Bâtiments résilients à MAYOTTE : ce que révèle le projet CLIMAYOTTE

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(c)CLIMAYOTTE SYNTHESE capture

Dans un territoire où la conception bioclimatique est déjà une évidence, CLIMAYOTTE vient en affiner les contours. Pour la première fois, les performances réelles des bâtiments tertiaires mahorais ont été mesurées, simulées et comparées à grande échelle. Mené par Intégrale Ingénierie dans le cadre du programme OMBREE II, le projet dresse un constat clair : les principes actuels, bien que pertinents, ne suffisent plus face aux évolutions du climat et aux usages observés. En croisant mesures de terrain, analyses comportementales et modélisations prospectives, il identifie les leviers les plus efficaces pour conjuguer confort, sobriété et résilience.

3 leviers pour une conception adaptée

CLIMAYOTTE repose sur une approche intégrée qui combine mesure sur site, instrumentation et simulation énergétique. Trois volets pour un même objectif : adapter le bâti aux réalités du climat mahorais et aux défis du réchauffement global.

1. Mesurer pour comprendre le climat mahorais

Le premier axe s’est concentré sur la caractérisation du climat local. Jusqu’ici, les concepteurs ne disposaient que d’un unique fichier météo basé sur la station de Pamandzi, inadapté aux microclimats qui façonnent le territoire.

Pour combler ce vide, deux nouvelles stations météorologiques ont été installées à Dembeni et Ouangani en partenariat avec le laboratoire EnergyLab de l’Université de La Réunion. Ces équipements, autonomes grâce à l’énergie solaire, collectent des données en continu sur la température, l’humidité, les vents ou encore le rayonnement solaire.

En seulement deux mois d’observation (novembre–décembre 2025), les mesures ont déjà mis en évidence des différences notables : des vents dominants distincts selon les zones et des températures plus élevées à Dembeni qu’à Ouangani. Ces informations, accessibles en ligne via la plateforme SolarIO, serviront à créer, à terme, des fichiers météorologiques locaux de référence pour la conception des bâtiments.

2. Instrumenter pour observer le réel

Le second axe s’est attaché à observer le réel, en instrumentant deux établissements scolaires représentatifs : le collège de Ouangani, récent et conçu selon les principes bioclimatiques, et le collège de Dembeni, plus ancien et non optimisé.

Au total, seize locaux ont été suivis pendant plusieurs semaines afin de mesurer le confort thermique, l’humidité, la vitesse de l’air et les usages réels de la climatisation. Les résultats sont éloquents : la climatisation fonctionne souvent en continu, parfois même la nuit, avec des températures de consigne très basses (jusqu’à 17 °C).

Au collège de Ouangani, ce seul poste représente près de 50 % de la consommation électrique, alors qu’il ne concerne qu’une minorité de salles. L’étude met aussi en lumière des leviers de confort passif souvent négligés : l’orientation nord/sud, la végétation périphérique et les protections solaires peuvent abaisser la température intérieure de plusieurs degrés. À l’inverse, les locaux sous toiture et les jalousies défectueuses accentuent les surchauffes.

3. Simuler pour projeter les performances

Le troisième axe s’est appuyé sur des simulations thermiques dynamiques (STD) menées sur plus de 2 400 scénarios. Ces modélisations ont permis de tester l’effet croisé de nombreux paramètres : matériaux, porosité, isolation, protections solaires ou encore orientation. Objectif : identifier les combinaisons les plus performantes pour le confort et la consommation, aujourd’hui et à l’horizon 2070.

Des résultats qui parlent : 66 % d’économie et 95 tonnes de CO₂ évitées

Les simulations confirment l’importance des choix architecturaux. À l’horizon 2070, dans le scénario climatique RCP 4.5jugé le plus probable –, les besoins en climatisation augmenteraient de 25 %, même dans des bâtiments performants.

En mode passif, la température moyenne grimperait de +1,8 °C, tandis que le taux d’inconfort pourrait croître de 25 %, notamment dans les salles de classe et les espaces à forte occupation.

Mais le projet montre aussi que des marges de progrès considérables existent. Sur le cas du collège de Ouangani, les optimisations proposées permettraient de réduire de 66 % la consommation de climatisation, soit 4 075 euros d’économie annuelle et 95 tonnes de CO₂ évitées. Ces gains reposent sur des ajustements concrets :

  • augmenter la température de consigne à 28 °C et recourir aux brasseurs d’air (-49 % à -42 %) ;
  • couper la climatisation plusieurs mois par an (-13 % à -39 %) ;
  • améliorer l’isolation et l’étanchéité des menuiseries (-4 % à -8 %) ;
  • appliquer des peintures claires et renforcer les protections solaires (-1 % à -2 %).

Cumulées, ces mesures permettent une baisse globale de près de 70 % de la consommation liée au rafraîchissement. Le matériau joue aussi un rôle clé : les bâtiments en briques de terre compressée (BTC) présentent un comportement thermique plus favorable que ceux en béton ou en ossature bois, mieux adaptés aux usages tertiaires mahorais.

Enseignements pour les concepteurs

Les conclusions du projet sont claires : tous les leviers de conception n’ont pas le même poids. Les protections solaires performantes, l’isolation adaptée, la gestion maîtrisée de la porosité et la végétalisation des abords ressortent comme des éléments déterminants. Ces dispositifs combinés offrent un équilibre entre confort et efficacité énergétique, et réduisent la dépendance à la climatisation.

Mais CLIMAYOTTE révèle aussi un enjeu comportemental : les usagers jouent un rôle aussi important que les concepteurs. L’usage excessif de la climatisation, parfois par simple habitude, annule les bénéfices d’une conception soignée.

Le projet recommande donc une sensibilisation des occupants et la mise en place de systèmes de régulation automatique pour piloter les températures de consigne et les plages horaires de fonctionnement. Cette approche associant technique et pédagogie apparaît comme une condition indispensable pour pérenniser la performance énergétique.

Une méthode duplicable dans les Outre-mer

La méthodologie développée à Mayotte est conçue pour être repliable dans d’autres territoires ultramarins. En croisant mesures, retours d’expérience et simulations, CLIMAYOTTE offre un modèle d’analyse complet, capable de s’adapter aux microclimats des Antilles, de la Guyane ou de La Réunion. Son approche, fondée sur la connaissance fine du climat local, pourrait inspirer les politiques publiques d’adaptation du bâti tropical.

Le projet souligne enfin la nécessité d’une mise à jour des référentiels techniques tels que MayEnergie, aujourd’hui trop génériques. Face à la hausse annoncée des températures et à la fréquence accrue des vagues de chaleur, il devient essentiel d’intégrer le changement climatique dans les futures normes de conception.

CLIMAYOTTE démontre qu’une conception bioclimatique performante n’est pas une option : c’est un pré-requis pour la résilience énergétique et le confort durable des bâtiments mahorais et ultramarins.


Télécharger ici la synthèse du projet CLIMAYOTTE


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