La Martinique a connu en 2024 un net ralentissement de son activité économique. L’édition 2024 du rapport annuel de l’IEDOM dresse un constat lucide : instabilité sociale, inflation persistante, recul du climat des affaires et tensions sur l’investissement ont pénalisé l’ensemble des secteurs.
Si la consommation a fait preuve de résilience, d’autres indicateurs – comme l’emploi ou la commande publique – se sont nettement dégradés. Pour 2025, l’espoir d’une relance existe, mais reste suspendu à plusieurs conditions structurelles.
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Une année marquée par l’instabilité sociale et la perte de confiance
L’économie martiniquaise s’est heurtée à une conjonction de facteurs défavorables tout au long de l’année 2024. L’instabilité politique au niveau national, les incertitudes géopolitiques à l’échelle internationale et, surtout, le mouvement social contre la vie chère survenu en fin d’année ont durablement altéré la confiance des agents économiques. Ces tensions ont alimenté une atmosphère d’attentisme, paralysant les décisions d’investissement et les perspectives de croissance.
Le recul de l’indice du climat des affaires (ICA) en est une illustration nette : il perd 8,5 points sur un an et se retrouve « en deçà de sa moyenne de longue période », selon le rapport.
Le dynamisme économique observé en début d’année a rapidement cédé face aux incertitudes, et les prévisions de croissance optimistes établies en 2023 ont été révisées à la baisse. La méfiance des chefs d’entreprises s’est traduite par une prudence accrue dans les engagements, notamment dans les secteurs du commerce, du BTP et de l’industrie.
L’inflation ralentit, mais les prix restent sous tension
L’un des rares signaux positifs de l’année reste la décélération de l’inflation. Après avoir atteint une moyenne de 3,3 % en 2023, elle s’est établie à 2,8 % sur l’ensemble de l’année 2024, avant de reculer à 1,8 % en glissement annuel à fin décembre.
Cette baisse s’explique principalement par une détente des prix de l’énergie, mais les autres postes de consommation continuent d’exercer une pression sur les ménages.
Dans le détail, l’énergie affiche une hausse moyenne de +6,1 %, suivie de l’alimentation (+3,6 %), des services (+2,8 %) et des produits manufacturés (+1,4 %). Le rapport précise que « les services contribuent le plus à l’inflation sur l’année (1,2 point), suivis de l’alimentation (0,6 point), de l’énergie (0,5 point), et des produits manufacturés (0,4 point). »
Face à la contestation populaire, un protocole d’accord signé le 16 octobre 2024 prévoit une baisse moyenne de 20 % sur 54 familles de produits.
L’IEDOM souligne que « son entrée en vigueur se fait progressivement à mesure que les obstacles à sa mise en œuvre sont levés. » Les effets restent partiels en début d’année 2025, notamment dans les territoires enclavés ou les filières dépendantes des importations.
Le marché du travail se dégrade, notamment chez les jeunes
Le ralentissement économique a eu un impact direct sur l’emploi. Sur l’année, l’emploi salarié global baisse de 0,7 %, un recul porté par le secteur privé (-1,1 %) malgré une très légère hausse dans le public (+0,2 %). Le taux de chômage remonte à 12,4 %, contre 10,8 % en 2023, rompant avec la dynamique de baisse amorcée depuis 2020.
Les jeunes actifs sont particulièrement affectés. Le rapport relève une hausse de 3,6 % du nombre de demandeurs d’emploi de moins de 25 ans.
Toutes catégories confondues, les inscrits à Pôle Emploi atteignent 42 140 personnes fin 2024. Le segment des demandeurs d’emploi de catégorie A augmente, lui, de 2,2 %.
Le rapport indique cependant qu’« en dépit d’une nouvelle hausse du nombre de demandeurs d’emploi au premier trimestre 2025, des signes d’amélioration du marché du travail sont perceptibles en début d’année ». Cette tendance reste à confirmer au second semestre.
La consommation résiste malgré un net essoufflement en fin d’année
Dans un contexte économique tendu, la consommation des ménages a fait preuve d’une relative solidité. Les recettes fiscales liées à la consommation progressent : +0,8 % pour la TVA, +2,6 % pour l’octroi de mer. Cette hausse témoigne d’un maintien des achats courants malgré la perte de pouvoir d’achat.
Les importations de biens de consommation non durables (+3,5 %) et durables (+3,4 %) traduisent une certaine confiance des consommateurs, du moins jusqu’au troisième trimestre. À partir d’octobre, les effets du mouvement social se font ressentir.
Les recettes de TVA du second semestre chutent de 3,1 % (CVS) par rapport au premier. Les immatriculations de véhicules particuliers enregistrent un recul marqué de -9,6 %.
L’année 2025 s’ouvre sur une consommation en repli, affectée par les blocages de fin d’année, la hausse du crédit et les incertitudes persistantes sur l’emploi.
Crédits et dépôts en hausse, mais frein sur l’habitat
L’activité bancaire a poursuivi sa progression, soutenue par l’augmentation des encours de crédits (+3,0 %, soit 12,7 milliards d’euros) et des dépôts (+2,6 %, soit 10,3 milliards d’euros). Toutefois, la dynamique est moins vigoureuse qu’en 2022, et plusieurs signaux d’alerte émergent.
Les crédits à l’habitat enregistrent une progression limitée (+3,9 %), confirmant le ralentissement amorcé en 2023. Le taux moyen atteint 3,72 % fin 2024, soit +12 points de base sur un an. Les crédits à la consommation augmentent de 3,3 %, avec un taux moyen de 6,14 % (+38 points de base).
Le rapport précise que « malgré un quatrième trimestre atone, en lien avec le mouvement contre la vie chère, la progression de l’encours est légèrement supérieure en 2024. »
Pour les entreprises, les crédits ralentissent (+2,5 % après +3,8 %) tandis que les dépôts rebondissent (+3,7 %). Le déficit de place s’élève à 2,4 milliards d’euros, en légère hausse.
Bâtiment et travaux publics : un secteur à la peine dans un contexte d’attentisme
Le secteur du BTP en Martinique a connu une nette contraction en 2024, principalement en raison du recul de la commande publique et de l’attentisme des maîtres d’ouvrage privés. Les autorisations de construire en logements individuels diminuent de 11,8 % sur un an.
e ralentissement touche aussi les projets d’infrastructures, freinés par les contraintes budgétaires des collectivités et les retards dans les procédures de passation des marchés.
Les entreprises locales font face à une hausse persistante des coûts. Les prix des matériaux – notamment ciment, acier et bois – restent élevés malgré une stabilisation.
Le rapport souligne que « le repli de la commande publique affecte durablement l’activité du BTP, en particulier pour les entreprises locales dépendantes du marché public. » Ce contexte a entraîné une baisse d’activité, une pression sur les marges et une diminution de la visibilité commerciale.
Pour 2025, la relance du secteur dépendra fortement des investissements publics à venir. Des besoins importants sont identifiés dans l’eau potable, les réseaux, la réhabilitation des logements et les travaux de résilience climatique. Reste à savoir si les crédits prévus seront effectivement mobilisés à court terme.
Des finances publiques locales globalement maîtrisées
En 2023, les finances des collectivités martiniquaises affichent un résultat global positif. Les recettes atteignent 2,475 milliards d’euros (7,5 %) contre 2,414 milliards d’euros de dépenses (6,8 %), pour un solde net de 61 millions d’euros. Toutefois, la capacité d’autofinancement brute diminue de 17,5 % pour s’établir à 174 millions d’euros.
L’endettement total progresse légèrement (+2,3 %), atteignant 1,33 milliard d’euro. Les collectivités ont accru leur recours à l’emprunt (+30,9 %) afin de financer leurs projets, dans un contexte de pression budgétaire et d’attente de dotations étatiques.
Le dispositif COROM continue d’accompagner certaines communes comme Fort-de-France et Saint-Pierre dans leur redressement budgétaire.
Le tissu économique reste dominé par les TPE et les services
L’économie martiniquaise reste fortement tertiarisée. Les services marchands et non marchands représentent 86,5 % de la valeur ajoutée du territoire. Le poids des TPE est considérable : elles constituent 97 % du tissu économique local.
En 2023, 8 956 entreprises ont été créées (+19,4 % de taux de création), dont 92,1 % dans les services, 4,9 % dans le BTP et 2,7 % dans l’industrie. Cette répartition traduit la faible diversification économique du territoire, qui reste dépendant de la consommation locale et du secteur public.
Cette structure pose des défis en termes de productivité, d’innovation et de compétitivité à long terme.
Des vulnérabilités persistantes face aux dérèglements climatiques
La Martinique reste exposée à de multiples risques climatiques : érosion du littoral, sécheresse, algues sargasses, blanchissement des coraux, montée des eaux. L’IEDOM rappelle que « l’adaptation au phénomène d’érosion du littoral concerne…50 % des communes ».
Ces phénomènes ont des conséquences économiques directes : raréfaction des ressources halieutiques, recul de la surface agricole utile, dégradation des récifs coralliens – essentiels pour la pêche et le tourisme.
Les mesures d’adaptation demeurent souvent limitées à des réponses lourdes (digues, enrochements), alors que le nouveau Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC 2025) appelle à des solutions structurelles et à un traitement prioritaire des Outre-mer. Les enjeux de souveraineté alimentaire, d’accès à l’eau et de préservation de la biodiversité deviennent stratégiques.
2025 : vers une relance sous conditions
L’année 2025 débute sous de meilleurs auspices. Le climat des affaires montre des signes de stabilisation, et la baisse de l’inflation sous les 2 % constitue une base saine pour la relance. La détente monétaire, amorcée par la BCE à partir de juin 2024, devrait se poursuivre et permettre un fléchissement du coût du crédit.
Mais le redémarrage de l’économie martiniquaise repose sur plusieurs leviers encore incertains. L’IEDOM est clair : « La consolidation de la croissance et l’attractivité économiques…nécessitent des réformes structurelles, visant notamment à une allocation plus ciblée des investissements vers les secteurs à fort potentiel. » Il en va notamment de la connectivité portuaire, de la transition énergétique et de la souveraineté alimentaire.
Au-delà du financement, c’est la simplification des procédures, la réduction des délais de paiement et l’appui aux PME qui conditionneront la trajectoire économique du territoire à moyen terme.









