Le 5 juin 2025, le Sénat a définitivement adopté la proposition de loi visant à faciliter la transformation de bâtiments non résidentiels en habitations. Le texte, enrichi en commission et validé en commission mixte paritaire, entend lever les freins réglementaires, fiscaux et techniques qui entravent la reconversion des bureaux, hôtels, garages ou locaux agricoles vacants en logements.
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Un gisement sous-exploité dans un contexte de crise et de raréfaction du foncier
La crise du logement en France atteint un niveau rarement égalé. Selon les données du ministère de la Transition écologique, les autorisations de construction de logements neufs ont chuté de plus de 20 % depuis la crise sanitaire, soit environ 100 000 logements de moins chaque année. Dans le même temps, l’entrée en vigueur du principe de zéro artificialisation nette (ZAN) limite drastiquement la création de foncier constructible.
Or, dans les métropoles françaises — et particulièrement en Île-de-France — des millions de mètres carrés de bureaux sont aujourd’hui vacants.
Selon Valérie Létard, ministre chargée du Logement, “9 millions de m² de bureaux sont vacants en France, dont plus de 5 millions en Île-de-France, soit 10 à 20 % des immeubles”, a-t-elle précisé lors de l’examen du texte au Sénat.
Cette tendance s’explique par le ralentissement de la croissance de l’emploi tertiaire, la montée en puissance du télétravail, et l’évolution des formes de travail (open spaces, tiers-lieux…).
Pourtant, malgré ce potentiel, les opérations de transformation de bureaux en logements peinent à décoller : à peine 2 000 logements par an seraient créés par ce biais, selon une étude de CBRE (2022). Les freins sont nombreux : surévaluation comptable des biens, obstacles techniques liés à la structure même des immeubles, et cadre réglementaire peu incitatif.
Un texte pour débloquer les reconversions à l’échelle nationale
Portée par la députée Martine Berthet au Sénat, la proposition de loi vient répondre à ces enjeux. Elle a été adoptée à l’Assemblée nationale en mars 2024, puis enrichie en commission des affaires économiques et par la commission des finances. La version définitive adoptée le 5 juin 2025 élargit considérablement le champ d’application initial, qui portait uniquement sur les bureaux, pour inclure l’ensemble des bâtiments non résidentiels : hôtels, garages, locaux commerciaux, agricoles désaffectés, bâtiments d’enseignement, etc.
La mesure s’inscrit pleinement dans l’objectif de sobriété foncière imposé par le ZAN, tout en répondant à l’urgence de créer du logement dans les zones tendues.
Trois grands piliers pour lever les freins à la transformation
Pour lever les obstacles constatés dans la pratique, la loi repose sur trois piliers :
- la possibilité de déroger aux règles de destination définies dans les PLU (article 1er)
- la simplification des majorités requises dans les copropriétés pour les changements d’usage (article 6)
- l’ajustement des régimes fiscaux applicables via la taxe d’aménagement et la taxe sur les bureaux (articles 2 et 3 bis A).
Ces leviers sont conçus pour rendre les transformations plus opérationnelles, tout en maintenant la capacité des collectivités à maîtriser l’aménagement local.
1. Urbanisme : des dérogations ciblées aux règles du PLU
La mesure phare du texte réside dans la possibilité pour l’autorité compétente d’accorder des dérogations aux règles du plan local d’urbanisme (PLU), sur avis conforme de la commune, même en l’absence de compétence en urbanisme. Ces dérogations s’appliqueront aux changements de destination, mais aussi aux extensions ou surélévations nécessaires à la transformation des bâtiments.
Autre innovation : le permis de construire à destinations multiples. Celui-ci permet d’autoriser plusieurs usages (habitation, tertiaire…) sans ordre de succession prédéfini. Il vise à intégrer la réversibilité dès la conception, en anticipant les mutations futures. Sa durée de validité est portée à 10 ans, renouvelable deux fois pour cinq ans. Toutefois, pour sécuriser les collectivités, le maire peut exiger que la première destination soit précisée, afin d’évaluer les impacts à court terme sur les équipements publics.
Par Exemple, une opération mixte prévoit la construction d’un bâtiment de 5 étages dans une zone tertiaire en mutation.
Le promoteur obtient un permis à destinations multiples pour affecter les 3 premiers niveaux à des bureaux dans un premier temps, avec la possibilité de les reconvertir en logements étudiants dans les dix ans, sans dépôt d’un nouveau permis.
Le maire impose néanmoins que la première destination soit clairement établie pour anticiper les besoins en stationnement et en transports.
2. Copropriété et foncier : vers des règles plus souples
La transformation de locaux situés en copropriété représente une difficulté fréquente. Le texte assouplit donc les règles de majorité en assemblée générale, afin de faciliter le changement d’usage pour les locaux tertiaires, mais aussi commerciaux. Une mesure très attendue par les opérateurs confrontés à l’inertie des syndicats de copropriété.
Exemple : Dans une copropriété tertiaire située en zone dense, un opérateur propose de transformer deux niveaux d’un ancien immeuble de bureaux en logements. Grâce aux nouvelles règles, il obtient l’accord des copropriétaires avec une majorité simplifiée.
Parallèlement, un PUP est signé avec la commune pour cofinancer la création d’une micro-crèche et la requalification des trottoirs.
En parallèle, les porteurs de projets pourront plus facilement conclure des projets urbains partenariaux (PUP), permettant de répartir le financement des équipements publics induits par la transformation (écoles, crèches, voirie).
3. Fiscalité : équilibrer incitation et financement local
Du côté fiscal, deux mesures structurantes sont introduites.
La première concerne la taxe d’aménagement, jusque-là non applicable si la transformation n’engendrait pas de création de surface. Dorénavant, les collectivités pourront décider d’assujettir les opérations de transformation, même sans surface nouvelle. L’assiette sera calculée sur la base de la surface transformée, avec un abattement de 50 % pour tenir compte des équipements déjà financés lors de la construction initiale.
Exemple : Un bâtiment tertiaire de 2 000 m² transformé en logements dans une commune d’Île-de-France assujettie à la taxe d’aménagement.
- Valeur forfaitaire en 2025 : 1 050 €/m² (zone 1).
- Après abattement de 50 %, l’assiette taxable serait de 1 000 m² × 1 050 € = 1 050 000 €.
À un taux communal de 5 %, cela représenterait 52 500 € de taxe d’aménagement pour le porteur de projet.
Sans cette assiette, la transformation aurait été exonérée (car sans création de surface), privant la collectivité de toute compensation.
Ce mécanisme permet de rééquilibrer l’effort financier entre les porteurs de projet et les communes, souvent confrontées à des besoins d’équipements publics induits par l’arrivée de nouveaux habitants. Par souci d’équité territoriale, le texte rend cette mesure facultative, mais les collectivités peuvent la rendre effective par simple délibération.
La seconde mesure est une exonération ciblée de la taxe sur les bureaux (TSB), applicable en Île-de-France et PACA. Elle concerne les locaux vacants faisant l’objet d’une autorisation d’urbanisme pour transformation en logement. Pour éviter les abus, un mécanisme de sanction est prévu si l’engagement de transformation n’est pas respecté.
Ce que cela change pour les collectivités, promoteurs et aménageurs
Le texte introduit une flexibilité nouvelle dans la planification urbaine, tout en maintenant un droit de regard fort pour les maires. Il pourrait représenter une opportunité pour les promoteurs de valoriser du foncier obsolète à moindre coût, notamment dans les zones tendues.
Mais les reconversions restent complexes. Les travaux nécessaires (désamiantage, isolation, conformité incendie, etc.) sont coûteux. De plus, les attentes des habitants ne sont pas toujours compatibles avec les architectures tertiaires (balcons, lumière naturelle, etc.).
Enfin, les collectivités devront s’assurer que ces opérations ne déséquilibrent pas les équipements publics ou ne créent pas d’effets d’aubaine.
Une réforme prometteuse, mais dépendante des dynamiques locales
En facilitant les reconversions tout en sécurisant les collectivités, le texte adopté le 5 juin offre un cadre plus souple et plus lisible. Il ne supprimera pas les obstacles économiques ou techniques, mais pourrait considérablement fluidifier les démarches là où la volonté politique locale est présente.
Juste avant l’adoption définitive de la loi par le Sénat, la ministre chargée du Logement a salué l’amendement sénatorial qui étend le dispositif à tous types de bâtiments, y compris dans les territoires ruraux. Elle a toutefois rappelé que cette mesure ne saurait constituer une réponse unique à la crise : “Nous ne résorberons pas la crise du logement par la seule vacance”, a-t-elle déclaré, appelant à conjuguer la transformation de l’existant avec une relance ambitieuse de la construction neuve.