création de filière et innovation sociale.
Un appel à participation lancé aux acteurs de terrain
Pour que cette étude reflète les réalités concrètes, le Cerema invite les acteurs locaux à contribuer activement. Un questionnaire en ligne est diffusé depuis le webinaire du 30 juin pour permettre aux maîtres d’ouvrage, architectes, artisans ou collectivités de proposer un entretien individuel.
Ces entretiens, qui se dérouleront au second semestre 2025, permettront d’approfondir les cas concrets : éléments de coûts détaillés par lots, organisation des chantiers, formation, points de blocage ou réussites. « On a besoin de vous. Ce sont vos retours qui permettront de calibrer des seuils réalistes, des filières solides et des solutions adaptées à chaque territoire », a insisté Virginie Démoulin, cheffe de projet au Cerema.
Les professionnels sont également invités à signaler des projets exemplaires ou des tentatives inabouties. Comprendre ce qui n’a pas fonctionné est tout aussi important que documenter les réussites, afin de dégager les bons leviers à activer.
Vers une adaptation de la réglementation ?
Si l’étude ne vise pas à redéfinir les normes, elle pourrait peser sur les évolutions réglementaires à venir. En particulier, elle entend alimenter les réflexions autour de l’adaptation du label bâtiment biosourcé, dont les seuils actuels sont inadaptés aux spécificités ultramarines.
Plusieurs intervenants ont souligné l’importance de mieux représenter les territoires d’Outre-mer dans les groupes de normalisation (DTU, règles professionnelles, Atex…). La FRBTP de La Réunion, par exemple, participe déjà à des commissions miroir.
Le CTBF Guyane mobilise des fonds France 2030 pour contribuer à la normalisation bois. D’autres territoires comme la Nouvelle-Calédonie mènent également des démarches de coordination technique.
Les débats ont aussi rappelé l’enjeu sociologique et culturel du changement. Une transition réussie vers des matériaux locaux passe par une pédagogie adaptée et un travail d’appropriation. « Avant même d’imposer des seuils, il faut savoir dans quoi les gens veulent habiter », a résumé un représentant de l’ADL.