LA REUNION. le bilan annuel 2024 du BTP révèle un secteur sous pression

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Source image : Freepik

Après plusieurs années de secousses – crise sanitaire, flambée des coûts des matériaux, inflation – le secteur du BTP à La Réunion peine encore à retrouver une trajectoire stable. Entre rebond du logement collectif, recul persistant de l’individuel et incertitudes sur l’emploi, l’année 2024 dresse un tableau contrasté.

C’est ce que révèle le bilan annuel de la conjoncture publié par la Cellule Économique du BTP (CERBTP). Derrière les chiffres, un constat s’impose : si certaines activités reprennent des couleurs, d’autres montrent des fragilités inquiétantes, laissant entrevoir une année 2025 sous tension.

Logement : le collectif résiste, l’individuel s’essouffle

En 2024, 5 537 logements ont été mis en chantier, un volume quasiment stable par rapport à 2023 (-1 %). Mais derrière ce chiffre global se cache un basculement : le logement collectif repart nettement à la hausse, tandis que l’individuel continue de reculer.

Le collectif progresse de 24 % (3 177 logements commencés), confirmant son rôle de moteur, alors que l’individuel chute de 18 % (2 360 logements). Les surfaces suivent la même logique : +15 % pour le collectif, -18 % pour l’individuel. Le marché se concentre donc davantage sur des projets groupés, aux surfaces moyennes plus réduites.

Mais cette dynamique est fragilisée par l’évolution des autorisations de construire : seulement 5 982 logements validés en 2024, soit une baisse de 14 % en un an. Ce repli touche aussi bien l’individuel (-17 %) que le collectif (-11 %). Les surfaces autorisées reculent dans la même proportion (-15 % au total). En clair, si les chantiers lancés en 2024 tiennent le cap, le ralentissement des autorisations pourrait peser sur l’activité à partir de 2025.

Non-résidentiel : une reprise portée par l’artisanat et les entrepôts

L’activité non résidentielle s’inscrit en nette reprise du côté des chantiers commencés : 144 306 m² en 2024, soit une progression de 28 %. L’élan est particulièrement fort dans les entrepôts (+57 %) et l’industrie (+51 %), mais aussi dans l’artisanat (+131 %). Les bureaux se stabilisent (+8 %), tandis que les commerces restent atones (-3 %).

Derrière ces chiffres se cache une réalité plus structurelle : la construction non résidentielle à La Réunion demeure très volatile. Elle dépend souvent de la sortie ponctuelle de grands programmes, publics ou privés, qui peuvent gonfler ou au contraire freiner l’activité d’une année sur l’autre.

Les autorisations illustrent cette fragilité : 225 303 m² de locaux validés, en léger recul (-1 %). Certains segments connaissent une embellie, comme l’artisanat (+47 %) et le commerce (+22 %), révélant des investissements destinés à répondre à la dynamique locale de consommation et de services. Mais d’autres secteurs s’effondrent, notamment l’hôtellerie (-62 %), reflet d’un désengagement dans l’immobilier touristique, et l’industrie (-25 %), qui confirme un ralentissement des projets productifs.

Commande publique et investissements : un moteur en perte de vitesse

La commande publique, habituellement pilier du BTP réunionnais, montre des signes d’essoufflement. En 2024, les crédits de paiement se sont établis à 305 M€, en forte baisse de 23 % par rapport à 2023.

Les routes concentrent désormais l’essentiel des enveloppes : 205 M€, dont 154 M€ consacrés aux routes nationales (75 % du total). La part de la construction publique diminue (77 M€) et le génie civil subit un net recul (24 M€, -64 %), particulièrement dans les travaux portuaires.

Le ralentissement se reflète aussi dans les consultations de travaux : 599 ont été lancées en 2024, soit 16 % de moins qu’en 2023. Le recul touche autant le bâtiment (-12 %) que les travaux publics (-22 %).

Au-delà des chiffres, cette tendance illustre la forte dépendance du BTP réunionnais à la commande publique. Les grands chantiers routiers, souvent pilotés par l’État ou le Département, structurent à eux seuls une part majeure de l’activité. Mais cette concentration crée une vulnérabilité : la filière s’expose directement aux arbitrages budgétaires. En cas de ralentissement des investissements publics, l’effet domino se fait immédiatement sentir sur les entreprises et l’emploi.

Entreprises : plus nombreuses, mais plus vulnérables

Le tissu entrepreneurial du BTP affiche une croissance en trompe-l’œil. En 2024, 3 606 entreprises ont été recensées par la Caisse de Congés Payés du BTP, soit une hausse de 3 % par rapport à 2023. Mais cette progression est tirée par les structures sans salarié (+21 %), tandis que les entreprises employeuses reculent de 3 %.

Autre signal négatif : les créations d’entreprises reculent pour la première fois depuis la crise Covid, avec 1 094 nouvelles immatriculations (-4 %).

Surtout, les défaillances continuent de progresser : 325 entreprises ont fermé en 2024 (+17 %), après une flambée de +45 % en 2023. Ces faillites ont concerné 277 structures et entraîné la perte de 1 448 emplois, soit près du double de 2022. La fragilité du tissu productif se confirme, révélant des difficultés persistantes pour les structures employeuses.

Emploi : recul de l’intérim et hausse du chômage

L’emploi salarié dans le BTP recule à nouveau. En 2024, 19 275 salariés étaient inscrits à la CIBTP, en baisse de 4,5 % par rapport à l’année précédente. L’intérim s’effondre : 914 équivalents temps plein, soit un tiers de moins qu’en 2023 (-33 %).

Après plusieurs années de baisse continue, le nombre de demandeurs d’emploi repart légèrement à la hausse : 38 440 inscrits en 2024 (+1 %). Si la tendance reste contenue, elle marque la fin d’une dynamique de décrue observée depuis 2020.

Ces évolutions traduisent un manque de visibilité pour les entreprises. L’intérim, souvent utilisé comme variable d’ajustement, chute dès que l’activité ralentit, signe d’une prudence accrue des employeurs face à un carnet de commandes incertain. La progression des défaillances d’entreprises accentue par ailleurs la fragilité du marché du travail.

En clair, l’emploi reste l’un des maillons les plus sensibles du BTP réunionnais : il reflète immédiatement les tensions financières et conjoncturelles du secteur.

Coûts : les matériaux maintiennent la pression

Les indices locaux du BTP confirment une tendance lourde : la flambée des coûts des matériaux n’a pas été résorbée. L’index général du BTP s’établit autour de 131 fin 2024, en hausse par rapport au début de l’année (129). Depuis 2022, les niveaux restent élevés, conséquence des tensions sur les approvisionnements mondiaux et des effets inflationnistes.

Cette persistance fragilise les marges des entreprises et renchérit les prix de la construction, qu’il s’agisse de logement ou de grands travaux. À La Réunion, comme ailleurs, la pression sur les coûts reste donc un facteur structurant de la conjoncture.


Consulter ici le BILAN ÉCONOMIQUE DU BTP À LA RÉUNION EN 2024 – CERBTP


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