Encore absente du paysage énergétique mahorais, la géothermie fait aujourd’hui figure d’alternative stratégique dans un territoire isolé, en quête de solutions durables. Les dernières données géoscientifiques, renforcées par la crise sismo-volcanique de 2018, positionnent l’île de Petite Terre comme un site à fort potentiel. Mais à ce stade, aucun forage profond n’a encore été réalisé. Tout reste à construire.
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Un potentiel géothermique révélé tardivement
Les premiers travaux d’exploration menés à Mayotte dans le domaine de la géothermie remontent à la période 2005-2008. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) identifie alors la zone de Petite Terre comme présentant plusieurs indices caractéristiques d’une ressource géothermale active, à plus de 1 000 mètres de profondeur. Les données collectées suggèrent une température supérieure à 200 °C, ce qui ouvrirait la voie à une exploitation électrique en géothermie haute énergie.
À l’époque, ces résultats ne sont pas pleinement exploités. L’absence d’urgence énergétique et de dynamique industrielle sur le sujet ne permet pas d’engager de travaux plus lourds, notamment les forages d’exploration nécessaires pour confirmer les hypothèses du BRGM.
La crise sismo-volcanique de 2018 change la donne
Tout bascule en mai 2018. Une série de séismes inhabituels affecte l’est de Mayotte, jusqu’à révéler en juin la naissance d’un nouveau volcan sous-marin, situé à environ 40 kilomètres de Petite Terre, à 3 500 mètres de profondeur. C’est une première mondiale documentée en temps réel. Pour les géologues, cette activité volcanique confirme l’existence d’une chambre magmatique active à faible distance de l’île.
Ce phénomène donne un nouvel éclairage aux études de géothermie réalisées plus tôt. Entre 2018 et 2019, le BRGM reprend les investigations sur Petite Terre, affinant les modèles géologiques, les profils sismiques et les mesures gravimétriques. Le diagnostic est clair : le potentiel géothermique de Mayotte est bien réel, mais son évaluation précise suppose la réalisation de forages profonds jusqu’à 2 000 mètres, techniquement exigeants et coûteux.
Un projet encore à l’état exploratoire
À ce jour, aucun forage d’exploration n’a encore été réalisé. Le BRGM a toutefois publié en janvier 2023 un rapport détaillé (BRGM/RP-72283-FR) définissant les sites d’implantation possibles pour ces futurs puits, en tenant compte des données géologiques, des accès techniques et de la probabilité de succès des forages.
Ce rapport préconise une approche par étape : études de surface complémentaires, modélisation du réservoir, puis réalisation de 2 à 3 puits d’exploration profonds. L’objectif serait d’évaluer avec certitude les caractéristiques du réservoir géothermique profond : température, pression, nature du fluide, débit potentiel.
La réalisation de forages géothermiques profonds représente un investissement technique lourd : en moyenne, un puits de 2 000 mètres de profondeur peut coûter entre 5 et 8 millions d’euros. Le délai entre l’attribution d’un PER et la construction d’une centrale peut dépasser 8 à 10 ans. À Bouillante, en Guadeloupe, il a fallu près de 20 ans entre les premiers forages et la mise en service industrielle. C’est dire l’importance d’un soutien public actif et d’un opérateur privé expérimenté pour concrétiser un tel projet à Mayotte.
Depuis la crise sismo-volcanique de 2018, documentée chaque mois par le réseau REVOSIMA, les indices d’une activité magmatique persistante à l’est de Petite-Terre renforcent l’intérêt géothermique du site. Le bulletin de mai 2025 mentionne notamment une sismicité encore active en profondeur, ainsi que des émissions hydrothermales intenses dans la zone sous-marine du Fer à Cheval. Ces signaux confirment la présence d’un système magmatique actif susceptible d’alimenter une ressource géothermale à haute température.
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Un permis exclusif de recherche en attente
Pour sécuriser le sous-sol, une demande de Permis Exclusif de Recherche (PER) a été déposée par la société Albioma le 30 juin 2020. Baptisé PER Petite Terre, ce permis couvre une superficie de 145,14 km² et englobe l’ensemble de l’île de Petite Terre, ainsi qu’une partie de Grande Terre.
Les communes concernées sont : Bandraboua, Dzaoudzi, Koungou, Mamoudzou, Pamandzi et Tsingoni. En juin 2025, soit près de cinq ans après son dépôt, le PER est toujours en cours d’instruction, ce qui freine la possibilité de lancer des études sur le terrain. L’inertie administrative s’explique en partie par la complexité du contexte géologique, le statut insulaire non interconnecté et les précautions nécessaires dans une zone à risques sismo-volcaniques élevés.
Une opportunité stratégique pour l’autonomie énergétique de Mayotte
L’exploitation géothermique en haute température offrirait à Mayotte un levier décisif pour sortir de sa dépendance aux énergies fossiles. L’île, comme les autres ZNI (Zones Non Interconnectées), produit actuellement son électricité quasi exclusivement à partir de moteurs thermiques alimentés au fioul. Les coûts sont élevés, les émissions de CO₂ importantes, et la sécurité d’approvisionnement dépendante de la logistique maritime.
En 2023, plus de 95 % de l’électricité de Mayotte provenait encore de ces moteurs thermiques, selon les données de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Le coût réel de production est estimé entre 250 et 300 €/MWh, contre 120 à 150 €/MWh pour une centrale géothermique en fonctionnement stable. Le différentiel est d’autant plus marqué que la géothermie permet une production continue, non soumise aux aléas climatiques.
La géothermie représente donc une solution locale, stable et décarbonée, capable de fonctionner en base. Une centrale de type haute énergie, sur le modèle de Bouillante ou de Pahoa à Hawaï, pourrait produire entre 10 et 30 MW selon la ressource disponible, à partir de quelques forages producteurs et de réinjection.
Mais pour y parvenir, il faudra mobiliser des investissements publics et privés importants, sécuriser les études de faisabilité, et construire un consensus politique et scientifique sur la stratégie énergétique à long terme.
Source : ADEME – Philippe Laplaige, État des lieux de la géothermie dans l’outre-mer français, février 2025.
Mayotte entre timidement dans le paysage géothermique ultramarin. Forte de son activité volcanique récente, l’île dispose d’atouts géologiques majeurs, confirmés par les travaux du BRGM. Si les premiers forages sont lancés et si le PER de Petite Terre est validé, le territoire pourrait se doter à moyen terme d’une capacité électrique renouvelable en base. Mais l’ampleur des défis techniques et administratifs reste à la hauteur de cette opportunité unique dans l’océan Indien.









