Le bâtiment face à la « sur-réglementation » : un appel à la cohérence

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Alors que la Fédération Française du Bâtiment tire la sonnette d’alarme sur l’inflation réglementaire, le dernier numéro de Constructif explore les paradoxes d’une simplification devenue mission impossible.

Un constat lucide de la FFB

« Déplorer la complexité relève maintenant de la figure imposée. » Dès les premières lignes de son éditorial publié dans Constructif n°72, Olivier Salleron, président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB), pose le ton. Derrière l’appel à la simplification, il constate une réalité inverse : l’empilement sans fin des règles et des contraintes, malgré les promesses répétées de « chocs de simplification ».

Le président de la FFB use d’une image forte : celle d’un « Sisyphe simplificateur », condamné à pousser sans fin la pierre d’une bureaucratie toujours renaissante. Une métaphore qui résume la lassitude d’un secteur où chaque procédure nouvelle semble en générer deux autres.

La complexité française, une machine qui s’auto-entretient

Le dossier du magazine explore les racines de ce mal collectif. Le juriste Jean-Denis Combrexelle rappelle que la complexité du droit traduit souvent celle de la société elle-même : chacun réclame moins de contraintes, tout en exigeant des cas particuliers, des exceptions, des garanties supplémentaires. Résultat : une inflation juridique entretenue par la défiance et la peur du risque.

À cela s’ajoute, selon Christophe Éoche-Duval, une mécanique institutionnelle bien française. L’usage excessif des ordonnances, la succession de lois « d’urgence », et les procédures accélérées créent un flux continu de textes adoptés sans recul suffisant. En voulant tout encadrer, l’État multiplie les couches réglementaires et finit par rendre la règle illisible pour les acteurs économiques.

Dans le BTP, cette dérive prend une ampleur particulière : chaque nouveau texte modifie des équilibres techniques ou assurantiels, sans pour autant clarifier la pratique.

Un secteur étouffé par la prolifération normative

« Le bâtiment vit durement les complications inutiles et l’inflation juridique sans fin », avertit Olivier Salleron. Le constat est partagé par Franck Perraud, expert de la FFB, qui détaille l’ampleur du phénomène : plus de 4 500 normes Afnor concernent le bâtiment, et 121 NF DTU définissent les règles de mise en œuvre des ouvrages.

Seules 3 % de ces normes sont réellement obligatoires, mais leur non-respect peut être considéré comme une faute en cas de litige. Cette ambiguïté entretient une pression constante sur les entreprises, surtout les TPE et PME, qui peinent à suivre le rythme des mises à jour et à financer l’accès aux documents normatifs, souvent payants.

L’autre conséquence, plus pernicieuse encore, réside dans les contradictions entre les textes : une réglementation thermique peut s’opposer à une règle acoustique, une exigence environnementale à un plan de prévention des risques d’inondation (PPRI). Dans les zones littorales ou ultramarines, ces chevauchements rendent parfois l’application des textes matériellement impossible.

Simplifier intelligemment : passer du moyen à l’objectif

Pour la FFB, la simplification ne doit pas être synonyme de relâchement, mais de pertinence. Le mot d’ordre : passer d’une réglementation de moyens à une réglementation par objectifs.

Il ne s’agit plus de décrire les procédés à suivre, mais d’énoncer clairement les résultats à atteindre : performance énergétique, empreinte carbone, sécurité structurelle, accessibilité… Une approche qui redonne de la liberté aux professionnels tout en maintenant la rigueur des contrôles.

Le dossier souligne aussi le rôle central des organismes de normalisation comme le BNTEC ou le CSCEE, qui permettent aux professionnels de participer à la rédaction des règles. La FFB plaide pour que ces structures ne soient plus de simples chambres consultatives, mais de véritables leviers d’arbitrage entre innovation et sécurité.

À l’échelle européenne, le Règlement Produits de Construction (RPC 2024) illustre l’enjeu : sa mise en œuvre, prévue jusqu’en 2040, impose de nouvelles exigences environnementales et numériques. Si la démarche va dans le bon sens, elle risque d’accentuer les écarts entre grandes entreprises et artisans, faute d’un accompagnement adapté.

Retrouver une culture de la confiance

Derrière le débat technique, c’est une question de confiance que soulève Constructif. Les entreprises du bâtiment réclament stabilité, prévisibilité et agilité. Pour avancer, elles ont besoin d’un cadre lisible et cohérent, où chaque norme serve réellement la qualité et la sécurité.

Combrexelle le résume : la simplification ne peut réussir qu’à condition de réhabiliter la confiance entre l’État, les professionnels et les citoyens.

Olivier Salleron partage ce constat et insiste : la simplicité n’est pas l’ennemie de la qualité, elle en est la condition.

« Faut-il vraiment rappeler que simplicité rime bien avec qualité et efficacité ? »

Un enjeu vital pour le BTP

Le dossier Constructif ne cède pas à la facilité : il invite à repenser le rapport entre la règle et l’action. Pour la FFB, la simplification est un chantier collectif, qui suppose autant de courage politique que de pragmatisme professionnel.

Dans les territoires ultramarins, où les contraintes techniques et climatiques s’additionnent, cet équilibre devient crucial : simplifier n’est plus un choix, mais une condition de survie pour construire durablement.


Source : CONSTRUCTIF N°72 – Octobre 2025

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