Construction neuve 2050 : deux trajectoires vers la neutralité carbone

0

Neutralité carbone en 2050 : au-delà d’une ambition politique, une transformation structurelle du secteur du bâtiment. Dans cette dynamique, la construction neuve fait figure de pivot stratégique. L’ADEME, via son « Feuilleton Filières : construction neuve », explore deux visions de cette mutation : sobriété coopérative ou révolution technologique. À travers ces scénarios, c’est tout un secteur qui se redessine, entre déclassement progressif du neuf et réinvention profonde des métiers et des modèles.

Deux scénarios pour transformer la filière à horizon 2050


Scénario S2 – Coopérations territoriales

Le scénario S2 – Coopérations territoriales mise sur la frugalité et la relocalisation. Il envisage une baisse significative du volume de construction neuve, rendue possible par l’optimisation du parc existant : réutilisation des logements vacants, transformation de bureaux en habitations, réduction du parc de résidences secondaires. Les logements neufs deviennent bioclimatiques, déconstructibles, chauffés aux énergies renouvelables, et largement bâtis en matériaux biosourcés. Le recours au chauffage collectif et aux chauffe-eau solaires, combiné à une architecture passive, réduit la consommation énergétique des bâtiments à des niveaux proches du BEPAS (bâtiment à énergie passive).

 

Scénario S3 – Technologies vertes

Dans le scénario S3 – Technologies vertes, l’accent est mis sur l’industrialisation et la densification urbaine. Le volume de construction neuve est maintenu à un niveau historiquement élevé, mais centré sur le logement collectif. Ce modèle repose sur la déconstruction/reconstruction, des procédés industrialisés (préfabrication hors site), et des quartiers pensés comme des systèmes intégrés, où l’énergie, le confort et la numérisation cohabitent. Le numérique devient un outil central, depuis la conception jusqu’à l’exploitation, avec des bâtiments « plug-and-play » et des interfaces connectées pour les usagers.


Dans les deux cas, la construction neuve devient un segment plus technique, plus stratégique et plus exigeant. Et dans les deux cas, elle se recentre sur les usages réels, l’impact environnemental, et la réversibilité des bâtiments.

 

Des métiers en profonde mutation selon les trajectoires

Qu’on prenne la voie de la sobriété (S2) ou celle du numérique industrialisé (S3), la métamorphose de la filière est systémique. Pour les CMIstes (constructeurs de maisons individuelles), le modèle classique s’effondre : l’offre se redirige vers la rénovation globale, l’adaptation des logements, voire la reconversion vers le tertiaire ou l’habitat partagé. Les plus résilients deviennent à la fois promoteurs, installateurs et gestionnaires de projets. Ils s’ouvrent aussi à la préfabrication légère et à la conception modulaire.

Les entreprises générales se muent en plateformes de coordination. Elles intègrent davantage de compétences, proposent des solutions préfabriquées et garantissent la performance environnementale. En S2, elles se recentrent sur des réhabilitations lourdes. En S3, elles deviennent les chefs d’orchestre de quartiers entiers reconfigurés. Leur rôle de donneurs d’ordres et de prescripteurs de matériaux s’accentue.

La maîtrise d’œuvre renforce son poids : architecture et ingénierie fusionnent, la collaboration pluridisciplinaire devient norme. L’engagement sur les résultats de performance est une nouvelle attente de marché. À ces équipes revient la responsabilité de penser des bâtiments flexibles, adaptables, à faible impact. En S3, elles doivent également maîtriser les chaînes logistiques industrialisées et les solutions plug-and-play.

Les bailleurs sociaux passent du statut de bâtisseurs à celui d’accompagnateurs. Ils optimisent leur parc, adaptent dynamiquement les logements aux besoins des ménages, accompagnent les usagers dans la sobriété. En S2, ils jouent un rôle d’intermédiation sociale dans les territoires ; en S3, ils participent à la réinvention des copropriétés et à la gestion de services énergétiques intégrés.

Du côté des fabricants de matériaux, l’investissement dans la décarbonation devient impératif. La massification des matériaux biosourcés, la valorisation des déchets et le développement de l’économie de la fonctionnalité (location de matériaux, plug-and-play) redessinent le modèle économique. Le modèle économique passe d’une logique de volume à une logique de valeur ajoutée par l’usage, la performance et la circularité.

 

Moins de construction, plus de rénovation : un basculement d’activité

Le signal est clair : tous les scénarios prévoient une baisse du volume de construction neuve. Les maisons individuelles passeraient de 165 600 à 51 000 par an d’ici 2050 (S2). Dans le même temps, la part de l’activité bâtiment liée à la rénovation bondirait à 92 % (contre 54 % en 2019).

Ce retournement oblige les entreprises à reconfigurer leur offre :

  • vers la rénovation globale (70 à 80 % des logements devant atteindre le niveau BBC-Rénovation),
  • vers la déconstruction avec recyclage ou réemploi,
  • vers la restructuration de logements vacants ou tertiaires,
  • vers des services aux occupants (maintenance, flexibilité énergétique).

La part du bois grimperait à 34-42 % de parts de marché, et celle des isolants biosourcés à 30-45 %. L’artificialisation des sols passerait de 23 000 hectares/an à 7 000. En parallèle, l’intensification de l’usage des bâtiments et la réduction de la surface par occupant deviendraient des critères de performance au même titre que les consommations énergétiques.

Que faire dès aujourd’hui ? Leviers à activer d’ici 2030

Face à ces transformations, le rapport de l’ADEME appelle à mettre en œuvre dès à présent plusieurs actions stratégiques « sans regret » :

  • Former massivement aux compétences de demain : bioclimatisme, réversibilité du bâti, conception intégrée, matériaux biosourcés, outils numériques. Ces formations doivent concerner aussi bien les écoles d’ingénieurs, les CFA que la formation continue.
  • Reconvertir les professionnels du gros œuvre et des activités en déclin vers les nouveaux segments (rénovation, réemploi, services). Cela suppose d’adapter les référentiels métiers et de soutenir les transitions professionnelles.
  • Financer la R&D pour déployer des solutions de préfabrication, de transformation de friches, ou de flexibilité énergétique. Les projets d’innovation doivent être accompagnés jusqu’à leur mise sur le marché, notamment dans les territoires ultramarins.
  • Structurer les filières industrielles locales autour du biosourcé et géosourcé, en incluant les filières agricoles et sylvicoles. Il s’agit de créer des écosystèmes territoriaux capables de fournir en matériaux et savoir-faire.
  • Mettre en place des dispositifs économiques incitatifs pour favoriser le réemploi, la déconstruction, et les garanties de performance environnementale. Cela peut inclure des aides à la réversibilité des bâtiments, des bonus pour l’usage de matériaux recyclés ou une TVA réduite sur la rénovation performante.

Chiffres clés de la construction neuve à l’horizon 2050

(Données issues du Feuilleton Filières – Construction neuve, ADEME, publié le 18 avril 2025 dans le cadre du programme « Transition(s) 2050 »)

  • Maisons individuelles neuves : de 165 600 à 51 000 unités/an (scénario S2)
  • Part de la rénovation dans l’activité bâtiment : de 54 % (en 2019) à 92 % (en 2050)
  • Part du bois dans la construction neuve : de 2 à 8,5 % → 34 à 42 %
  • Part des isolants biosourcés : 30 à 45 %
  • Artificialisation des sols : de 23 000 ha/an → 7 000 ha/an
  • Logements rénovés au niveau BBC : jusqu’à 80 % du parc résidentiel
  • Durée de l’étude : 2 ans, pilotée par l’ADEME avec des partenaires externes

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici