Le 10 juin 2025, à Nice, la France a placé ses Outre-mer au cœur des débats internationaux lors de la troisième Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC-3). À cette occasion, la direction générale des Outre-mer (DGOM) et la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA) ont dévoilé la feuille de route pour l’économie bleue durable ultramarine à l’horizon 2030. Derrière ce document officiel se cache un enjeu stratégique : transformer la richesse maritime des territoires ultramarins en levier de développement durable, tout en protégeant des écosystèmes fragilisés.
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Un potentiel maritime unique mais sous tension
Avec près de 11 millions de km² de zone économique exclusive (ZEE), dont 97 % situés en Outre-mer, la France dispose du deuxième espace maritime mondial.
Les territoires ultramarins concentrent à eux seuls 80 % de la biodiversité nationale : récifs coralliens, mangroves, mammifères marins, oiseaux subantarctiques. Ce patrimoine naturel constitue un atout planétaire, mais il est soumis à une pression croissante.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Aux Antilles, 80 % des récifs coralliens sont dégradés. À La Réunion, 60 % des habitats littoraux sont en mauvais état. À Mayotte, plus de 70 % des masses d’eau présentent une qualité médiocre.
En Guyane, l’érosion du trait de côte peut atteindre 300 mètres par an dans les zones les plus sensibles. Ces menaces s’ajoutent à une surexploitation halieutique, à la pollution terrestre ou encore aux effets du changement climatique, de plus en plus marqués dans des territoires en première ligne.
L’économie bleue ultramarine reste néanmoins un secteur vital : près de 12 500 emplois en 2018, soit 2,4 % de l’emploi marchand. Ces métiers, qu’il s’agisse de pêche, de transport maritime, d’aquaculture ou de maintenance portuaire, offrent des emplois non délocalisables.
La feuille de route insiste sur ce potentiel : attirer les jeunes, féminiser les carrières et développer la formation constituent des priorités affichées.
Des ambitions climatiques face à des défis socio-économiques
La feuille de route place la neutralité carbone à l’horizon 2050 au centre de ses priorités. Décarbonation du transport maritime, développement des énergies marines renouvelables, valorisation de solutions innovantes comme le Sea Water Air Conditioning (SWAC) en Polynésie française : les territoires ultramarins sont appelés à devenir des laboratoires de transition énergétique.
Mais comment concilier ambitions climatiques et réalités socio-économiques ? Le manque d’investissements, la faiblesse de l’intégration régionale et le déficit de main-d’œuvre qualifiée constituent des obstacles persistants.
Former les jeunes, attirer les femmes vers les métiers de la mer, diversifier les parcours professionnels : autant de chantiers indispensables pour transformer l’économie bleue en véritable moteur de croissance. La feuille de route insiste sur ce point, avec la création d’un lycée des métiers de la mer à La Réunion prévu pour 2027 et la mise en place d’un CAP maritime en Guyane.
L’autre grand défi reste financier. Le renouvellement de la flotte de pêche ou la modernisation des infrastructures portuaires nécessitent des moyens considérables. Or, les aides d’État et les financements européens demeurent limités, ce qui crée un écart entre les ambitions affichées et la réalité des capacités locales.
Priorités partagées et leviers communs
Au-delà des différences territoriales, plusieurs priorités ressortent de la concertation. Le renouvellement de la flotte de pêche ultramarine est jugé essentiel pour garantir durabilité, compétitivité et sécurité.
La lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) reste aussi un défi majeur, notamment en Guyane où 126 navires ont été interceptés en infraction au premier semestre 2024.
La protection du patrimoine naturel constitue un autre pilier. Aires marines protégées, restauration des coraux, gestion durable des mangroves : les territoires ultramarins doivent renforcer la résilience de leurs écosystèmes.
Le tourisme bleu s’inscrit également dans cette dynamique : croisières plus durables, écotourisme, valorisation du patrimoine nautique traditionnel comme les yoles, pirogues ou voiles anciennes.
Enfin, la recherche et l’innovation se voient confier un rôle central : exploration des grands fonds marins, biotechnologies, énergies marines renouvelables, technologies de recyclage des navires et des déchets portuaires.
Les infrastructures portuaires s’imposent comme un levier incontournable. Les chiffres du fret et du trafic conteneurs illustrent leur rôle stratégique : 187 252 EVP au Grand Port Maritime de Martinique, 216 006 EVP en Guadeloupe, près de 393 000 EVP à La Réunion.
La modernisation et la transition écologique de ces plateformes conditionneront l’avenir de la compétitivité ultramarine.
Des réalités contrastées selon les territoires
Chaque territoire adapte ces priorités à ses besoins.
- Polynésie française : création de la plus grande aire marine protégée au monde, couvrant presque toute la ZEE, et développement du SWAC comme alternative durable à la climatisation traditionnelle.
- Nouvelle-Calédonie : moratoire de dix ans sur l’exploitation minière des fonds marins et mise en place d’un pôle technologique et scientifique maritime à Nouméa.
- La Réunion : accent sur la formation (lycée des métiers de la mer prévu en 2027), structuration de filières et lancement d’une filière de déconstruction navale.
- Mayotte : modernisation stratégique du port de Longoni et renouvellement de la flotte de pêche de petite taille.
- Guyane : développement du tourisme fluvial, inventaire des granulats marins et modernisation de la filière pêche.
- TAAF : mise en œuvre du programme européen MARIO (2025-2030), financé à 80 %, pour renforcer la surveillance et l’exploration de leurs espaces marins.
Un cap à tenir face aux menaces
Les atouts sont indéniables : une biodiversité exceptionnelle, un espace maritime immense, un potentiel d’emplois et d’innovations. Mais les menaces le sont tout autant : changement climatique, montée des eaux, pêche illégale, pollution par les déchets, criminalité en mer.
La gouvernance prévue par la feuille de route repose sur un comité spécialisé “économie bleue outre-mer”, rattaché au Conseil national de la mer et des littoraux. Ce comité devra assurer le suivi opérationnel à travers des indicateurs dédiés. Sans cette vigilance, la stratégie risque de rester un document d’intention.
La feuille de route trace donc une trajectoire ambitieuse, mais sa réussite dépendra des financements mobilisés, de la qualité de la formation locale et surtout de l’appropriation par les acteurs ultramarins eux-mêmes. Entre ambitions internationales et réalités locales, le cap est fixé : il reste à le tenir.